Quand et comment êtes-vous arrivé dans l’aventure des Survivants ?
C’est le cinquième film que je fais avec Frédéric Jouve, des Films Velvet. Il m’a contacté pour l’accompagner sur cette aventure il y a environ deux ans et demi. À ce moment-là, le scénario coécrit par Guillaume Renusson et Clément Peny avait un traitement plus social, plus naturaliste, collant plus à son sujet, le sort souvent violent réservé aux réfugiés. C’est au fil de nos discussions avec Guillaume et Frédéric, mais aussi au fil des déplacements préparatoires que Guillaume a pu faire sur le terrain en passant du temps avec des associations, que le film a évolué vers le survival. À partir de là, on a commencé à réfléchir aux moyens de le faire avec notre budget et les contraintes qu’implique un tournage en altitude et dans la neige. Du premier traitement que j’ai lu ne reste qu’une scène, celle qui était fondamentale pour Guillaume dans son envie de raconter cette histoire : le moment où le personnage de Samuel (Denis Ménochet) donne le passeport de sa femme décédée à cette réfugiée afghane (Zar Amir Ebrahimi), pour lui permettre de continuer son périple.
Ce scénario a obtenu le prix de la Fondation Visio pour l’audiodescription au festival Premiers Plans d’Angers en 2019. En quoi cela consistait-il ?
Chaque année, trois longs métrages sont sélectionnés pour une lecture collective de leurs scénarios en public. Suite à cette lecture, celui des Survivants a été plébiscité tant par le jury que par le public. Ce prix nous a permis de financer l’audiodescription du film à destination du public sourd et malentendant.
Comment s’est déroulé le financement de ce projet atypique ? Avez-vous été confronté à beaucoup de refus ?
Assez peu, au final. Grâce aux films que nous avons produits avec Frédéric [Jouve], d’Une vie violente de Thierry de Peretti à Teddy des frères Boukherma, nos différents interlocuteurs nous savaient capables d’évoluer tout à la fois sur un terrain social et dans l’univers du genre avec un budget qui se situait autour des 2 millions d’euros. Avec l’Avance sur recettes du CNC et des partenaires solides comme Canal+, Ad Vitam en distribution et WTFilms pour les ventes internationales, on a tout de suite été rassurés sur la faisabilité du projet. On savait qu’un budget de 2 millions allait nous permettre de concevoir Les Survivants avec une vraie liberté artistique sans se mettre de pression gigantesque. Notre travail commun a été de trouver une cohérence entre les envies artistiques et les moyens dont on allait disposer. Le scénario était court – 85 pages – et l’histoire, linéaire. Mais quand est écrit « ils marchent dans la neige », ces simples mots ouvrent évidemment tout un tas de questions sur les conditions de cette marche.
On imagine bien que la crainte que le climat puisse jouer des tours en haute montagne et provoquer des dépassements de budget était réelle…
Six mois avant le tournage, le scénario avait sa forme définitive et nous sommes partis en repérages. Sachant que les repérages restent plus qu’aléatoires quand il y a de la neige. Son niveau évolue en permanence et change les paysages. Dans un tel projet, on a donc conscience d’emblée qu’il va falloir se rééquilibrer et se réajuster en permanence, en sachant, pour vous répondre précisément, que notre économie n’allait pas nous permettre de véritable dépassement. À la place, on a essayé d’anticiper au maximum. En s’entourant de gens dont on connaît la capacité à être réactifs. En prévoyant un plan de travail avec un maximum de possibilités pour se retourner, 48 heures à l’avance, période à partir de laquelle la météo des montagnes devient assez précise. Et en s’efforçant de rassembler géographiquement un maximum de décors car déplacer une équipe même de 50 mètres dans la neige se révèle évidemment très compliqué. On peut certes utiliser des motoneiges pour aller plus vite, mais elles sont souvent interdites quand on tourne dans un parc naturel ! Enfin, il faut aussi tenir compte que l’hiver, les journées sont très courtes et que si la lumière est magnifique, elle se révèle aussi souvent très changeante.
