C’est le poste technique le plus prestigieux après celui de metteur en scène : si ce dernier est le grand maître d’œuvre d’un film, le directeur de la photographie est celui qui apporte la lumière en fonction de laquelle les acteurs, les décors et les costumes brilleront d’un jour particulier. « Le directeur photo est la personne qui fait se rencontrer la vision d’un metteur en scène et la réalité », dit joliment Caroline Champetier, l’une des premières femmes à avoir embrassé ce métier en France. Depuis les années 1980, les plus grands réalisateurs font appel à elle, de Jean-Luc Godard à Leos Carax, en passant par Jacques Doillon, Xavier Beauvois, Benoît Jacquot, André Téchiné, Arnaud Desplechin ou Barbet Schroeder. Une pointure au parcours classique : étudiante à l’IDHEC (la grande école publique de cinéma, ancêtre de la Fémis), dont elle sortira diplômée en 1976, puis assistante pendant huit ans du grand chef op’ William Lubtchansky (fidèle de Varda, Godard et Rivette), elle se fera la main sur quelques courts métrages avant de se lancer dans le grand bain. « Les gens qui sortent des écoles et qui se proclament spontanément directeur de la photo me posent problème.
Le directeur photo est le chef de l’équipe image, constituée d’électriciens-éclairagistes, d’un cadreur – qui peut être le directeur photo en personne – et d’assistants dédiés à la lumière et au cadre. Le nombre de membres qui la constitue varie selon l’ampleur des films. « On peut faire des choses magnifiques à quatre comme à trente, commente Caroline Champetier. Sur le dernier Leos Carax, Annette, que je viens de terminer, nous étions près de vingt, ce qui est une configuration assez lourde. Dans tous les cas, la confraternité est importante car notre responsabilité est énorme envers les acteurs. En outre, on ne peut pas se louper : ce qui est tourné est tourné ; ce n’est pas comme au montage où l’on peut faire et défaire sans arrêt les choses. »
Pour le directeur photo et son équipe, tout commence en amont du tournage. « Les repérages sont déterminants – quand on ne tourne pas en studio. Dès l’instant où les décors sont choisis, on établit des listes de matériel (pour la lumière et la caméra) qui vont orienter l’éclairage et les mouvements éventuels. À partir de ces éléments, on construit des logistiques de tournage qui peuvent varier selon les décors et les séquences. » Le tournage peut commencer. Sur le plateau, le directeur photo est, avec le réalisateur et l’assistant-réalisateur, le personnage le plus respecté. Caroline Champetier relativise cependant. « Mon autorité n’est pas aussi évidente que si elle émanait d’un homme. De ce point de vue-là, les mentalités n’ont pas beaucoup évolué. Ça reste archaïque. Je constate que, parmi mes jeunes collègues féminines, il y a beaucoup de solidarité. Mais ne nous plaignons pas : le cas de la France est assez unique. Nous sommes beaucoup plus nombreuses à ce poste que dans n’importe quel pays au monde. »
À quel point l’arrivée du numérique a-t-elle changé la donne ? « Par rapport à l’argentique, nous avons un peu perdu en nuances, mais le travail de l’image reste passionnant. Les fabricants de caméras et d’optiques proposent des outils de plus en plus performants qui réduisent progressivement l’écart avec l’argentique. Ça nous demande une formation continue et un niveau technique très élevé. » Comment voit-elle l’avenir à l’heure du streaming qui rétrécit les écrans et des effets visuels qui se substituent à l’image tournée ? « Je n’ai rien contre les séries. On m’a contactée pour La Servante écarlate, mais j’ai décliné pour des raisons de planning. Je pense que la grande difficulté, pour une série, doit être la routine. On est toujours plus ou moins dans les mêmes décors, il faut arriver à se renouveler... J’ai vu The Irishman dont le de-aging m’a beaucoup dérangée. Dans l’avenir, je pense que notre responsabilité va être de défendre l’image, de rester près de l’humain. »