Un adolescent jurassien de 18 ans, fêtard, insouciant, soudainement rattrapé par la plus tragique des réalités. À savoir la mort de son père qui va l’obliger à trouver de l’argent pour pouvoir rester vivre dans la ferme familiale avec sa petite sœur et en obtenir la garde. Afin d’y parvenir, il va se mettre en tête de remporter le concours du meilleur comté de la région, et les 30 000 euros à la clé. Ainsi peut-on résumer la trame de Vingt Dieux, le premier long métrage de Louise Courvoisier qui, depuis sa présentation au dernier Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard et un prix de la Jeunesse, collectionne les récompenses : Valois de Diamant et des étudiants francophones à Angoulême, prix Jean-Vigo du meilleur film… Une voie royale que la cinéaste n’aurait jamais osé imaginer dans son enfance.
De Cressia à la CinéFabrique
« Faire du cinéma a pour moi été une accumulation de hasards », explique la Jurassienne, née dans le village de Cressia (260 habitants), à quelques jours de la sortie en salles de Vingt Dieux. « Comme j’ai grandi dans un endroit au milieu de nulle part, je n’avais qu’une envie après le collège : partir loin. Et si j’ai choisi l’option cinéma au lycée, c’est uniquement parce qu’elle était proposée par le seul établissement qui me permettait d’être en internat, loin de chez moi. Mais à ce moment-là, même si j’avais baigné dans une ambiance artistique grâce à mes parents qui étaient musiciens avant de devenir agriculteurs, ma culture cinéma était vraiment proche du néant. » Grâce à des professeurs, elle se découvre une passion pour le cinéma, sans pour autant envisager d’y faire carrière. C’est à cette époque qu’elle connaît son premier vrai choc de spectatrice : Le Privé de Robert Altman, « et ses personnages décalés, tellement fins, tellement nuancés. Ce film a ouvert mon champ culturel en me poussant à m’intéresser au cinéma américain des années 1970 ».
Une fois son baccalauréat en poche, Louise Courvoisier met le cap sur Paris et la Sorbonne pour poursuivre des études de cinéma. « Mais dans cette même logique de partir toujours un peu plus loin ! » Assez vite, elle s’aperçoit que les cours théoriques ne lui suffisent pas. Qu’elle a besoin et envie de terrain. « J’ai à nouveau décidé de partir encore plus loin ! », raconte-t-elle en éclatant de rire. En l’occurrence… à Hollywood, où une amie d’enfance de sa mère qui travaille pour différents studios l’accueille et lui ouvre les portes des plateaux. « J’ai pu être une petite souris sur les tournages de la Warner ou de la Paramount. Pendant ces deux mois, j’ai découvert un autre monde qui, même si le côté artisanal disparaît, fut extrêmement formateur pour moi. J’ai été particulièrement fascinée par la manière dont ces grosses productions travaillent le son des films. C’était vraiment impressionnant à observer. »
De retour à Paris, les choses se précisent quelque peu dans la tête de Louise Courvoisier. Le virus du cinéma s’y trouve désormais bien implanté. Elle décide alors de suivre le programme « Égalité des chances » de la Fémis, « sorte de “prépa” à laquelle on accède par un concours réservé aux boursiers ». En parallèle, elle commence à travailler sur des tournages à différents postes pour se familiariser avec le métier. Au moment où elle s’apprête à tenter le concours de la Fémis, elle entend parler d’une école de cinéma qui va ouvrir ses portes à Lyon : la CinéFabrique. C’est finalement ce concours qu’elle décide de passer et qu’elle décroche ! « Ça a vraiment été ma grande chance. Car je me suis sentie à ma place dans cette école qui pousse à oser sans craindre l’échec, qui ne met aucune pression mais aide à gagner en confiance en soi et à expérimenter plusieurs postes pour trouver sa voie. » À la CinéFabrique, les élèves s’essayent en effet à la réalisation quelle que soit la section choisie (scénario, son, montage, lumière...) « Et ça aussi, ça me correspondait car à ce moment-là encore, je ne pouvais pas m’imaginer réalisatrice. Sans savoir d’ailleurs si c’était parce que je ne me sentais pas légitime ou simplement pas capable. » Après avoir un temps hésité avec le montage et le son, Louise Courvoisier s’inscrit en section scénario. « C’est à la CinéFabrique que je vais développer un goût pour l’écriture, me familiariser avec ses différentes techniques. À Lyon, nous avons pu grandir loin du milieu parisien, sans pression sur ce qu’on pouvait attendre de nous ou d’une cinéphilie qui aurait pu se révéler écrasante. Nous venions tous de milieux différents et c’est ce qui a fait la force de cette formation. J’ai eu la sensation d’appartenir à un nouveau mouvement, à une nouvelle manière de faire du cinéma. » La CinéFabrique lui permet de vivre sa toute première expérience de réalisatrice. « Et de façon assez surprenante pour moi, je m’y suis tout de suite sentie à ma place, avec les acteurs comme avec le reste de l’équipe. »
De Mano a mano au Festival de Cannes
C’est Mano a mano (2018), son court métrage de fin d’études, qui va sceller son destin. Elle y met en scène un couple d’acrobates de cirque dont la relation amoureuse se dégrade et qui va tenter de résoudre ses problèmes le temps d’un voyage en camping-car entre deux villes. Mano a mano se retrouve sélectionné dans le cadre des courts métrages de la Cinéfondation lors du Festival de Cannes 2019. « Le seul hic d’avoir fait partie de la toute première promotion de la CinéFabrique est qu’en sortant de l’école, nous ne pouvions nous appuyer sur aucun réseau d’anciens pour trouver du travail. » Mais, dans son cas, son meilleur passeport va devenir son court à qui le jury présidé par Claire Denis décerne le premier prix de la Cinéfondation. Dans la foulée, différents producteurs demandent à la rencontrer pour évoquer avec elle ses projets et son passage au format long.
