Pour écrire le portrait d’un réalisateur, on peut d’abord jeter un œil sur sa filmographie, y dresser éventuellement des ponts entre les différentes occurrences et raccrocher des wagons… Dans le cas de Noé Debré, on partirait de son premier long métrage de réalisateur, Le Dernier des juifs, comédie politico-burlesque sur un sujet fort, celui de l’antisémitisme dans les quartiers populaires en périphérie des grandes villes. Un long métrage qui s’inscrit dans le sillon de ses trois courts réalisés entre 2018 et 2021, dont les titres peuvent à s’y méprendre imposer une certaine prédisposition à l’emphase : Le Septième Continent, Une fille moderne, avant que le dernier, On n’est pas des animaux, nous ramène à une forme de légèreté. Mais Noé Debré n’est pas vraiment né là. À seulement 38 ans, il a derrière lui une décennie de travail en tant que scénariste pour Thomas Bidegain, son mentor, Jacques Audiard (le palmé Dheepan), ainsi que Michel Hazanavicius, Romain Gavras, Hélèna Klotz, Tom McCarthy. Il est aussi, et surtout, le créateur de la série Parlement, trois saisons déjà et une quatrième en préparation. Du sérieux, beaucoup de travail, de l’humour aussi et un certain penchant pour l’éclectisme caractérisent le réalisateur. « Très jeune, Noé Debré se destine à devenir médecin. Manquant de rigueur et d’empathie, il se réoriente cependant vers le métier de scénariste… », rapportent les quelques lignes de biographie issues du dossier de presse du Dernier des juifs. Avec en guise de conclusion, cette courte notule : « Aujourd’hui, Noé Debré songe à se retirer du cinéma pour activement se préparer à la fin du monde qu’il estime imminente. » Catastrophisme et ironie entremêlés, l’esprit de sérieux en sourdine, l’humour en avant donc. Sans pour autant que sa lucidité sur le monde qui l’entoure ne soit reléguée aux rayons des accessoires. Dans Le Dernier des juifs, le réalisateur s’attaque à un sujet d’autant plus fort qu’il est peu traité à l’écran. Ce qui est pressenti à la lecture de sa courte biographie ci-dessus se retrouve dans l’itinéraire de Bellisha (Michael Zindel), antihéros magnifique de son film, où le ton tragicomique permet d’éclairer les ténèbres tout en acceptant leur grande part d’ombre.
Névrosé fonctionnel
Alors la médecine, une blague ? « Non, cette info était vraie jusqu’en seconde, explique Noé Debré. Une façon de rassurer mes parents en évoquant un métier sérieux, à un âge où normalement on s’autorise à penser à des choses plus aventureuses comme rappeur ou footballeur. L’idée de faire du cinéma s’est imposée après, coupant court à toute idée de carrière propre à soulager mon père et ma mère. » Noé Debré a grandi à Strasbourg. Depuis la fenêtre de sa chambre, il avait une vue imprenable sur le Parlement européen qui lui faisait inconsciemment de l’œil. Faire du cinéma, donc. C’est, on s’en doute, commencer par visionner des films, traîner dans les ciné-clubs, viser des études spécialisées et « s’abonner aux Cahiers du cinéma » sur les conseils de sa tante. De son propre aveu, cette lecture était un peu « ésotérique », mais suffisamment stimulante pour le « déniaiser ».
Le jeune homme écrit, des courts, des longs, sans relâche, répondant à un credo appris des Shadoks et qui constitue encore aujourd’hui son vade-mecum : « En essayant continuellement, on finit par réussir. » Noé Debré aime à se qualifier lui-même de « névrosé fonctionnel ». Le métier sans cesse sur l’ouvrage pour échapper au vide et à l’angoisse qui rattrapent les imprudents. Soit un profil à l’opposé de Bellisha, son Dernier des juifs : « Lui, c’est le juif sartrien, juif dans le regard des autres. C’est aussi un être qui n’est que dans le présent, il flotte à la surface du monde. C’est ce côté chaplinesque qui me touche. J’ai grandi dans un milieu assez traditionaliste, loin de la banlieue parisienne et n’ai pas subi directement l’antisémitisme. »
Le père de Noé Debré est ashkénaze, sa mère sépharade. Le jeune homme se méfie des clichés associés à ces deux appellations et aux images qu’elles charrient. Bellisha, lui, est élevé par sa mère Giselle (Agnès Jaoui), une Sépharade qui porte en elle les douleurs d’un lointain déracinement – le départ de l’Algérie tout juste décolonisée – et voit ressurgir le spectre d’un nouveau départ depuis la fenêtre de son logement de banlieue. Elle se désespère, en effet, que les membres de sa communauté disparaissent progressivement du décor. Bellisha la rassure comme il peut, armé de la tendresse et de la maladresse du fils aimant sur qui pèse un trop lourd fardeau.
