1980 reste une année particulièrement prolifique dans votre carrière. Vous sortez à quelques mois d’intervalle La Mort en direct et Une semaine de vacances. Comment s’est passé cet enchaînement ?
Bertrand Tavernier : J’étais très en colère de la manière dont la sortie de La Mort en direct avait été bâclée par son distributeur qui avait notamment refusé de le sortir en version originale. J’étais donc très heureux de repartir au plus vite sur une nouvelle aventure en revenant aux sources, à Lyon, ma ville de naissance.
Comment est née précisément l’idée d’Une semaine de vacances ?
J’avais depuis quelques temps l’envie d’adapter Je suis comme une truie qui doute, dans lequel Claude Duneton racontait ses souvenirs d’enseignement et d’échanges avec ses élèves. Mais Claude n’avait pas envie de transposer lui-même son livre en scénario et il m’a conseillé une de ses amies enseignantes, Marie-Françoise Hans. Quand je l’ai rencontrée, Marie-Françoise m’a parlé de ce sentiment que connaissent, un jour ou l’autre, tous les profs : ce moment de découragement qui leur fait perdre le goût d’enseigner et ressentir ce besoin irrépressible de prendre un congé pour s’éloigner de l’école. Très vite, j’ai compris que je tenais là le point de départ d’Une semaine de vacances, dont Je suis comme une truie n’a donc au final été qu’un détonateur. J’ai développé cette idée avec Marie-Françoise, indispensable pour tous les détails pratiques liés à l’univers du lycée et j’ai demandé à mon ex-femme Colo (Tavernier O’Hagan) de nous rejoindre. Nous venions de nous séparer et j’ai eu envie de la faire débuter comme scénariste, comme j’avais pu le faire avec Christine Pascal sur Des enfants gâtés, à la fin duquel on pouvait déjà entendre un texte sublime et bouleversant écrit par Colo. Colo était réticente mais je ne regrette pas d’avoir insisté.
Pourquoi cette thématique d’une prof de français doutant soudain de sa vocation vous a attiré ?
Parce qu’il s’agit d’un récit quasiment autobiographique ! Je me retrouvais totalement dans cette femme qui a soudain peur d’affronter les élèves. Cette angoisse ressemble à celle que je peux avoir sur un plateau. Est-ce que je vais savoir diriger la scène ? Est-ce que je vais être à la hauteur ? Est-ce que je vais réussir à ne pas être débordé ? Est-ce que ce que je suis en train de faire va intéresser des gens ? C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles on croise autant de professeurs et d’instituteurs dans mes films.
Classes surchargées, changements incessants de programmes, élèves et professeurs impuissants face aux nombreuses réformes… Une semaine de vacances a beau fêter son quarantième anniversaire, il n’a rien perdu de son actualité.
C’est vrai mais la question sociétale n’était pas primordiale ici comme elle le sera dans Ca commence aujourd’hui. Avec Une semaine de vacances, je voulais avant tout traiter de cette peur d’enseigner qui existe même si en apparence tout semble aller très bien. C’est pour cela que j’avais choisi de situer l’action dans un lycée privilégié d’un quartier bourgeois de Lyon. Une semaine de vacances est un film plus métaphysique que sociétal, même si bien évidemment il n’est pas déconnecté de la réalité de l’époque.
Nathalie Baye et Gérard Lanvin incarnent les deux personnages principaux d’Une semaine de vacances. Les aviez-vous en tête dès l’écriture du scénario ?
Gérard, oui. Je l’avais trouvé formidable dans un de ses premiers films, Tapage nocturne de Catherine Breillat. Mon directeur de la photo Pierre-William Glenn qui tournait avec lui Extérieur, nuit de Jacques Bral m’a suggéré de l’appeler. Je l’ai rencontré et j’ai tout de suite eu un contact formidable avec lui. On m’a confié récemment qu’il s’agissait d’un ses meilleurs souvenirs de tournage et j’en suis particulièrement heureux car j’ai adoré travailler avec lui.
Pour quelles raisons ?
Pour sa simplicité et sa drôlerie. Je l’ai tout de suite laissé libre de rajouter des phrases dans les dialogues écrits pour éviter qu’il se sente prisonnier du texte. Gérard a un sens de la langue absolument épatant. Il transforme tout avec légèreté et cocasserie. Et il a formé un couple sublime avec Nathalie Baye…
Nathalie Baye est arrivée plus tard que lui sur le projet ?
