Laura Piani : « Dans une comédie tout est question de rythme »

Laura Piani : « Dans une comédie tout est question de rythme »

23 janvier 2025
Cinéma
« Jane Austen a gâché ma vie » réalisé par Laura Piani
« Jane Austen a gâché ma vie » réalisé par Laura Piani Les Films du Veyrier/Sciapode

Pour Jane Austen a gâché ma vie, sa première réalisation, la scénariste a choisi de raconter l’histoire d’une libraire inconditionnelle de l’autrice de Raison et Sentiments. Comment réaliser une comédie romantique en jouant avec ses codes et l’univers de Jane Austen ? Cette amoureuse éperdue du genre nous a répondu.


Qu’est-ce qui vous donne envie de vous lancer dans une comédie romantique pour votre premier long métrage ?

Laura Piani : Jane Austen a gâché ma vie est né de mon expérience à la librairie parisienne Shakespeare and Company, où j’ai travaillé entre la fin de mes études et les débuts de ma vie de scénariste, au milieu d’autres personnes qui en étaient aussi aux balbutiements de leurs vies professionnelles. Des acteurs, des musiciens, des aspirants auteurs… J’ai été très touchée par tous ces gens qui, comme moi, ne se sentaient pas appartenir au bon siècle et avaient choisi de trouver refuge dans la littérature. Le désir de faire le portrait d’une libraire empêtrée dans sa vie amoureuse, portée par un désir de devenir écrivaine qu’elle ressent comme trop grand pour elle vient donc en partie de là, associé à ma passion de cinéphile pour la comédie. La comédie de remariage, la comédie américaine des années 40/50… J’ai vraiment découvert le cinéma dans ma jeunesse avec The Shop Around the Corner de Lubitsch. Et ce film constitue la référence majeure en termes d’écriture de Jane Austen a gâché ma vie.

Avez-vous suivi des études de cinéma ?

Oui et de littérature aussi. J’ai développé une passion absolue pour la recherche en cinéma. J’étais heureuse de voir des films, de les analyser, d’y réfléchir… J’ai commencé un doctorat. Et puis j’ai eu un accident un peu particulier. (Rires.) J’ai été renversée par une moto alors que je distribuais des flyers pour McDonald’s, déguisée en Ronald McDonald ! Et comme le motard était en tort, j’ai été indemnisée. J’ai alors arrêté ma thèse pour voyager et je me suis mise à écrire pendant un an. J’ai compris que c’était mon truc. Puis à mon retour, j’ai décroché le concours du Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle. En sortant de cette école, j’ai travaillé comme scénariste pendant douze ans. J’ai adoré accompagner des réalisateurs sur des séries, des films d’auteur… Comme je n’avais aucun désir de réalisation, je n’éprouvais aucune frustration. Ce désir est vraiment né de l’écriture de Jane Austen a gâché ma vie et de ma rencontre décisive avec ma productrice Gabrielle Dumont.

J’ai été percutée par l’humour de Jane Austen, par son intelligence, mais aussi par le côté politique de son œuvre, par les grandes questions féministes qu’elle embrasse l’air de rien.

Comment a eu lieu cette rencontre ?

Nous nous sommes rencontrées il y a huit ans au Torino Film Lab où nous travaillions toutes les deux comme consultantes. À cette époque, j’écrivais des scénarios très durs, très noirs, très politiques et elle vivait exactement la même chose. Aussi, quand je lui ai confié ce désir de légèreté et d’optimisme que j’avais besoin de mettre dans un film, elle a rebondi tout de suite. Évidemment, les choses ont pris du temps, nous avons appris à nous connaître… Jusqu’au jour où je lui ai fait part de mes idées de comédies romantiques, parmi lesquelles Jane Austen a gâché ma vie sur laquelle elle a accroché. À ce moment-là, l’idée était que j’écrive le scénario et que nous cherchons ensemble un réalisateur ou une réalisatrice. J’ai toujours rêvé à des réalisateurs à qui j’avais envie de confier mes textes, mais cette fois je ne voyais pas. C’était trop proche de moi. Très intime sans être un récit autobiographique. J’ai eu envie de le réaliser moi-même, je me sentais capable et prête. C’est la force des premiers films : on s’entoure de tous les gens importants qui ont compté dans sa vie et le miracle opère. Par exemple, il n’y avait aucune chance que quelqu’un d’autre que moi puisse tourner à la librairie Shakespeare and Company, qui refuse toutes les propositions. Avoir leur encouragement m’a donné des ailes.

