Il est loin le temps où l’Armée cachait ses bases. Aujourd’hui, elle s’ouvre au monde et au cinéma. Tout a commencé par une politique d’accueil des tournages, avec la création de l’Agence du patrimoine immatériel de l'État (APIE) en 2007. Une aide logistique précieuse pour de nombreux films.
Dans Maya, de Mia Hansen-Love, le héros, ex-otage en Syrie, se pose ainsi à l’aéroport militaire de Villacoublay et fait un séjour à l’Hôpital des Armées Begin. Mais les films tournés sur des propriétés militaires n’ont pas toujours de lien avec l’armée. Les galeries souterraines du Fort d’Ivry, qui abrite l’agence d’images de la Défense, ont été mises à la disposition de Jean-François Richet pour L’Empereur de Paris. « C’est un décor tout à fait atypique et extrêmement rare qui est utilisé dans le film sans aucun lien avec son usage militaire », souligne le commandant Mickaël Molinié. Dans Mademoiselle de Joncquières d’Emmanuel Mouret, on peut voir aussi certains bâtiments de l’Ecole du Val-de-Grâce.
Outre les lieux de tournage, ce sont aussi les matériels qui peuvent être « prêtés » par l’Armée. Aucun char d’assaut ne fera aussi vrai qu’un vrai… Pour Mission : Impossible Fallout, la production a pu se greffer sur une mission d’entraînement de l’Armée de l’air du tout nouveau Caracal (dernier des hélicoptères de combat) et avoir ainsi des images d’un aéronef inédit dans le ciel de Paris. « Ça a permis de mettre en évidence le savoir-faire de l’Armée de l’air au travers de l’excellence industrielle et l’excellence des opérateurs comme les pilotes. C’est du rayonnement par l’image au travers de la fiction », poursuit le commandant Molinié.
Un service de conseil auprès des productions
Nouveau tournant en mai 2016 avec la création de la Mission Cinéma au sein du Ministère, qui a accentué l’action d’accompagnement à destination des professionnels de l’audiovisuel dans la réalisation de leur projet. « L’idée c’est de renforcer le lien Armée – Nation en accompagnant des projets qui parlent de l’armée ».Volontaire d’Hélène Fillières fait partie des films les plus récents ayant profité de cet accompagnement. Cette production, qui raconte l’histoire d’amour impossible entre une jeune recrue et son supérieur, a bénéficié du soutien de la Marine nationale et particulièrement des fusiliers marins de Lorient (en matière de conseil, d’infrastructures et de matériel).
« En amont, une relecture du scénario peut être faite par un conseiller militaire afin de le rendre plus plausible et de relever les détails dans le savoir-être, le savoir-faire des militaires qui lui paraissent incongrus. Puis, en phase de production, le conseiller aide à l’identification des besoins pour le tournage », détaille le commandant. En l’occurrence, la réalisatrice a obtenu l’autorisation de tourner sur la base navale de Brest. « Ça a demandé une organisation en fonction des contraintes du site mais cela se déroule généralement bien parce qu’un tournage a un fonctionnement assez militaire. Chacun est à son poste, a sa place et sait ce qu’il doit faire. »
Enfin, sur le tournage même, l’Armée offre un panel de services « afin d’aider la production à faire un film le plus vraisemblable possible ». Le conseiller militaire à la réalisation est placé à côté du réalisateur et le guide sur le vif. Un instructeur peut former des figurants sur le garde-à-vous, la marche militaire ou le repos. Une autre des bottes secrètes de l’Armée, c’est la formation des comédiens. Il est possible qu’un officier les prenne en charge pour leur montrer les bons gestes. Enfin, le conseiller historique peut lui avoir la charge de vérifier l’authenticité historique de certains détails comme c’est le cas en ce moment sur J’accuse de Roman Polanski qui traite de l’Affaire Dreyfus. Une fois le film terminé, l’Armée peut même être présente en phase de promotion si la production le demande.
Encore plus de collaborations à venir
C’est pour développer ce dialogue avec les créateurs, et plus spécialement les scénaristes, que la Ministre des armées, Florence Parly, a signé en septembre 2017, un accord de partenariat avec la Guilde française des Scénaristes. « L’objectif est de leur permettre d’accéder aux réalités du Ministère s’ils souhaitent développer des sujets sur notre domaine. »
En 2018, cinq « opérations scénaristes » ont été menées. Destinées à lever le voile sur des pans méconnus de l’Armée, elles permettent aussi de faire tomber des préjugés. La première d’entre elles a consisté à faire découvrir le renseignement militaire. Ont été organisées ensuite des formations sur l’engagement, sur la dissuasion nucléaire en association avec le commissariat de l’Energie Atomique et sur l’Armée de Terre où les scénaristes ont été témoins d’opérations sur le plateau de Satory. Dernière mission en date : la présentation de la cyberdéfense et la cybercriminalité. « On essaie d’intéresser les scénaristes sur des sujets qu’ils ne connaissent pas vraiment. On est en amont de leur écriture. » On le voit, il ne s’agit plus désormais d’attendre l’inspiration des créateurs mais de susciter leur intérêt.
Y a-t-il des limites à la collaboration entre l’Armée et le cinéma ? Le scénario doit-il être réaliste ? Y a-t-il des sujets tabous ? « On reçoit entre 150 et 200 demandes par an, répond le commandant Molinié, et comme la priorité est à l’opérationnel, on ne peut pas aider tous les projets. Donc on opère une sélection : le premier critère c’est de choisir un projet dont on espère qu’il ira au bout car on ne peut investir deux ans en vain. »