Pourquoi avoir choisi d’aborder le thème du handicap dans votre premier long métrage ?
Margaux Bonhomme : Ce sujet me touche car Marche ou crève est inspiré de mon histoire personnelle : ma sœur est elle- même handicapée et comme ce qui arrive ici au personnage d’Elisa, le conflit latent entre mes parents sur le futur de ma sœur a éclaté au moment où je devais partir faire mes études. Mais l’autobiographie s’arrête là. Puisque que contrairement à ce qui se passe dans le film, j’ai grandi à Paris dans un milieu tout à fait favorisé. Alors que pour Marche ou crève, j’avais envie d’un souffle et d’un décor très fort. Le fait que le personnage de Diane fasse de l’escalade en découle, la symbolique de la montagne à gravir étant forcément très forte par rapport à ce que ces personnages sont en train de traverser.
En quoi parler d’un sujet aussi proche de soi facilite l’écriture ?
Partir de soi a l’avantage majeur de pousser à la sincérité. J’ai donc avancé pas à pas dans l’écriture en allant m’appuyer sur des émotions que je connaissais. J’ai essayé de construire une dramaturgie à partir de ces souvenirs. Mais ce que j’avais vécu me permettait de comprendre quand je risquais de forcer trop le trait.
Votre parti pris est de raconter cette histoire de chaos familial à travers le regard d’un personnage : Elisa, la sœur de cette jeune handicapée. Pourquoi ce choix ?
Parce qu’il correspond à mon goût de spectatrice pour les films construits de cette manière. Je suis très férue du cinéma des frères Dardenne mais aussi de Winter’s Bone de Debra Granik ou d’American Honey d’Andrea Arnold. Et toutes et tous ont fait ce choix de raconter une histoire à travers le point de vue unique d’un de leurs personnages. Cette subjectivité permet aux spectateurs de comprendre pourquoi ce personnage va dans le mur et crée par ricochet de l’empathie. Marche ou crève se vit donc à la hauteur d’Elisa avec ses qualités et ses défauts. Car au cinéma rien n’est plus intéressant que les personnages qui se plantent. Même si comme auteur, on a toujours la crainte que les défauts éloignent le spectateur d’un de ses personnages.
Face à Diane Rouxel qui campe brillamment Elisa, Jeanne Cohendy livre une composition saisissante dans le rôle de sa sœur handicapée Manon. Comment les avez-vous choisies ?
Le choix de Diane Rouxel en Elisa fut pour moi une évidence après l’avoir vue dans La Tête haute. Et j’ai d’abord fantasmé l’idée de confier celui de Manon à une personne handicapée en me disant que j’adapterais le scénario à elle. Avec ma directrice de casting Adelaïde Mauverney, on a donc rencontré de nombreuses jeunes filles handicapées qui avaient un désir de jeu et de théâtre. Mais je me suis vite rendue compte que j’étais trop attachée à ce personnage, inspiré de ma sœur et que demander à ces jeunes femmes à faire des choses trop éloignées d’elles ne fonctionnait pas. Or, je ne voulais pas modifier de fond en comble mon scénario. En parallèle, on cherchait aussi des comédiennes non handicapées. Jeanne Cohendy s’est alors imposée à nous ! Elle est allée plus loin que mon ambition. Et on a alors commencé à travailler toutes les deux un an et demi avant le tournage.
En quoi a consisté ce travail ?
Jeanne a fait un travail d’appropriation et de création. Elle a passé du temps avec ma sœur et d’autres personnes handicapées. Mais on a aussi regardé pas mal de films mettant en scène des personnages ayant un handicap, énormément échangé. Et en parallèle, elle a travaillé avec une coach, Danny Héricourt, et une prof de chant pour la voix. Car si au départ Manon était muette, j’ai assez vite eu envie qu’elle s’exprime. Au mixage, le monteur son m’a fait remarquer que le son issu de la bouche de Manon est pur, sans aspérité. Comme celui d’un bébé. On ne saurait mieux résumer la qualité du travail de Jeanne. Elle est allée chercher en elle ce son pur.
Et ce sans jamais la moindre notion de performance, vers lequel ce type de rôles peut parfois conduire…
Sur le plateau, j’étais un pare-feu pour éviter cela dès que je voyais que quelque chose sonnait faux, me paraissait trop… ou pas assez. Je n’ai pas une grande expérience du handicap mais comme ce personnage est inspiré de ma sœur, je pouvais voir ce qui sonnait vrai ou non.
Comment ce travail s’est-il aussi construit avec Diane Rouxel et Cédric Kahn qui joue leur père ?
Dès la première rencontre entre Jeanne et Diane, ça a tout de suite marché. Ce fut une évidence : elles se sont comme emboîtées. Puis on a travaillé avec elles et avec Cédric Kahn sur la manière dont son père et sa sœur allaient s’occuper de Manon. Quatre jours très intenses où je les guidais sur des gestes du quotidien : comment la porter, comment l’aider à manger, comment lui parler et quand lui parler. Ils ont aussi rencontré ma sœur, ils m’ont vue avec elle et mon père. Au final, cette approche très intime a guidé tout le processus de ce film.