La peur du plateau
On reprend le fil du récit intime. Études à l’ÉSEC, l’École supérieure d’études cinématographiques, section production pour éviter de se retrouver à traîner sur les plateaux, endroit où Noé Debré ne se sent alors pas à sa place. Paradoxe du futur réalisateur. « Il règne sur un tournage une hiérarchie militaire. Or je n’étais pas quelqu’un de suffisamment alerte. Je suis plutôt dans mes pensées et j’aime m’y perdre. » Il dit aussi : « Je préfère comprendre comment marchent les choses plutôt que de les faire marcher. » Il lui a donc fallu du temps pour que le désir de tourner dépasse la peur du plateau. C’est par le travail avec les comédiens que les choses se sont apaisées. C’est ainsi que la découverte presque par hasard de Michael Zindel l’a libéré. Il s’est autorisé à se lancer sans trop d’appréhension dans l’aventure du long métrage. « Sa poésie, sa drôlerie me permettaient surtout de désamorcer la gravité du sujet. Je savais qu’un titre aussi pesant que Le Dernier des juifs associé à son visage sur l’affiche créerait un décalage immédiat. Je n’avais pas peur de ne pas être compris. »
Noé Debré a écrit le scénario de son premier long comme il l’a toujours fait, en s’immergeant dans l’univers choisi. Et tant mieux s’il lui est a priori inconnu. L’auteur aime se documenter, rencontrer des gens qui pourraient l’aiguiller… Pour la série Parlement, c’est justement ce microcosme politique peu approché par la fiction qui avait suscité l’envie d’y mettre sa plume. Son itinéraire de scénariste débuté il y a dix ans, il le doit à sa ténacité, son culot et à Thomas Bidegain. Il a rencontré ce dernier peu avant le succès d’Un prophète de Jacques Audiard, au détour d’un salon du cinéma. « J’ai réussi à m’incruster à une conférence qu’il donnait sur l’art du pitch pour l’écriture d’un scénario. Son éloquence a séduit toute l’assemblée. Je suis allé le voir à la fin pour récupérer son mail. Je lui ai écrit pour lui demander d’être son apprenti. J’y ai joint un de mes scénarios. Ma prose a dû arriver au bon moment. Il m’a appelé… »
Et voilà comment le jeune homme a depuis enchaîné les collaborations sans que la frustration y ait sa part. « Ça me plaît d’écrire des choses qui vont être ensuite interprétées par d’autres. J’ai eu la chance de travailler avec de bons cinéastes… » La réalisation de son premier long métrage n’a pas changé cette vision ni sa trajectoire artistique. « Je n’étais pas un scénariste qui attendait de devenir réalisateur. Encore aujourd’hui, je me définis avant tout comme un scénariste… » Noé Debré s’apprête d’ailleurs à retrouver Thomas Bidegain pour l’écriture d’un nouveau projet, pense déjà à son deuxième long métrage et part bientôt retrouver sa ville natale pour le tournage de la quatrième et dernière saison de Parlement.
Le Dernier des juifs
Réalisation et scénario : Noé Debré
Photographie : Boris Levy
Musique : Valentin Hadjadj
Montage : Géraldine Mangenot
Production déléguée : Moonshaker Films (Benjamin Elalouf)
Coproduction : The Living (Nathalie Dennes), L’Embellie (Noé Debré)
Distribution : Ad Vitam
Ventes internationales : Charades
Sortie en salles : 24 janvier 2024
Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide à l'édition vidéo (aide au programme éditorial 2023), Aide à la création de musiques originales