Oui car j’avais écrit ce personnage pour Arlette Bonnard, mon héroïne des Enfants gâtés. Mais après avoir tourné Une histoire simple de Claude Sautet, elle a décidé de ne plus faire de cinéma et de se consacrer entièrement au théâtre. Elle avait été traumatisée par son expérience sur ce film. Arlette est une protestante, issue du théâtre public et elle avait eu la sensation de se retrouver face à une gabegie d’argent qui l’avait révoltée et dégoûtée. J’étais à ce moment-là encore en cours d’écriture et j’ai assez vite pensé à Nathalie. Sur le plateau, dès le premier jour, c’est comme si Une semaine de vacances avait été écrit pour elle. Elle était tellement juste, elle traduisait si merveilleusement la peur de son personnage tout en vous faisant fondre dès qu’un sourire illuminait son visage. Elle était sublime à cadrer. Et il s’est passé quelque chose de très fort entre elle et Lanvin pendant le tournage. Au point que cela m’a incité à réécrire la fin du récit. Je monte toujours mes films en parallèle des tournages. Et face à ce que je voyais, il m’apparaissait totalement impossible que leurs personnages se quittent à la fin comme prévu. Colo est donc venue me rejoindre à Lyon et on a imaginé une scène offrant une fin plus ouverte.
A leurs côtés, on retrouve notamment Philippe Noiret qui reprend, le temps de quelques scènes, le rôle qu’il tenait dans votre premier long métrage L’Horloger de Saint- Paul. Qu’est ce qui vous a donné envie de le voir réapparaître ?
Je voulais simplement savoir ce qu’il était devenu ! (rires) J’avais envie de le revoir comme j’avais envie que Philippe soit dans le film. De la même manière que je souhaitais retrouver Michel Galabru après Le Juge et l’assassin mais avec un visage qu’il n’avait encore jamais montré. J’ai voulu ici utiliser ses souvenirs personnels de cancre pour qu’il s’empare pleinement de son personnage. Tout son monologue sur la vie d’un cancre est ainsi, pour une large part, improvisé par lui. Enfin, j’ai eu le bonheur de diriger Jean Dasté, l’un des héros de L’Atalante avec qui j’ai passé deux jours merveilleux à échanger sur ses souvenirs de Jean Vigo.
Une semaine de vacances est la toute première bande originale de film signée Pierre Papadiamandis, le compositeur attitré d’Eddy Mitchell. C’est votre passion pour Eddy Mitchell qui vous a poussé à faire appel à lui ?
J’avais en effet envie que des titres d’Eddy Mitchell - comme La Dernière séance - ponctuent le récit. Dans l’équipe, on était tous fous de lui, on connaissait un nombre incalculable de ses chansons par coeur. Alors, j’ai voulu aller plus loin et j’ai donc demandé à Pierre Papadiamandis de s’essayer à cet exercice inédit pour lui de la musique de film. C’est un pianiste absolument formidable et il a composé pour Une semaine de vacances des mélodies merveilleuses de délicatesse et trois chansons originales qu’interprète Eddy qui en a aussi écrit les textes : Une semaine ailleurs, Rien qu’un numéro et Sens unique. Je n’avais jamais rencontré Eddy avant la séance d’enregistrement où il a été un modèle de professionnalisme. Une prise et une seule pour chaque chanson. Et c’est cette rencontre qui m’a poussé à lui proposer dans la foulée de jouer dans Coup de torchon.
Avec quarante ans de recul, comment Une semaine de vacances s’inscrit-il dans votre filmographie, selon vous ?
Je le placerais dans un courant qui va de Des enfants gâtés à Ca commence aujourd’hui. Des films qui essaient de toucher de manière tout sauf scolaire et dogmatique à des sujets où il est question de communication, du rapport à l’autre. Et je trouve que ce film reste extraordinairement actuel. Il est en plus servi par la plus belle photo jamais créée par Pierre-William Glenn avec Le Juge et l’assassin. Son travail sur le scope est remarquable avec une série de plans aussi ébouriffants à créer sur le plateau qu’à regarder sur un grand écran.