Quel rapport entretenez-vous avec Jane Austen ?

Elle m’a beaucoup accompagnée depuis que je l’ai découverte adolescente quand je recherchais avidement n’importe quelle histoire d’amour à lire pour comprendre ce que je vivais. Puis je l’ai redécouverte à la librairie Shakespeare and Company où je l’ai lue en anglais. J’ai été percutée par son humour, par son intelligence, mais aussi par le côté politique de son œuvre, par les grandes questions féministes qu’elle embrasse l’air de rien. La lire m’a énormément encouragée vis-à-vis de mon amour pour les histoires d’amour en tant qu’autrice, parce qu’elle avait compris que derrière un bon divertissement, nous pouvons tout dire d’une société. C’est très libérateur.

 

Comment avez-vous abordé votre scénario par rapport à tout ce que la comédie romantique charrie de références ?

Ce que je trouve très beau dans le fait d’écrire un film de genre – quel qu’il soit – c’est que nous sommes obligés d’avoir en permanence notre futur public en tête. Car nous savons que même les spectateurs les moins aguerris aux comédies romantiques auront intuitivement les clés du récit que nous développons. Puisque dans toute comédie romantique, il y a des rendez-vous par lesquels nous devons passer pour respecter le genre. Au lieu de m’intimider, m’inscrire dans cette filiation m’a libérée. Mon enjeu ici n’est pas de renouveler le genre, j’ai trop de respect pour lui, il est dans la justesse des sentiments et ma capacité à tendre un miroir à notre société sur l’amour et les mœurs.

Parmi les passages obligés que vous évoquez, il y a une scène de bal en costumes qui tient un rôle central dans ce que vit votre héroïne, Agathe. Comment l’avez-vous imaginée ?

J’aime les scènes de bal car ce sont les moments où les corps parlent et expriment les non-dits entre les personnages. Pour la préparer, j’ai revu Le Temps de l’innocence de Martin Scorsese et les films de James Ivory, dont Retour à Howards End. Mais comme je me situais à mille lieues de leur budget, il y a surtout eu beaucoup de débrouille. J’ai appelé à l’aide une comédienne que j’avais fait tourner dans un court métrage car elle est danseuse. Je n’avais pas les moyens d’avoir une chorégraphe. En quatre heures, elle a appris aux acteurs à valser et m’a sauvé la vie en venant avec son réseau de danseurs de salon, ce qui m’a permis d’avoir une figuration crédible en arrière-plan. Ma cheffe costumière Flore Vauvillé n’avait pas non plus les moyens de confectionner des costumes pour les comédiens et cette centaine de figurants. Alors, elle est allée acheter des robes en polyester chez Guerrisol sur lesquelles elle a cousu des manches et des détails d’accessoires pour que tout ait l’air vrai. Et pour trouver le meilleur moyen d’éclairer cette scène, j’ai revu Amadeus avec ma directrice de la photographie Pierre Mazoyer et nous avons choisi de multiplier les bougies plutôt que d’utiliser des tonnes de projecteurs. Nous avons filmé avec une Steadycam car je voulais que la caméra danse comme mes personnages, s’approche d’eux pour se situer au centre de la scène.

Ce que je trouve très beau dans le fait d’écrire un film de genre – quel qu’il soit – c’est que nous sommes obligés d’avoir en permanence notre futur public en tête.

Outre Amadeus, quelles sont les références que vous avez partagées avec Pierre Mazoyer ?

Pierre est très investie en préparation. Nous avons échangé pendant des mois sur des références de films, de couleurs, de photos, de peintures…. J’étais très précise sur mes envies. En termes de format par exemple. Je voulais du scope – chose plutôt inhabituelle pour une comédie romantique – car c’est le format du western, des grands espaces. Je trouvais intéressant de montrer au départ Agathe comme ensevelie sous les livres pour que nous la découvrons ensuite totalement perdue dans l’immensité de la campagne anglaise.

Cette culture britannique vous est-elle familière ?

