Le photographe de plateau, un témoin qui capture l’instant

Le photographe de plateau, un témoin qui capture l’instant

18 août 2023
Cinéma
Plateau de tournage
Le métier de photographe de plateau, un équilibre entre vision artistique et marketing Michel Brussol, Commission du film du Var

À l’occasion de la journée mondiale de la photographie ce 19 août, focus sur le métier de photographe de plateau. Engagé par la production, ce professionnel de l’image est présent pour immortaliser aussi bien le tournage des scènes que les répétitions ou les moments entre les prises. Autant de clichés qui serviront à la promotion du film.


Jean-Claude Moireau DR

À travers ses clichés, le photographe de plateau a la difficile mission de traduire en images l’esprit et l’histoire du film, en donnant également un aperçu des coulisses du tournage. Mais il doit avant tout trouver un équilibre entre vision artistique et marketing : ses images doivent témoigner de sa vision personnelle du tournage tout en respectant celle du réalisateur et celle de la production qui utilisera ces clichés pour le dossier de presse, et dans certains cas pour l’affiche. « J’ai tendance à oublier le marketing, ce n’est pas mon domaine et les photos que je préfère ne sont pas forcément celles qui seront utilisées pour les magazines et les salles de cinéma. C’est très subjectif », confie Jean-Claude Moireau, qui a notamment travaillé sur tous les films de François Ozon, comme Sitcom, Swimming Pool, Peter von Kant ou encore Grâce à Dieu.

Sur le plateau, il capture l’instant sans pour autant chercher à faire des photos en pensant à une affiche possible. « On ne sait pas à l’avance quelles photos seront sélectionnées. Il y a une clause dans notre contrat qui nous permet de toucher des droits pour l’affiche si l’un de nos clichés est choisi. Mais il y a différents cas de figure : la production peut miser sur un dessin ou une capture d’écran. »

L’importance de la lumière

Étape essentielle avant de se rendre sur le tournage, la lecture du scénario. « Il faut savoir où on met les pieds, confirme Jean-Claude Moireau. Si je n’ai pas encore travaillé avec le cinéaste et si ce dernier souhaite me rencontrer, il peut me préciser ce qui est important pour lui. Personnellement, je ne pose pas toujours la question. Si on me fait venir tel ou tel jour, c’est pour une bonne raison ». Aujourd’hui, le photographe de plateau n’est plus engagé chaque jour du tournage, en grande partie pour des raisons budgétaires. « Certaines productions choisissent les jours où sont rassemblés tous les comédiens principaux, mais ce ne sont pas toujours les moments les plus intéressants. »

S'il garde une grande liberté sur le plateau, le photographe doit travailler avec le chef opérateur pour respecter l’esthétique et la lumière du film, même si l’étalonnage change un peu la donne par la suite. Savoir à l’avance si des filtres sont utilisés pour certaines séquences - et lesquels - peut éviter des déconvenues. « Je me rappelle qu’une fois - heureusement ce fut la seule -, rien ne m’avait été précisé et je n’avais pas eu l’occasion d’en parler avec le chef opérateur. Résultat : si le cadre et l’expression des visages convenaient, ce n’était pas du tout l’ambiance souhaitée ! »

Bien connaître le réalisateur du film facilite également les choses. C’est le cas pour Jean-Claude Moireau avec François Ozon. Les deux hommes ont collaboré une première fois pour Sitcom, le premier long métrage du cinéaste sorti en 1998. Un projet qui était également le premier film photographié par Jean-Claude Moireau. « Avec le temps, on a appris à travailler ensemble. Avec François, j’ai appris à ne pas perdre de temps, il faut aller vite, c’est énergie et concentration. Il a également pris l’habitude, depuis quelques films, de me faire venir le jour des essais filmés. Il y a beaucoup de photos à faire ce jour-là. Certaines d’entre elles seront utilisées dans un décor donné après avoir été retravaillées par l’équipe décoration : ce fut le cas pour Frantz, où il y avait un grand besoin de photos de famille anciennes en noir et blanc ou sépia ».

