Comment êtes-vous venu aux effets spéciaux numériques ?
Très tôt, j’ai désiré fabriquer, créer, inventer. Après des études d’électronique, je me suis posé la question de ce que serait ma vie professionnelle. Confucius a dit : « Choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour dans ta vie. » J’adorais l’informatique et le cinéma. J’avais un peu utilisé 3D Studio ou POV Ray, mais les formations de l’époque étaient très onéreuses. J’ai donc passé le concours de la filière Image et Son de la faculté d’Aix-Marseille (aujourd’hui appelée SATIS). Une formation en deux ans où l’on apprenait la chimie photo, la vidéo, le son, la création de CD-ROM… Le cursus permettait également de poursuivre ses études vers un DESS images de synthèse. En réalité, cette formation permettait surtout d’avoir accès à deux Silicon Graphics [stations de travail surpuissantes dédiées à la 3D et aux calculs haute performance, NDLR] équipées du logiciel Softimage 3D. Ce logiciel a été utilisé pour concevoir les dinosaures de Jurassic Park. C’était exceptionnel pour un établissement public de posséder deux ordinateurs de ce type. Dès la première année, ne pouvant avoir accès à ces machines, je rejoignais les étudiants du DESS le soir après les cours pour apprendre et comprendre. J’étais tout simplement fasciné… En 1997, à la fin de ma première année, j’ai eu l’opportunité de réaliser un stage chez Animaré, une entreprise fondée par des anciens de Gribouille. La société réalisait des cinématiques de jeux vidéo avec des personnages et en utilisant de la motion capture. C’était incroyable. Six mois plus tard, je quittais la faculté au beau milieu de ma deuxième année pour commencer à fabriquer les décors des cinématiques de Dungeon Keeper 2 puis de Outcast. Je vivais un rêve. Mais dix-huit mois plus tard, la société faisait faillite... J'ai alors rejoint BUF compagnie. Le rêve pouvait se poursuivre.
Comment les choses se sont-elles déroulées par la suite ?
Chez BUF, j’ai appris mon métier en travaillant sur des projets internationaux plus passionnants les uns que les autres : Matrix Revolution, Alexandre, Batman Begins, Le Prestige, Harry Potter et la Coupe de feu, Vol 93 et bien d’autres. J’ai eu la chance de partir sur des tournages et j’ai grandi en tant qu’artiste. C’est en 2009 que j’ai pris la décision de rejoindre PLUG Visual Effects. À cette époque, la société avait pour vocation de ventiler le travail VFX vers les différents prestataires. Avec mon arrivée, nous avons décidé de prendre en main la fabrication. Les ambitions internationales étaient déjà présentes et nous avons pu participer à des projets comme X-Men : Le Commencement ou Les Schtroumpfs 2. 2014 a été l’année du changement : PLUG Visual Effects est devenue THE YARD.
Une étape décisive pour votre carrière…
Je démarre une nouvelle entreprise, une nouvelle aventure. L’équipe s’étoffe petit à petit et je continue le travail de prospection du marché international. Le réseau se crée et la stratégie se met en place. À cette époque, déjà, le constat est simple : la France, riche de son histoire, possède les meilleures formations artistiques mais les talents, mondialement reconnus, quittent le pays pour avoir accès aux plus gros projets contenant des effets spéciaux numériques. La question était : comment mettre la France sur la « carte internationale des VFX » ? Une stratégie s’est mise en place. Il fallait définir et développer une offre internationale, réussir à attirer des projets prestigieux et conserver les talents en France… 2016 a marqué un premier tournant, puisque THE YARD a fabriqué les 700 plans du film Minuscule 2. Ensuite ont suivi Le Mans 66, la série WandaVision pour Marvel, Nomadland – triplement oscarisé – et bien d’autres. Aujourd’hui, THE YARD se positionne sur les projets internationaux les plus prestigieux et nous accueillons beaucoup d’artistes qui reviennent de l’étranger après une longue expérience internationale.
