Ma famille afghane est votre premier long métrage. Qu’est-ce qui vous conduit à vouloir y parler de l’Afghanistan ?
Au départ, je n’avais pas un intérêt particulier pour ce pays et encore moins une connaissance précise de son histoire. J’étais simplement à la recherche d’une idée ou d’un livre à adapter qui allait me permettre de raconter le parcours d’une femme forte, mais aussi de développer une histoire réaliste qui n’était pas spontanément pensée pour l’animation. C’est là que je suis tombée sur Freshta, le livre de Petra Procházková qui, en s’inspirant de son propre parcours, racontait avec empathie les efforts des femmes afghanes pour vivre libres dans l’Afghanistan post-talibans. Il correspondait exactement à ce que je recherchais. Petra Procházková y raconte avec un grand sens de l’humour et de l’ironie son quotidien fait de hauts et de bas. J’aimais l’idée de parler de l’Afghanistan à travers les yeux d’un personnage qui n’y était pas né, mais était venu s’y installer, avec sa culture européenne. Je pouvais plus spontanément m’identifier à cette femme, comprendre ce qu’elle découvrait, la manière dont elle réagissait. J’ai appris à ce moment-là que deux cinéastes tchèques avaient souhaité adapter le roman avant moi, mais avec des comédiens, sans que le film trouve un financement. J’ai donc approché leur producteur, Peter Badac, pour lui dire mon envie de m’emparer du sujet par le biais de l’animation, et c’est ainsi que tout a commencé.
Comment avez-vous entamé le travail d’adaptation ?
J’ai parlé avec Petra, mais nous n’avons pas travaillé ensemble là-dessus. L’adaptation a été conduite par deux scénaristes choisis – avec une grande justesse – par mes producteurs tchèques (Negativ Films) et français (Sacrebleu Productions) : le Tchèque Ivan Arsenjev et la Française Yaël Giovanna Lévy. Pour moi qui ne voulais pas simplement raconter une histoire afghane mais avais une visée plus universelle, ce double regard a été une opportunité merveilleuse. Par exemple, vous, les Français, avez plus l’habitude de vivre quotidiennement entourés de diverses nationalités et religions que nous en Tchéquie. Ces différences culturelles ont nourri le scénario auquel j’ai bien évidemment collaboré.
Quels ont été les plus grands changements effectués par rapport au livre ?
Le livre est une mosaïque. On a donc réduit le nombre de personnages qui gravitaient autour de l’héroïne. On a aussi remis le récit dans l’ordre chronologique alors qu’il était construit sur des allers-retours entre présent et passé. Et même si tous les points de vue des membres de la famille sont représentés, j’ai souhaité privilégier celui de l’héroïne et de sa relation à son mari et sa famille. Enfin, on a fait d’elle une Tchèque alors que, sans doute pour s’éloigner au maximum d’une histoire qui lui était si proche, Petra Procházková en avait fait une Tadjike. Mais ce sont des changements à la marge. On a respecté l’esprit du livre jusqu’à son épilogue.
Comment avez-vous construit le type d’animation que vous vouliez employer pour raconter cette histoire ?
L’avantage de l’animation est que vous pouvez dessiner tout ce que vous voulez. C’est beaucoup plus simple que si vous essayez de recréer l’Afghanistan – où il est de fait impossible de tourner – au Maroc par exemple. Mais il faut prendre garde à ne pas se perdre dans tout ce que l’animation permet et donc de faire des choix. Ici, j’ai voulu en premier lieu trouver une forme qui permette aux personnages d’exprimer au mieux leurs émotions pour qu’on puisse d’emblée s’attacher à eux.
J’ai privilégié le réalisme. Alors que j’ai pour habitude de travailler seule sur mes courts métrages, j’ai dû apprendre à transmettre mes idées aux animateurs. Cela m’a conduit à simplifier encore plus les choses pour être comprise. Et c’est tant mieux car ça allait dans le sens du film que je souhaitais.
Vous avez vos futurs spectateurs en tête pendant le processus de fabrication ?
Honnêtement non. Quand je travaille, je n’ai qu’une obsession en tête : faire du mieux que je peux. Je ne raisonne absolument pas en fonction de la manière dont mon film, court ou long, sera accueilli. Un film d’animation, c’est un paquebot. Une fois que la machine est lancée, c’est difficile de la freiner. On peut très vite avoir le nez dans le guidon et ne pas s’apercevoir qu’on dévie de la trajectoire qu’on s’était fixée. Un regard extérieur est donc indispensable. Pour Ma famille afghane, j’avais une confiance totale en celui de mes producteurs. J’ai su dès nos premiers échanges qu’on avait le même film à l’esprit. Alors que beaucoup à leur place auraient pu questionner l’existence même d’un public prêt à aller voir en salles un film d’animation sur l’Afghanistan, eux n’ont jamais douté.
La musique est aussi une composante essentielle de cette histoire. Pourquoi avoir fait appel à Evgueni et Sacha Galperine à qui l’on doit des BO aussi diverses que celles de La Famille Bélier, Grâce à Dieu, Médecin de nuit ou L’Événement, et quelles directions leur avez-vous donné ?
C’est ma productrice française qui a eu cette idée géniale. On leur a montré le film et Evgueni et Sacha ont accepté d’emblée de faire partie de l’aventure. Avant qu’ils se lancent dans leurs compositions, ils m’ont fait passer des morceaux qu’ils avaient écrits pour d’autres films et j’ai pu entendre combien ils brillaient dans la manière d’exprimer et de faire passer les émotions les plus diverses, de la tension à la tristesse. J’en ai utilisé certains comme morceaux de référence sur l’animatic. Ça m’a permis d’être plus précise dans mes directives lors de nos échanges.
La meilleure preuve qu’ils étaient le choix idéal pour ce film est qu’ils m’ont parfois conseillé d’enlever de la musique ! Ça n’arrive quasiment jamais. Mais ils avaient en tête une règle essentielle : une musique ne doit jamais souligner mais accompagner l’émotion. Et tous leurs morceaux suivent cette logique.
Le film d’animation #MaFamilleAfghane a reçu le Prix du Jury au @annecyfestival 2021. Nous avons eu la chance de rencontrer sa réalisatrice #MichaelaPavlátová, qui nous en dit plus sur l’impact que cette récompense a eu sur sa carrière. À découvrir le 27 avril au cinéma ! pic.twitter.com/ElmlJ7Y6Mk
— Diaphana Films. (@diaphana) April 21, 2022
MA FAMILLE AFGHANE
Réalisation : Michaela Pavlátová
Scénario : Ivan Arsenjev et Yaël Giovanna Lévy d’après le livre Freshta de Petra Procházková
Musique : Evgueni et Sacha Galperine
Production : Negativ Films, Sacrebleu Productions
Distribution : Diaphana
Ventes internationales : Totem Films