C’est un film comme un retour aux sources. Née au Kosovo en 2001, Luàna Bajrami y a vécu jusqu’à ses 7 ans avant de partir pour la France avec ses parents. Elle a décidé de situer sur sa terre natale l’action de son premier film en tant que réalisatrice, La Colline où rugissent les lionnes, découvert en juillet dernier à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Ce récit d’émancipation au féminin met en scène trois adolescentes en rébellion contre les carcans du patriarcat qui obscurcissent leurs désirs et leur futur. Luàna Bajrami se prend d’amour pour le cinéma durant son enfance au Kosovo où elle voit ses premiers films. « Des DVD de films piratés se vendaient à 50 centimes pièce dans une qualité qui laissait évidemment à désirer – on voyait souvent à l’écran les mains de celui qui avait filmé le film dans la salle – mais peu importe, on se régalait à les découvrir avec mes parents », se souvient, rieuse, celle qui a développé un goût précoce pour le jeu peu après son arrivée en France. « J’ai toujours eu envie de raconter des histoires. Tout d’abord en jouant. Je me suis donc essayée au théâtre très jeune, sans même imaginer en faire un métier. » À l’âge de 10 ans, elle décide de postuler à une offre de casting repérée sur internet avec sa mère. On y recherche une enfant brune pour jouer une réfugiée kosovare. Un coup d’essai gagnant. Elle décroche le rôle et vit sa première expérience devant une caméra face à Miou-Miou, Marc Citti et Elina Löwensohn dans Le Choix d’Adèle, un téléfilm d’Olivier Guignard, diffusé sur France 3. « En débarquant sur le tournage, je n’avais aucune idée de la manière dont se fabriquait un film. Mais je suis instantanément tombée amoureuse du plateau. J’avais la certitude d’avoir trouvé ma place. Je savais désormais ce que je voulais faire dans ma vie. »
Révélation féminine
En parallèle de son cursus scolaire qui la conduit à un bac littéraire mention très bien avec un an d’avance, elle s’accroche et suit des cours de théâtre au conservatoire de Limeil-Brévannes. Cinq ans plus tard, elle remporte le rôle-titre du téléfilm Marion, 13 ans pour toujours de Bourlem Guerdjou, aux côtés de Julie Gayet et de Fabrizio Rongione. Une agente, Élise Fécamp, la repère. À partir de là, tout s’accélère. En 2018, elle tourne dans L’Heure de la sortie de Sébastien Marnier, un thriller parano sur l’angoisse de la jeunesse face à un avenir incertain et au péril écologique. Ce sujet de société n’a cessé depuis de prendre de l’ampleur. « Je suis arrivée sur le plateau la peur au ventre, se souvient Luàna Bajrami. Le cinéma me semblait un Himalaya à escalader. Mais Sébastien a été incroyablement accueillant avec moi. Comme un grand frère. Je me suis éclatée à jouer ma partition. » L’année suivante, elle enchaîne avec Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. Son rôle de jeune domestique, Sophie, lui vaut une nomination au César de la révélation féminine. « Ce tournage a été tellement intense. Je rêvais depuis toujours de faire un film d’époque. J’aimais le cinéma de Céline comme spectatrice. J’étais donc fascinée à l’idée de la rencontrer. On a passé énormément de temps ensemble, Céline, Adèle (Haenel), Noémie (Merlant) et moi, dans la maison, le personnage central du film. J’avais moins de scènes qu’elles mais j’ai tout de suite senti qu’on avançait ensemble. » La jeune actrice perçoit très vite ce film comme un moment de basculement dans son parcours. « À la fois dans ma manière d’aborder un rôle, de le jouer et dans la façon dont le métier me voit. On m’a proposé plus de choses dans la foulée. »
Les choix de Luàna Bajrami racontent aussi et surtout son amour du cinéma, quel que soit le genre : « La taille des rôles ne compte pas. Seuls importent le projet et la rencontre avec celle ou celui qui va les mettre en scène. De ce point de vue-là, j’ai été incroyablement gâtée. » En l’espace de deux ans, elle se retrouve ainsi devant la caméra de Cédric Kahn (Fête de famille), Samir Guesmi (Ibrahim), Bruno Podalydès (Les Deux Alfred), Audrey Diwan (L’Événement) et Frédéric Videau (Selon la police). On attend de la retrouver en ouverture du prochain Festival de Cannes avec Coupez ! de Michel Hazanavicius. Elle y campe une membre de l’équipe technique d’un tournage plus que chaotique d’un film de zombies. Des drames, des comédies, des rôles légers, des rôles intenses… : Luàna Bajrami apparaît à l’aise dans tous les univers.
Bande de filles
La réalisation s’invite au milieu de ce parcours. D’abord avec En été mûrissent les baies, un court métrage autofinancé en 2019, puis avec son premier long, La Colline où rugissent les lionnes. « À la fin du tournage intense de Portrait de la jeune fille en feu, j’étais partie me reposer au Kosovo. L’idée du film, mais aussi celle de ses personnages principaux – une bande de filles explosives et complices – sont nées durant ce séjour. Sans doute par envie de renouer avec mon pays de naissance. Je voulais faire un récit universel, parler de sororité et également de la jeunesse. Je souhaitais une histoire dans laquelle le maximum de gens pourrait se reconnaître. » À son retour à Paris, elle s’enferme dans son appartement et écrit une première version en une semaine. Cette idée trouve immédiatement un écho chez la Franco-Kosovare Rruga Caralevë. La productrice crée sa société au Kosovo spécialement pour donner vie à ce projet, avant d’être rejointe par d’autres partenaires financiers.
Le rythme s’accélère. En janvier 2020, Luàna Bajrami termine l’écriture de son film qu’elle tourne dès septembre, le temps de réunir ses comédiennes, toutes débutantes, et de constituer son équipe technique, dont le directeur de la photo Hugo Paturel pour qui il s’agit aussi du premier long métrage. La réalisatrice tient un petit rôle dans son film, proche de ce qu’elle est dans la vie : une jeune femme d’origine kosovare installée à Paris. « Ce personnage était présent dès le départ mais n’a cessé de prendre de l’importance au fil de l’écriture car j’ai peu à peu compris l’enjeu qu’il représentait. L’héroïne envie ces jeunes Kosovares qu’elle trouve libres et magnifiques. Et inversement, ces dernières rêvent de son existence, de sa liberté d’avoir pu quitter le pays. Interpréter cette jeune femme était aussi un moyen de questionner ma propre légitimité. »
LA COLLINE OÙ RUGISSENT LES LIONNES
Réalisation et scénario : Luàna Bajrami
Photographie : Hugo Paturel
Montage : Michel Klochendler
Production : OrëZanë Films, Acajou Productions, Vents Contraires, Aeternum Artworks
Distribution : Le Pacte
Ventes internationales : Loco Films
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