En 1979, François Truffaut déprime. Ses deux derniers films, La Chambre verte et L’amour en fuite, n’ont pas rencontré le public. Sa société de production, Les Films du Carrosse, est même sérieusement menacée. C’est dans ce contexte de crise qu’il se met au travail avec sa précieuse coscénariste, Suzanne Schiffman, durant l’été 79. Le sujet est tout trouvé. Truffaut caresse en effet l’idée depuis longtemps d’écrire un grand film sur l’Occupation. Deux raisons à cela : la découverte, à la fin des années 60, de ses origines paternelles juives (il est né de père inconnu) et le choc reçu à la vision du Chagrin et la Pitié (1971), le documentaire de Marcel Ophüls, chronique de Clermont-Ferrand sous l’Occupation. Une histoire vraie va nourrir ses réflexions avec Suzanne Schiffman, celle de Margaret Kelly et de son mari juif, Marcel Leibovici. Danseuse franco-irlandaise, Margaret Kelly créa la troupe des Bluebell Girls au sein du cabaret du Lido où Leibovici était pianiste. Arrêté par l’occupant allemand puis interné dans un camp, ce dernier réussit à s’enfuir et fut caché par sa femme au nez et à la barbe de la police française... L’anecdote fournit la trame principale à François Truffaut qui décide de la transposer dans le cadre d’un grand théâtre parisien sous l’Occupation. Ce choix est guidé par l’envie du cinéaste de montrer l’envers du décor de la création théâtrale comme il l’a fait pour le cinéma dans La Nuit américaine.
Catherine Deneuve, avec qui il n’a plus tourné depuis La Sirène du Mississippi, dix ans auparavant, sera Marion Steiner, une grande actrice à la tête du théâtre de son mari juif, qui a mystérieusement disparu. Ce dernier, caché dans les sous-sols du théâtre, est interprété par Heinz Bennent, un acteur allemand vu dans Section spéciale et Clair de femme de Costa-Gavras ou Le Tambour de Volker Schlöndorff. Certains ont vu chez Bennent une ressemblance physique troublante avec Truffaut, renforcée par le côté démiurge de ce personnage qui dirige la vie de son théâtre à distance, tel un réalisateur derrière son écran de contrôle. L’hypothèse est d’autant plus séduisante que la relation complexe de Lucas Steiner avec sa femme peut renvoyer de son côté à l’histoire d’amour inachevée entre Truffaut et Deneuve sur le tournage de La Sirène du Mississippi... Face à eux, Gérard Depardieu campe Bernard Granger, une star de la scène montante qui cache à ses partenaires son engagement dans la Résistance et qui ne laisse pas indifférente Marion Steiner. Jean Poiret en metteur en scène suppléant, Sabine Haudepin en jeune première, Andréa Ferréol en décoratrice, Maurice Risch en régisseur ou Jean-Louis Richard en critique collabo (inspiré d’un certain Alain Lambreaux) complètent une distribution prestigieuse. Au micro de France Inter, en 2018, Andréa Ferréol se souvenait d’un tournage passionnant auprès d’un cinéaste particulièrement attentif et à l’écoute de ses comédiens. Elle révèle notamment que François Truffaut l’appela un jour au moment du montage du film. « J'ai un problème, me dit-il. Dans les scènes qu'on a tournées, vous embrassez Jean-Louis Richard, qui est plutôt collaborateur, alors que votre personnage est très sympathique et ça m'ennuie beaucoup de montrer que vous êtes peut-être un peu du côté des collaborateurs. Est-ce que si je coupe les scènes, ça vous ennuie ? ».
Le montage aura duré quatre mois. Truffaut en ressort épuisé et toujours habité par le doute. À la suite d’une avant-première en septembre 1980, il déclare : « C’est foutu, ils n’ont pas aimé, c’est foutu ». Le public fera à l’arrivée un triomphe au Dernier métro qui, avec près de 3,5 millions d’entrées, sera le plus gros succès du réalisateur derrière Les Quatre Cents coups. L’année suivante, le film récolte dix César - un record seulement égalé par Cyrano de Bergerac, quatorze ans plus tard. Dans la foulée de la cérémonie, François Truffaut réservera une page entière dans le journal professionnel Le Film français pour remercier ses deux acteurs qui n'avaient pas eu de César, Heinz Bennent et Andréa Ferréol.