Pas du tout. Je suis algérienne, italienne, corse… C’est vraiment la littérature qui a tissé ce lien chez moi, puis le cinéma. L’âge d’or des comédies romantiques anglaises des années 90, mais aussi les films de Mike Leigh, Stephen Frears. L’humour, la retenue et la pudeur de cette culture me parlent profondément.

Pourquoi avoir choisi la comédienne Camille Rutherford pour le premier rôle de votre film ?

Faire ce film dans une économie modeste a aussi été un choix. Je voulais qu’on ne m’impose rien en termes de casting. Comme spectatrice, j’éprouve toujours beaucoup de joie quand je vois pour la première fois dans un rôle principal une comédienne que j’ai déjà aimée dans différents rôles secondaires. J’ai souhaité faire la même chose comme réalisatrice. J’ai découvert Camille Rutherford dans Felicità de Bruno Merle. Il y a quelque chose de vraiment singulier chez elle, une grâce mélancolique, une maladresse naturelle qui épousent celles de son personnage. Camille ressemble à un portrait du Quattrocento, sans en avoir conscience et donc sans jamais en jouer. Elle me touche profondément. Et, en plus, elle est anglophone. Je n’ai pas eu besoin de lui faire passer d’essais. J’étais certaine que ce rôle était pour elle.

Mon enjeu ici n’est pas de renouveler le genre de la comédie romantique, j’ai trop de respect pour lui, il est dans la justesse des sentiments et ma capacité à tendre un miroir à notre société sur l’amour et les mœurs.

Jane Austen a gâché ma vie s’est-il beaucoup réécrit au montage ?

Quand on aime l’écriture, le montage constitue un moment extraordinaire. Qui plus est avec Floriane Allier qui commence à travailler dès le tournage en visionnant quotidiennement les rushes. Ce qui m’a permis de savoir ce qui pouvait manquer dans telle ou telle scène. Puis, une fois sur la table de montage, Floriane a été une force de proposition extraordinaire sans laquelle je n’aurais jamais pu à ce point décoller du scénario que j’avais en tête. Dans une comédie, tout est question de rythme. Et la manière dont les comédiens se sont emparés du texte change tout. Il faut être capable de se détacher de son travail d’autrice pour accompagner ce mouvement. Je peux dire que le film s’est donc énormément réécrit. Et ça m’a même donné envie d’en faire un autre très vite pour retourner en montage ! (Rires.)

Qu’est-ce qui vous a poussée à faire appel au compositeur Peter von Poehl pour la bande originale ?

J’adore sa musique, les BO qu’il a déjà composées pour le cinéma (Main dans la main…). C’est mon superviseur musical Martin Caraux qui m’a suggéré son nom. Il y avait beaucoup de morceaux déjà présents dans le scénario, dont Cry to Me, interprété par Marie Modiano qui ouvre le film en clin d’œil à la version de Solomon Burke dans Dirty Dancing. Mais c’est bel et bien Peter qui a trouvé le thème du film. Celui-ci est né d’une scène dans un restaurant chinois où Agathe voit un homme danser au fond de son verre. J’avais besoin de ce morceau avant le tournage et, pour l’imaginer, j’ai demandé à Peter de regarder In the Mood for Love parce que j’avais envie de cette tonalité-là, de ces couleurs-là pour cette scène. Peter m’a proposé un morceau qui, sur les deux premières notes, est précisément très proche du thème central d’In the Mood for Love. Et je l’ai tellement aimé que j’ai trouvé qu’au-delà de cette scène, il serait parfait pour traduire la musique intérieure d’Agathe. Peter a immédiatement rebondi et eu l’idée des instruments à vent, du hautbois et de la réorchestration de ce morceau de manière très différente à partir du moment où Agathe arrive en Angleterre. Dès qu’elle est toute seule, qu’elle rêve ou qu’elle fantasme, cette musique surgit. Comme dans toute comédie romantique, la musique tient un rôle essentiel.
 

JANE AUSTEN A GÂCHÉ MA VIE

Affiche de « JANE AUSTEN A GÂCHÉ MA VIE »
Jane Austen a gâché ma vie Paname Distribution

Réalisation et scénario : Laura Piani
Production : Les Films du Veyrier, Sciapode
Distribution : Paname Distribution
Ventes internationales : The Bureau Sales
Sortie le 22 janvier 2025

Soutiens sélectifs du CNC : Avance sur recettes après réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024)