Quelle est la force de THE YARD ?
Nous sommes positionnés sur le marché international des longs métrages et des séries. Notre équipe est composée d’artistes renommés, un gage de sécurité et de confiance pour nos clients. Nous sommes une bande de passionnés ayant tous travaillé sur les projets les plus ambitieux de ces vingt dernières années et cela rassure aussi. Notre expérience de ce marché est notre force.
Quel est l’état actuel des VFX en France ?
Depuis la crise du Covid-19, nous avons tous constaté un renforcement sans précédent des plateformes mondiales de streaming. Une véritable bataille du contenu poussant chaque streamer à produire plus et plus vite. La demande est donc très forte et il y a effectivement beaucoup de travail sur le plan national et international. La France, grâce au crédit d’impôt international (C2i) notamment, est un territoire attrayant pour ces donneurs d’ordre internationaux. Mais dans ce contexte de concurrence exacerbée, il est important de montrer sa capacité à pouvoir fabriquer et délivrer des projets plus complexes (difficultés techniques ou nombre de plans plus élevés) avec des budgets bien plus importants. Il faut donc être structuré pour répondre à ces demandes. Il est aussi important d’unir nos forces. C’est en ce sens que nous avons mis en place des partenariats avec Dark Matters (studio de tournage et de production virtuelle), PICS Studio (le futur complexe de tournage dans le nord de Montpellier) et ARTFX (une école de graphisme parmi les plus renommées). Néanmoins, il ne faut pas oublier que la qualité des images prime avant tout et permet de sortir du lot.
Qu’est-ce que le César des effets visuels reçu pour Notre-Dame brûle (de Jean-Jacques Annaud) a-t-il changé pour vous et THE YARD ?
Aujourd’hui, c’est difficilement quantifiable. Bien entendu, ce prix nous a mis en lumière et a certainement conforté notre crédibilité. Mais dans les faits, je pense qu’il est trop tôt pour en mesurer les répercussions. Cela dit, je suis très honoré de faire partie des premiers lauréats [le prix a été créé en 2022, NDLR].
Comme vous le disiez, vous oeuvrez notamment pour de grosses productions américaines. Laquelle vous a le plus marqué ?
Je suis très fier de toutes les productions internationales sur lesquelles nous avons travaillé. Ces projets sont merveilleux et tous à leur manière correspondent à des rêves d’enfant. Il s’agit de projets ambitieux que nous aimons faire. Mais il y a aussi de grandes productions françaises sur lesquelles les artistes ont l’opportunité d’exprimer leur talent et de se dépasser.
Vous avez travaillé sur les effets visuels du film Indiana Jones et le cadran de la destinée. Les Américains et les Français ont-ils des demandes et des attentes différentes en matière de VFX ?
Ce projet est un rêve d’enfant qui a un goût particulier pour moi. J’ai été bercé par les Indiana Jones tout au long de mon enfance et avoir eu la chance de travailler sur un tel film est un véritable honneur. Surtout qu’au cours de la fabrication, pendant que l’on regardait les dailies [rushes NDLR] avec le superviseur VFX, celui-ci m’a dit : « Steven [Spielberg] a visionné votre séquence avec James [Mangold] et il a adoré… » Intrinsèquement, les demandes ne sont pas différentes. Mais les projets internationaux sont soutenus par des budgets bien plus importants que la majorité des projets français. Cela nous permet d’avoir des moyens plus grands pour fabriquer des images plus complexes avec des ambitions élevées. Les attentes ne sont donc pas différentes mais le niveau d’exigence est plus important. Et ce n’est pas simplement au niveau des images : c’est aussi sur la qualité et la rigueur des échanges. Tout est méthodiquement organisé, « processé », et il faut avoir l’expérience de ce type de production. Ce n’est pas de l’artisanat, c’est une véritable industrie.
> Plus d’informations sur THE YARD
Indiana Jones et le cadran de la destinée est en salles depuis le 27 juin 2023.