L’histoire débute il y a dix ans. David Foenkinos, qui vient de publier Nos Séparations (2008), propose à Rémi Bezançon, dont le film Le Premier Jour du reste de ta vie est sorti en salles quelques mois plus tôt, d’adapter le roman au cinéma. Si le cinéaste s’avoue particulièrement sensible à l’écriture de Foenkinos, il préfère pourtant ne pas donner suite, jugeant le roman trop personnel. Les échanges entre les deux artistes se poursuivent au fil des ans et une belle amitié se noue. Lorsque Le Mystère Henri Pick paraît en 2016, Rémi Bezançon est d’emblée séduit par le potentiel cinématographique du livre. Faire un film sur une enquête littéraire : voilà de quoi enthousiasmer le réalisateur et sa co-sénariste, Vanessa Portal.
Ecrire une comédie littéraire
« Le caractère romanesque de l’histoire, cet incroyable succès d’un manuscrit dont personne ne voulait, cet auteur improbable qui rend perplexe un éminent critique littéraire, sont autant d’éléments qui nous ont inspiré l’écriture du scénario » révèle Rémi Bezançon, conquis par l’image poétique d’une bibliothèque des livres refusés. Vanessa Portal reconnaît quant à elle avoir été séduite par le fait d’écrire une comédie littéraire et de brosser une caricature du milieu de l’édition : « Je connais bien ce milieu pour y avoir travaillé à mes débuts en tant que « prête-plume ». Ecrire une comédie dans laquelle on pourrait se moquer avec élégance de la surenchère des éditeurs autour d’un best-seller, et faire rire sur la littérature m’ont paru aussi jubilatoire qu’inédit. Faire des blagues sur Marguerite Duras, ça nous amusait ! »
S’il est parfois difficile d’expliquer l’envie d’adapter un roman tant le projet apparaît comme une évidence, certains éléments peuvent déterminer une potentielle adaptation cinématographique : un personnage fort, une histoire originale qui pique la curiosité au vif, une intrigue cohérente, une écriture « visuelle » que l’on peut s’approprier.
Des qualités que Rémi Bezançon a appréciées à la lecture du livre de David Foenkinos. L’écrivain, qui a déjà vu deux de ses romans portés sur grand écran, aurait-il un secret pour inspirer autant le cinéma ? « Ce qui provoque l’envie chez un scénariste, et a fortiori chez un réalisateur, c’est avant tout l’écriture. » précise-t-il. « David Foenkinos écrit des histoires contemporaines dans lesquelles on se projette facilement. Ses dialogues, très beaux, très imagés, sont des sources d’inspiration pour le scénario voire pour la mise en scène. Même si finalement, nous n’avons pas gardé un seul dialogue original dans le film : le langage écrit n’a rien à voir avec le dialogue parlé ! ».
Une réécriture complète de l’histoire
Ecrire un scénario à partir d’un roman pourrait s’avérer plus simple qu’écrire un scénario orignal. Il n’en est rien. Le travail d’adaptation nécessite une réécriture complète de l’histoire, selon un point de vue différent, un angle cinématographique. « On parle souvent de trahison quand on évoque l’adaptation d’une histoire, mais il s’agirait plutôt de parler d’appropriation. Adapter, c’est en fait proposer une autre version de la même histoire. Le Mystère Henri Pick nous a demandé près d’un an d’écriture, puis une autre année entre le tournage du film et la post-production. C’est un travail de longue haleine, avec des contraintes importantes mais stimulantes » ajoute le cinéaste.
L’une des difficultés dans l’adaptation cinématographique d’un roman consiste à passer d’un langage « pensé », élaboré, à un langage visuel. « J’avais quelques réticences à l’idée de travailler sur une adaptation. Je craignais d’être enfermée dans la trame du livre. » admet Vanessa Portal. « Mais les mots et l’image sont deux façons différentes de fabriquer une histoire. Un livre n’est ni un film, ni un scénario. Ecrire un scénario, c’est donner des indications factuelles, précises : c’est de ce support dont dépend la direction du film. Un scénario est dépourvu de figures de style, de rhétorique ; il n’a pas vocation à être publié. Le cinéma impose une sorte d’« écriture réelle », l’histoire étant livrée de façon plus directe aux spectateurs ».
Des contraintes cinématographiques
Autre difficulté pour les scénaristes : l’attente du lecteur. Celui-ci s’étant lui-même fabriqué sa propre histoire lors de la lecture, les scénaristes sont d’autant plus attentifs à ne pas le décevoir. « Il existe une sorte de contrat tacite entre le scénariste, l’auteur et le lecteur : la fidélité à l’histoire. Contrairement au romancier, qui a une liberté folle en termes d’inventivité et qui a pour seul interlocuteur son éditeur, nous, en tant que scénaristes, devons rester attentifs à ce que l’on écrit dans le scénario, ce qui est de l’ordre du « réalisable » ou pas, non seulement concernant la mise en scène, mais aussi pour les techniciens, les acteurs, la production... Nous avons un cahier des charges à respecter et devons prendre en compte la réalité du marché. » raconte Rémi Bezançon.
