Qu’est-ce qui vous a inspiré l’idée de La Traversée ?
L’histoire de mon arrière-grand-mère qui, en 1905, a quitté l’Ukraine pour la France, fuyant les pogroms antisémites, et plus précisément la manière dont ce récit familial a trouvé un écho dans les mouvements migratoires du début du XXI e siècle. On est lors en 2005. J’ai commencé à travailler seule sur cette idée de l’exil avant de demander à Marie Desplechin de venir écrire avec moi.
Pourquoi avoir fait appel à Marie Desplechin et quel a été son apport ?
On se connaît depuis longtemps et Marie a participé d’une manière ou d’une autre à tous mes courts métrages. J’étais partie sur un récit plus historique. C’est elle qui m’a incité à lui donner cette intemporalité, à ne pas le situer dans le temps, ni dans un pays précis, à le déconnecter de l’histoire de ma grand-mère.
Vous avancez écriture et animation simultanément ?
Oui, en parallèle de ce travail d’écriture en ping-pong avec Marie, je fais le découpage du film et un story-board, avec des croquis en noir et blanc et en couleurs. Je n’imagine pas dissocier les deux. J’ai besoin de savoir concrètement comment je vais raconter mon histoire. Et je m’appuie sur ce travail dessiné quand débute réellement la production, une fois le scénario terminé.
Qu’est-ce qui change concrètement, à cette étape, quand on passe du court au long ?
Le fait de partager pour la première fois mon travail avec une équipe et donc de ne pas tout faire toute seule. Le travail de préparation devait être plus poussé, plus précis, afin que tout le monde soit sur la même longueur d’onde et ait le même niveau d’information à chaque instant. Concrètement, l’animatic, le brouillon du film, a été plus poussé avec l’utilisation de voix-témoins. Puis cet animatic a été monté, retravaillé, on y a ajouté les voix définitives des acteurs. En parallèle, on faisait les décors. Et ce n’est qu’ensuite que les animateurs ont démarré leur travail. Une quinzaine de personnes en tout. Chacune était responsable d’un plan entier alors que dans l’animation traditionnelle, le travail est divisé entre ceux qui colorient, ceux qui font les décors, ceux qui se spécialisent sur un personnage… Tout cela s’est étalé sur quatre ans, de 2016 à 2020.
Mais ce qui ne change pas par rapport à vos huit courts métrages précédents (dont Au premier dimanche d’août, césarisé en 2006), c’est la technique d’animation que vous utilisez, celle de la peinture sur verre. Comment fonctionne-t-elle ?
Une fois les décors dessinés, ils sont posés sur un banc-titre et rétroéclairés. Trois plaques de verre sont disposées entre ces décors et la caméra et je peins moi-même les personnages à l’huile sur la dernière plaque. C’est cette création qui est filmée image par image.
Vous avez eu l’idée de ce film en 2005. Il s’est donc écoulé seize ans jusqu’à sa sortie en salles. Avez-vous pensé durant ce long périple que La Traversée ne verrait jamais le jour ?
Oui. À plusieurs reprises, il y a eu des moments de découragement, mais c’est dur de laisser tomber un projet en lequel on croit tout comme dans sa capacité à le réaliser. Le déclic a eu lieu début 2016 quand ma productrice Dora Benousilio des Films de l’Arlequin a dit que si on ne trouvait pas les financements dans les douze mois suivants, on s’arrêterait là. C’est à ce moment-là que tout s’est enclenché !
Qu’est-ce qui explique ces difficultés ?
Au départ, tout a été très vite, grâce aux aides du CNC et d’Arte. On a aussi décroché le prix du scénario au festival Premiers Plans d’Angers. Et puis la machine s’est grippée. Le financement qu’on attendait n’est pas arrivé et, comme c’est la règle quand un projet ne se monte pas, on a perdu le CNC au bout de trois ans. Une période de stop-and-go incessants a débuté. Nos différents interlocuteurs nous disaient ne pas comprendre à quel type de public le film s’adressait. Beaucoup doutaient aussi que mon univers coloré puisse passer le cap du long. Mais surtout, je pense que nous étions un peu en avance sur l’époque avec ce sujet. Les
migrations étaient déjà très présentes mais moins médiatisées. Le moment de bascule a eu lieu lors de la mort tragique du petit garçon syrien d’origine kurde, Aylan Kurdi, dont la photographie a fait le tour du monde et relancé la question de l’accueil des migrants. Avec ce drame, mon projet a fait sens aux yeux de mes interlocuteurs.
Outre son financement, qu’est-ce qui fut, avec le recul, le plus compliqué pour vous dans toute cette aventure ?
Sans doute de travailler en même temps dans trois studios différents, en France, en Allemagne et en République tchèque. De diriger régulièrement à distance les 25 personnes réunies pour ce projet. D’être dans le détail qui fait la cohérence de l’ensemble mais pas trop pour ne pas épuiser tout le monde. Tout cela est forcément beaucoup plus complexe, beaucoup moins fluide quand on n’est pas sur place.
LA TRAVERSÉE
Réalisation : Florence Miailhe.
Scénario : Florence Miailhe et Marie Desplechin.
Montage : Julie Dupré et Nassim Gordji Tehrani.
Musique : Philipp Kümpel et Andreas Moisa.
Production : Les Films de l'Arlequin, Balance Film Gmbh, Maurfilm S.R.O. et XBO Films.
Distribution : Gebeka Films.
Ventes internationales : Indie Sales.
Aides obtenues auprès du CNC :
Aide au développement
Avance sur recettes avant réalisation
Aide à la distribution (aide au programme)