Discrétion et efficacité

L’une des difficultés du métier est de rester discret pour ne pas gêner le tournage. « Il ne faut pas nous entendre, la technique est importante mais la qualité de la relation humaine est plus essentielle encore », rappelle Jean-Claude Moireau en précisant que le changement technologique a facilité son travail. « Lorsque j’ai commencé avec un appareil argentique, je ne pouvais pas shooter pendant les prises car il m’aurait fallu un « blimp », un caisson étanche au bruit, que je ne possédais pas encore. Je devais donc attendre la dernière prise d’un plan pour faire mes photos. J’ai appris à travailler vite, de 15 à 20 secondes pour une série de photos, et à accepter de ne pas tout avoir. Bien sûr, il en résulte une certaine frustration : j’aimerais parfois demander aux acteurs de refaire un geste et reprendre une attitude. Mais le temps ne le permet pas. Et dans la photo, il faut à la fois faire et laisser faire. »

Tournage du film Les Regrets de Cédric Kahn Jean-Claude Moireau

Autre impact de l’évolution technologique : le numérique a facilité les réglages. « Je me suis mis au numérique tardivement, en 2007. Avec l’argentique, dès qu’on passait d’une séquence intérieure à des extérieurs,  il me fallait changer de pellicule ou de boîtier si j’en avais plusieurs… Dans les labos semi-professionnels avec lesquels j’ai travaillé à mes débuts, c’étaient des tirages automatiques qui ne respectaient pas l’intégralité du cadre. Aujourd’hui, un simple changement de réglage suffit. L’archivage est également plus simple : je faisais peu de rouleaux avant car il fallait économiser. Maintenant, on a forcément tendance à multiplier les prises de vue, ce qui augmente les chances d’avoir la bonne photo. 

Enfin, le métier de photographe pour le cinéma est également impacté par les baisses des budgets, ce qui pousse certaines petites productions à ne pas faire appel à ces professionnels de l’image. « C’est l’un des premiers postes à disparaître s’il faut faire des économies. Dans ce cas, on peut avoir recours à des captures d’écran, ce qui me désole un peu même si ce n’est pas une pratique nouvelle. Les photogrammes sont utiles si le cinéaste, les producteurs et les distributeurs souhaitent pour l’affiche un plan précis extrait d’une séquence que le photographe n’a pu couvrir car il n’était pas présent ce jour-là sur le tournage ».

D’une envie de cinéma à la photo

Même s’il a pratiqué la photographie dès son adolescence, Jean-Claude Moireau est surtout un grand cinéphile. « Beaucoup de comédiens ont eu la surprise de découvrir que j’avais vu des films dans lesquels ils avaient joué et que personne ne connaît ! C’était le cas de Charlotte Rampling lorsque je lui parlais de ses longs métrages italiens. Ça n’a l’air de rien mais avoir des filmographies dans la tête m’a aussi aidé ».

C’est grâce au réalisateur Jean-Claude Guiguet, un ami qu’il avait en commun avec François Ozon, qu’il rencontre celui dont il suit le travail dès le début. « Il avait besoin d’un photographe, et c’est ainsi que j’ai vraiment commencé après avoir fait des photos sur plusieurs courts métrages. François Ozon ne fait pas que tourner des films, il construit une œuvre : on voit bien comment l’un renvoie à l’autre, il revient toujours à des thèmes récurrents, des obsessions. Son travail est passionnant en termes d’essais, d’audaces, de talent ».

Jean-Claude Moireau n’a pas pour autant mis ses envies de cinéma de côté. Celui qui a débuté comme photographe de film à 43 ans a tourné un premier court métrage, Signe d’hiver, en 2002. Il est membre de l'association des Photographes de Films Associés et de l'ACID (association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion).