Lumière sur Bruno Delbonnel

Lumière sur Bruno Delbonnel

24 mai 2019
Cinéma
Bruno Delbonnel
Bruno Delbonnel Mitya Ganopolsky

Le directeur de la photographie des frères Coen, de Jean-Pierre Jeunet et d’Alexandre Sokourov reçoit ce vendredi 24 mai, dans le cadre du Festival de Cannes, le prix « Pierre Angénieux ExcelLens in Cinematography ». Portrait.


Après Philippe Rousselot, Edward Lachman ou encore Roger Deakins, c’est au tour de Bruno Delbonnel d’être distingué par le prix Pierre Angénieux. Celui-ci récompense un parcours exceptionnel qui a vu le Français devenir un directeur de la photographie demandé par les plus grands réalisateurs internationaux et recevoir en tout cinq nominations aux Oscars (pour Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, Un Long dimanche de fiançailles, Harry Potter et le prince de sang-mêlé, Inside Llewyn Davis et Les Heures sombres).

Né à Nancy en 1957, Bruno Delbonnel suit d’abord des études de philosophie avant de passer un diplôme de l’ESEC dans la section « caméra et lumière ». A 21 ans, il tourne un court métrage intitulé Réalités Rares, sur lequel il va faire deux rencontres décisives : d’abord avec Jean-Pierre Jeunet, qui deviendra un compagnon de route et un complice décisif ; puis Henri Alekan, immense directeur de la photographie français (La Belle et la Bête, Les Ailes du désir…) au contact de qui il prend conscience que sa véritable vocation est la photographie plutôt que la réalisation.

Après plusieurs années à travailler comme assistant opérateur puis chef opérateur sur des publicités ou des courts et long métrages (dont 37°2 le matin de Jean-Jacques Beineix), Bruno Delbonnel devient célèbre grâce au succès phénoménal du Fabuleux destin d’Amélie Poulain, réalisé par Jean-Pierre Jeunet en 2001. Cette explosion de couleurs réinvente Paris et enchante le monde mais aura aussi des conséquences désagréables pour Bruno Delbonnel : « Après Amélie, je ne recevais plus de scénarios de films français, explique-t-il. On disait que ma lumière était trop esthétique. Ça m’a dérouté. Je n’ai donc plus travaillé en France, à part avec Jean-Pierre. »

Après Un Long dimanche de fiançailles (2004), la carrière de Bruno Delbonnel sera en effet internationale : l’homme se révèle aussi à l’aise dans les grosses productions comme Harry Potter que dans les recherches formelles d’un Alexandre Sokourov (Faust, 2011, Francofonia, 2015). Tim Burton l’entraîne sur la voie du gothique (Dark Shadows, 2012, Big Eyes, 2014, Miss Peregrine et les enfants particuliers, 2016) et, avec Inside Llewyn Davis (Joel et Ethan Coen, 2014), Delbonnel signe l’un de ses chefs-d’œuvre. Sa photographie blafarde y retranscrit à merveille le sentiment de tristesse du personnage principal, tout en donnant presque au spectateur la sensation physique d’errer dans New York, au petit matin, au début des années soixante. Le grand directeur de la photographie Vilmos Zsigmond (artisan principal du « look » des films du Nouvel Hollywood, de Délivrance à La Porte du Paradis) y reconnaîtra d’ailleurs son influence. « Comment traduire la tristesse en images, par la lumière et par le cadre ?, analyse Bruno Delbonnel. La caméra ne bouge presque pas. Elle est généreuse, pas inquisitrice, elle reste distante, il y a peu de gros plans. Niveau lumière, c’est monocorde. De la première à la dernière image, c’est la même conception, ça ne change pas. La lumière tombe et va mourir au fond des décors. Avec Faust, c’est mon film le plus réussi. »

Après Inside Llewyn Davis, Bruno Delbonnel a retrouvé l’an dernier les Coen pour le western The Ballad of Buster Scruggs. Il a convaincu les frères cinéastes, très attachés à la pellicule, de s’essayer au numérique : « Ils ont beaucoup hésité. Christopher Nolan et Martin Scorsese leur avaient dit que rien ne valait la pellicule, Alfonso Cuaron et Roger Deakins que le numérique, c’est formidable… Ils les estiment tous et se sont dit qu’ils allaient se faire leur propre opinion. Ils sont passés me voir pendant l’étalonnage des Heures Sombres et ils ont été convaincus par ce qu’ils ont vu. Ça leur plaisait, ce n’était pas trop numérique à leurs yeux. Joel a été un peu perturbé sur le tournage, mais je crois qu’ils vont continuer dans cette voie. Moi, je n’ai pas de position tranchée là-dessus, c’est comme la peinture à l’huile et l’aquarelle : ce sont deux outils différents. Il faut apprendre à explorer les deux langages. » Manifestement, la quête esthétique de Bruno Delbonnel est loin d’être finie.