C’est un élément essentiel, car Les Survivants joue beaucoup sur la lumière naturelle…
C’était un choix et une obligation au vu de nos moyens. Sans compter que, de toute façon, de gros projecteurs avec des groupes électrogènes en montagne allaient forcément faire du bruit sur des dizaines de kilomètres et risquer, avec l’écho, de déclencher des avalanches. Mais on a pu compter sur le travail remarquable de Pierre Maillis-Laval qui était notamment cadreur deuxième équipe sur Les Misérables de Ladj Ly. Pierre adore la lumière naturelle et il a une capacité d’adaptation incroyable pour décider, une fois sur place, quel cadre privilégier en fonction de celle-ci. Il y avait quelque chose d’assez fusionnel entre lui, Guillaume [Renusson] et Denis [Ménochet]. Ces questions pratiques ont eu de fait une influence artistique. Mais Guillaume a su être à la fois d’une très grande souplesse et d’une très grande fermeté pour ne pas lâcher sur l’essentiel. Au fond, la rudesse des éléments a aidé à souder une équipe et à être plus efficace. Et quand le confinement est arrivé, une fois la sidération passée, on a compris assez vite qu’on n’allait pas pouvoir reprendre au printemps, à cause de la neige.
Seulement, après une semaine de tournage, celui-ci a dû s’interrompre car le confinement était décrété le 16 mars 2020…
On avait bouclé le financement mi-février 2020 et on savait qu’il n’y aurait plus de neige mi-avril. Notre seule fenêtre de tir était donc le mois de mars avec trois semaines de neige à peu près certaines dans les Alpes du Sud, près de Gap, le minimum requis pour nous. Durant ces cinq premiers jours, on a tourné principalement des scènes d’intérieur, dans le chalet. Et quand le confinement est arrivé, une fois la sidération passée, on a compris assez vite qu’on n’allait pas pouvoir reprendre au printemps, à cause de la neige.
Quelles furent les conséquences concrètes de ce coup d’arrêt brutal ? Vous n’avez pas craint de perdre une partie de l’équipe en route, par exemple ?
Guillaume est vraiment un meneur de troupes. Il avait d’emblée réussi à créer quelque chose de suffisamment fort pour que tout le monde, acteurs comme techniciens, ait envie de revenir un an plus tard, à l’exception évidemment de ceux qui avaient déjà des engagements en amont, sur des séries notamment. D’un point de vue financier, comme ce qu’il se passait était inédit, on a pu traverser ces événements sans encombre. Tout a simplement été décalé dans le temps et aucun de nos partenaires ne nous a lâchés. Je pense que ça aurait pu être différent si les prises de vue n’avaient pas débuté. Mais on a tout de suite rebondi. On s’est dit qu’on avait dix mois devant nous pour retravailler, à partir de nos quelques heures de rushes. On a tout mis à plat et effectué certains changements profonds. Le format du film a changé, on est passé au 2:39. On a décidé d’aller tourner plus haut que ce qu’on avait prévu. On a voulu affirmer encore plus fort notre désir de survival. Du coup, on a fait de nouveaux repérages. Et avec le recul, même si ce n’était pas notre ressenti sur le moment, on se dit qu’on a eu pas mal de chance…
Pour quelle raison ?
Au moment où on a repris le tournage, en décembre 2020, les stations de ski étaient encore fermées. On s’est donc retrouvés seuls au monde dans l’une d’entre elles où on a été accueillis à bras ouverts, car on était la seule activité économique autorisée. On a eu les remontées mécaniques rien que pour nous, par exemple. Et pour un récit qui nécessitait de croire en permanence au fait que nos deux protagonistes soient perdus en altitude, on ne pouvait pas espérer mieux. La preuve ? Au final, nous n’avons pas connu de dépassement de budget.
Les Survivants
Scénario Guillaume Renusson et Clément Peny
Photographie: Pierre Maillis-Laval.
Montage : Joseph Comar. Musique : Robin Coudert
Production : Les Films Velvet, Baxter Films
Distribution : Ad Vitam
Ventes internationales : WTFilms
Sortie en salles : le 4 janvier 2023