Passer d'une scène de Game of Thrones à un film policier, d'un personnage de petit garçon à celui d'une femme fatale, le tout parfois en moins de 48 heures. Ce grand écart est le lot presque quotidien des comédiens pratiquant le doublage. Cette diversité de rôles, sans commune mesure avec ce que vivent les acteurs de cinéma, est l'un des plus grands avantages de cette profession méconnue du grand public.
« Quand on double un rôle dans un Spielberg, dans un Harry Potter ou Game of Thrones, c'est un vrai plaisir d'aller aborder ces univers-là, pas forcément accessibles quand on est un acteur français », ajoute Claire Beaudoin qui a notamment doublé des héros des séries L'Arme fatale, Les Enquêtes de Murdoch, True Detective et The Killing.
Cette diversité est une vraie richesse pour ces artistes loin d'être frustrés par le fait d'être connus avant tout pour leur voix. « J'ai fait du théâtre, j'écris pour le théâtre, je fais beaucoup d'autres choses. Il se trouve que le doublage a fonctionné plus facilement que les autres facettes du métier », confie Céline Monsarrat. Comme pour de nombreuses voix VF, c'est le hasard qui a fait entrer cette comédienne dans le monde du doublage. Alors que des formations existent, c'est ainsi souvent grâce à une rencontre déterminante que les portes du doublage s'ouvrent. « Je suis arrivée à Paris et une personne de ma famille travaillait dans la distribution de films. Il y avait dans cette entreprise un département doublage. Parallèlement, aux cours de comédie que je suivais, j'ai assisté à quelques plateaux et petit à petit, je suis entrée dans l'équipe », explique Céline Monsarrat.
Pour Véronique Augereau, voix récurrente de Renée Russo et Jamie Lee Curtis au cinéma – et voix incontournable de Patty et Selma Bouvier ainsi que de Marge Simpson dans la série américaine du même nom -, c'est l'actrice Perrette Souplex, la fille du chansonnier et acteur Raymond Souplex, qui a déclenché sa vocation. Rencontrée dans une troupe de théâtre, Perrette Souplex lui a permis « d'intégrer la radio libre ». « J'avais une petite émission. Tout le monde me disait : 'Avec la voix que tu as, tu pourrais faire du doublage'. Je ne savais même pas ce que c'était. Une comédienne avec qui j'avais joué précédemment m'a fait pénétrer dans les coulisses du doublage. J'ai assisté à beaucoup de séances. Et c'est ainsi que ça a commencé », raconte Véronique Augereau qui a débuté en faisant des « ambiances, des bruits de foule puis des petits rôles ».
Un travail d'équilibriste
S'ils ne sont pas « piégés par leur physique », les comédiens pratiquant le doublage sont choisis pour leur voix, proche de celle du comédien étranger, ainsi que pour leur personnalité. « Je ne vais pas prendre un comédien voix grave pour quelqu'un qui en VO a une voix très légère. Ça compte énormément. Mais c'est aussi autre chose. J'ai l'habitude de dire qu'on a le visage, la tête, de celui qu'on double. Il y a quelque chose qui fait penser à cette personne, ça peut être une attitude, une manière de jouer, un caractère, la personnalité », confie Nathanel Alimi, qui officie également comme directeur artistique. Arrivés dans le studio sans « connaître ce qu'ils vont doubler », les comédiens doivent en quelques minutes, après un brief du directeur artistique et le visionnage de la séquence en VO, trouver le ton juste pour « être capables de passer par toutes les palettes, de triste à déjanté et joyeux » rien qu'avec la voix tout en respectant « le synchronisme » - un exercice loin d'être facile.
Le travail diffère un peu selon le type de projet doublé. «Pour une série, on se donne beaucoup moins de temps. Les moyens ne sont pas les mêmes qu'un film de cinéma où on va mettre plus de temps et travailler les nuances de jeu», précise Claire Beaudoin. Pas facile non plus de trouver, en peu de temps, la bonne voix et les bonnes intonations, notamment pour un personnage tel que Marge Simpson. « Quand on passe des essais, on n'a pas le temps de réfléchir, surtout sur ce genre de voix. Julie Kavner, la comédienne américaine, avait une voix très rauque, éraillée. Je l'ai écoutée sur 2 boucles (séquence, ndlr) et il fallait y aller ! On s'est lancés dans un truc un peu improbable et ça a marché. Les Américains étaient sur le plateau et la seule question qu'on m'a posée, c'est si je pouvais tenir cette voix dans la durée et la continuité. J'ai dit oui. On ne dit jamais non quand on passe des essais ! », raconte en riant Véronique Augereau. « Il faut faire en sorte de créer l'illusion, souligne Nathanel Alimi. « Le meilleur doublage, c'est celui qui ne se voit pas. Quand ma famille me dit : 'Je ne t'ai pas reconnu' alors qu'elle m'entend tout le temps parler, j'en suis à chaque fois flatté», ajoute le comédien qui a eu la chance d'être choisi par J.J. Abrams en personne pour doubler Anton Yelchin dans Star Trek. Un souvenir fort pour un artiste, d'autant plus que peu de réalisateurs étrangers s'impliquent dans le doublage de leurs œuvres.
Quels salaires dans le monde du doublage ?
Beaucoup de comédiens pratiquant le doublage ont plusieurs casquettes. S'ils prêtent leur voix à des acteurs étrangers, ils peuvent également officier comme directeurs artistiques appelés également directeurs de plateau. C'est le cas de Nathanel Alimi et Claire Beaudoin. Cette dernière fait également de l'adaptation et du sous-titrage. D'autres artistes du doublage, tels que Céline Monsarrat, jouent au théâtre ou apparaissent dans des longs métrages. Ce qui permet de diversifier les sources de revenus. Lorsqu'ils doublent une œuvre, les comédiens sont payés en cachets. Fixés par l'Accord national professionnel du 5 février 2013, les salaires vont de 111,08 euros pour un rôle en ½ journée avec 1 à 6 lignes à 281 euros pour 30 à 44 lignes lorsqu'il s'agit d'une journée de doublage avec un rôle et une ambiance.
Si les innovations technologiques ont facilité le travail de doublage, elles ont également eu une incidence sur les revenus affirme Véronique Augereau. « Ce qu'on faisait avant en 3 cachets, maintenant on ne le fait plus qu'en 1. D'où la difficulté pour les intermittents qui dépendent de Pôle Emploi pour obtenir leur nombre d'heures». Elle précise également que les artistes-interprètes du doublage ne touchent pas de droits télévisés supplémentaires en cas de rediffusion d'une série. «Depuis 2004-2005, on signe des contrats dans lesquels on cède nos droits à la télévision pour 20 ans. Si dans 20 ans, l'œuvre repasse, on a d'autres droits de diffusion. Avant, il n'y avait pas ça. On prend toujours l'exemple de la série Columbo. Serge Sauvion a travaillé une fois pour enregistrer les épisodes et ça a été diffusé des milliers de fois mais il ne touchait rien», explique-t-elle. «Il y a beaucoup de personnes qui entrent dans ce monde. S'il y a cette envie et cet engouement dans le doublage, c'est qu'ils y trouvent leur compte. Financièrement aussi », confie Céline Monsarrat en conseillant malgré tout aux nouveaux venus de « s'essayer dans un stage » et de « taper aux portes des studios pour faire voir leur bobine ».