Ce premier long, qui deviendra Vingt Dieux, elle l’a déjà en tête. « J’avais commencé à en écrire l’ébauche pendant la CinéFabrique. Je savais que je voulais faire un film sur la région où je suis née, et plus précisément sur cette jeunesse avec laquelle j’ai grandi, qui plus est avec des comédiens non-professionnels. Mais l’angle se précisera plus tard, après avoir rencontré ma productrice, Muriel Meynard (Ex nihilo). Elle était déjà très investie dans la CinéFabrique, et elle avait travaillé avec son directeur Claude Mouriéras. Dès notre première rencontre, j’ai été conquise car j’ai tout de suite senti qu’elle n’avait pas peur. Quand Muriel aime un projet, elle y va à l’instinct. C’est la seule de toutes celles et tous ceux que j’ai rencontrés à ne pas m’avoir dit que faire un premier film avec des non-professionnels risquait d’être compliqué. Elle m’a simplement dit qu’elle me faisait confiance. Muriel ne m’a jamais demandé de concessions sur l’essentiel et je sais que j’aurais préféré abandonner le film si on m’avait contrainte à en faire. »
Dans cette aventure, Louise Courvoisier va embarquer à différents postes nombre d’anciens élèves de la CinéFabrique, dont son coscénariste Théo Abadie. « J’ai commencé à écrire une première version de mon côté mais je savais qu’à deux on serait plus forts pour traverser ces moments de grande solitude par lesquels passe l’écriture. » Ensuite, Marcia Romano les a rejoints dans la dernière ligne droite. « Marcia intervenait régulièrement à la CinéFabrique. Au fil du temps, on est devenues assez proches. Et son apport a été décisif. » La notion de famille se situe au cœur du cinéma de Louise Courvoisier. Celle qu’elle s’est créée lors de ses années de formation mais aussi la sienne : en effet, sa mère Linda et un de ses frères, Charlie, signent la BO de Vingt Dieux, tandis que sur le tournage, son autre frère Pablo était chef constructeur et sa sœur Ella en charge des décors. « En développant ce film et plus généralement dans toute ma relation avec le cinéma, je n’ai jamais ressenti le besoin de plaire ou d’appartenir à telle ou telle famille. Je me suis donc spontanément entourée des miens. Pour faire ce projet comme je l’entendais du début à la fin. Et je n’en reviens pas d’avoir convaincu tout le monde – à commencer par ma productrice ! – de me laisser faire. »
La présentation du film à Cannes et l’accueil enthousiaste qu’il y a reçu prouvent que c’était bel et bien la voie à suivre pour Vingt Dieux. Cannes que Louise Courvoisier a vécu là encore avec un certain décalage. « Quand on a appris que Vingt Dieux était sélectionné, je venais tout juste de terminer la postproduction. J’étais donc heureuse et soulagée, mais pour moi l’aventure s’arrêtait là. Je me réjouissais simplement de pouvoir découvrir le film dans ce cadre prestigieux, entourée de toute mon équipe. Je n’avais pas anticipé l’enjeu lié à l’accueil du film. Je mesure aujourd’hui que ce fut une chance car si j’avais été dans cette optique-là, j’aurais été complètement angoissée. Ce qui s’est passé à Cannes symbolise au fond l’aventure d’un film où, pour moi, chaque étape a été une surprise. » Quant au prochain long métrage, il n’en est encore qu’à ses balbutiements. « Comme j’ai une manière assez particulière de m’engager vraiment à fond avec mon entourage proche sur ce que je fais, j’avais besoin – avant de me lancer – de connaître la manière dont mon premier film serait accueilli. Avant cela, j’étais totalement incapable de me dire réalisatrice. Et surtout, je ne suis plus la même personne après tout ce que j’ai eu la chance de traverser avec Vingt Dieux. » Aujourd’hui, les premières idées commencent à fuser. Le retour à l’écriture ne devrait pas tarder.
VINGT DIEUX
Réalisation : Louise Courvoisier
Scénario : Louise Courvoisier, Théo Abadie et Marcia Romano
Production : Ex Nihilo
Distribution et ventes internationales : Pyramide
Sortie le 11 décembre 2024
Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024), Aide à la création de musiques originales