Adapter un roman implique de faire des choix afin de tenir une ligne directive cohérente. Le premier que les coscénaristes font en adaptant Le Mystère Henri Pick est de se focaliser sur un seul personnage plutôt que d’écrire un film choral, comme le suggérait le roman. « Il nous a paru évident que le personnage du critique littéraire – qui n’arrive qu’à la page 151 dans le livre – serait le fil conducteur du film. C’est ce personnage qui initie et qui mène l’enquête, un peu comme un Hercule Poirot dont les petites cellules grises serviraient à retrouver non pas l’auteur d’un crime mais celui d’un chef d’œuvre ! Le fait de dessiner le film autour de ce personnage nous a permis de jouer avec les codes du polar, si propice à un film qui parle de littérature ». Et Vanessa Portal de compléter : « Et, drôle de coïncidence : il s’avère qu’à la lecture du roman, nous avons tous deux donné au personnage du critique Jean-Michel Rouche les traits de Fabrice Luchini ! Nous lui avons donc écrit un rôle sur mesure, en espérant qu’il accepterait le projet. De même, d’un point de vue dramatique, il y avait matière à jouer avec ce personnage très germanopratin qui « s’exile » sur la presqu’île de Crozon, dans le Finistère, et qui évolue dans un environnement totalement inconnu. Ce côté « poisson hors de l’eau » amène toujours des situations intéressantes en termes de dramaturgie. »
Une écriture débridée
Le réalisateur et sa coscénariste vouent ainsi une attention toute particulière à l’écriture des personnages. « Au début de l’écriture, nous définissons une sorte de charte sur laquelle repose la ligne directrice du film et qui nous aide à résister à la facilité de certaines scènes. Par exemple, en écrivant le scénario du Mystère Henri Pick, il est arrivé qu’une situation comique à laquelle nous n’avions pas pensé se profile d’elle-même mais aille à l’encontre de la psychologie du personnage, cassant ainsi le rythme narratif. Mais nous ne sacrifierons jamais la psychologie d’un personnage au profit d’un gag. Ce sont les personnages qui guident le spectateur dans la narration. Quand on ne les respecte pas, quand on les maltraite, quand ils ne s’incarnent pas dans notre esprit, alors le film ne fonctionne pas parce qu’on est sorti de l’histoire et l’on n’y croit plus » révèle Rémi Bezançon.
L’écriture connaît ainsi plusieurs étapes. La première version est celle de tous les possibles. « Au début de l’écriture du scénario, on ne se met aucune barrière : l’écriture doit être débridée afin de nourrir notre créativité » affirme Vanessa Portal. Vient la phase de réécriture, où les scénaristes « testent » ce qu’ils ont écrit. « A mon sens, écrire à quatre mains est plus agréable et plus stimulant qu’écrire seul. Cela nous permet de confronter nos idées, de jouer les dialogues –même si nous sommes de piètres acteurs !- et de constater immédiatement ce qui fonctionne ou pas. Chacun de nous a sa spécificité, sa sensibilité. Il arrive que l’un ou l’autre « sente » plus telle ou telle scène et l’écrive seul. C’est d’ailleurs important ces phases d’écriture solitaire. On a parfois besoin de chercher dans note coin l’idée, le rythme, le ton. Puis on échange, on coupe, on réécrit. » poursuit-elle.
L’écrivain peut jouer un rôle particulier dans le travail d’adaptation, intervenant comme scénariste ou comme consultant (David Foenkinos a par exemple scénarisé et co-réalisé La Délicatesse, adapté de son propre roman). Pour Le Mystère Henri Pick, l’auteur n’a pas été associé à l’écriture de l’adaptation, préférant laisser vivre son histoire à travers le regard du duo Bezançon-Portal. Le réalisateur explique : « David Foenkinos est très souple et a l’habitude des adaptations. Connaissant notre travail, il savait que le film serait fidèle à son roman même si notre façon de raconter son histoire est différente. Et je ne souhaite pas écrire l’adaptation d’un livre avec son auteur. Cela induirait que l’auteur reste finalement le seul maître à bord de l’adaptation, comme un « gardien du temple ». J’ai besoin de m’approprier l’histoire, de l’adapter sans risque d’ingérence. De la même façon, j’aurais du mal à réaliser un film écrit par un autre scénariste. J’ai besoin d’être compétemment investi dans l’histoire. »
Le Mystère Henri Pick sort en salles le 6 mars 2019. Réalisé par Rémi Bezancon sur un scénario de Vanessa Portal et Rémi Bezançon, le film réunit Fabrice Luchini et Camille Cottin. Il est produit et distribué par Gaumont.
Le Mystère Henri Pick