« Mars Express » : entretien avec le réalisateur Jérémie Périn

« Mars Express » : entretien avec le réalisateur Jérémie Périn

20 mai 2024
Cinéma
Mars express
« Mars Express » réalisé par Jérémie Périn Gebeka Films

En marge de la table ronde « Parcours d’un film d’animation de l’écriture à sa diffusion : le cas de Mars Express » qui se tient au Festival de Cannes le 21 mai, le réalisateur Jérémie Périn revient sur la fabrication de ce long métrage d’animation et de science-fiction, qui se déroule en 2200. L’occasion de revenir sur son rapport au genre SF et aux techniques d’animation.


Comment l’histoire de Mars Express s’est mise en place dans votre esprit ?

Jérémie Périn : La toute première idée était de faire de la science-fiction. Pas n’importe laquelle : de la hard SF [une science-fiction vraisemblable en l’état des connaissances scientifiques – ndlr]. Le vertige que ce genre peut procurer nous manquait avec mon coscénariste, Laurent Sarfati. On visionnait toujours les mêmes films de SF qu’on adorait, et on en voulait d’autres. Sauf que nous n’avions pas d’histoire spécifique en tête. La SF, c’est formidable, mais ça n’apporte pas immédiatement une dramaturgie : il s’agit plutôt de thématiques et de décors. Généralement, les films de science-fiction sont corrélés à d’autres genres : Robocop est un film d’action et de SF ; Alien est un film d’horreur et de SF. Ce qu’on a essayé de faire avec Mars Express, c’est d’ajouter un aspect polar à la SF pour insuffler de la narration.

 

Comment s’est déroulée l’écriture en binôme avec Laurent Sarfati ?

De manière assez fluide. On écrit à peu près autant chacun : l’un de nous deux fait les cent pas pendant que l’autre tape au clavier. (Rires.) On échange constamment. Mais nous avons eu des désaccords sur la fin du film, qui a deux interprétations possibles. Il y en a une qui est de Laurent et l’autre de moi. On a choisi d’en faire une force, de laisser le public interpréter ce qu’il voit. J’aime l’idée de laisser le spectateur se questionner sur ses goûts. Pourquoi préfère-t-il croire une chose plutôt qu’une autre ?

Faire le film en animation était-il une évidence ?

Oui. Un film d’animation pour un public plutôt adulte, ce qui est assez rare. Mais si l’on ne tente pas de faire bouger les lignes, on est certain qu’il ne va rien se passer ! Les propositions d’animation pour adultes existent, bien sûr, mais elles sont à mon sens plus « auteurisantes ». Disons plus politiques ou sociales. Même si l’on souhaitait aussi développer ces éléments dans le film. Dans mon travail sur Mars Express, j’ai été particulièrement influencé par l’œuvre de Mamoru Oshii [Ghost in the Shell, Patlabor]. J’avais envie de trouver une esthétique qui donne une impression de réel au dessin. Quelque chose d’élégant, sans fioritures. Je voulais faire du cinéma au sens large, et pas seulement de l’animation.

Mars Express cite également tout un pan du cinéma américain de SF des années 1980-1990. Blade Runner bien sûr, mais aussi Terminator 2

Nous avons grandi avec ces films. On pourrait aussi nommer l’école Métal hurlant, qui a infusé jusqu’au Japon et aux États-Unis et dont on retrouve le ton dans Mars Express. On n’échappe jamais aux influences extérieures quand on réalise un film, et c’est normal. Dans le cas de Terminator 2, la vérité est que je n’ai pas trouvé de meilleure idée pour une scène que celle de Cameron, alors j’ai décidé de la garder. Mais j’applique son concept à un humain et non pas un robot, ce qui me permet d’affiner mon point de vue sur le personnage.

Je me suis beaucoup posé la question du graphisme comme vecteur d’émotions, comme outil pour accentuer le rapport au scénario. Il fallait un graphisme qui puisse supporter toutes les ruptures de ton, et le dessin réaliste était parfait pour cela.

Comment abordez-vous la mise en scène ?

La mise en scène est assez vaste, elle ne s’arrête pas à la composition des plans. Elle intervient dès l’écriture, puis au découpage avec le story-board, et évidemment au montage. Mais pour moi, elle est aussi dans l’interprétation et dans la façon dont le réalisateur demande aux comédiens de jouer tel ou tel moment. Le montage est aussi une partie essentielle de la mise en scène, parce que le sens du timing est très important dans le rapport émotionnel des scènes avec le spectateur.

Comment avez-vous choisi le design du film ?

L’avantage que nous avons en animation par rapport à la prise de vue réelle, c’est le choix dans les styles graphiques. Je me suis beaucoup posé la question du graphisme comme vecteur d’émotions, comme outil pour accentuer le rapport au scénario. Il fallait un graphisme qui puisse supporter toutes les ruptures de ton, et le dessin réaliste était parfait pour cela. Si l’on était parti sur quelque chose de plus « cartoon », Mars Express aurait été tout autre.

Le réalisme dont vous parlez se retrouve aussi dans la technologie de Mars Express.

Cet aspect nous a interrogés dès le scénario et de nouveau au début de la fabrication du film avec Mikael Robert, le directeur artistique. L’ambition était de faire de la SF qui n’ait pas l’air d’être « magique ». Le « vraisemblable » était central. Il nous fallait donc discuter avec des scientifiques. Cela a été le cas pour les vaisseaux – dont nous avons essayé de renouveler l’imagerie – ainsi que pour les voitures. Nous avons aussi rencontré Sylvain Bouley, un planétologue spécialiste de Mars. Il nous fallait savoir où l’humanité installerait une colonie en arrivant sur la planète, et il nous a guidés vers Noctis Labyrinthus, un réseau de canyons gigantesques. S’il y avait un dôme à placer, ce serait ici puisque les « murs » sont déjà présents naturellement. Après, on a tiré un fil logique : avec un plafond de verre, pas question de construire une ville dans la verticalité. Il fallait donc une cité horizontale, étalée, mais aussi chatoyante, presque utopique.

En tant que réalisateur et scénariste, il faut savoir où l’on se situe pour ne pas avoir à le faire dire à nos personnages.

Une ville qui rappelle Los Angeles…

Tout à fait. Cette influence est aussi présente pour une raison thématique : avec Laurent Sarfati, on pressentait qu’il y avait quelque chose du western dans cette histoire. Los Angeles, c’est la fin du voyage de la côte est à la côte ouest des États-Unis, avec tout ce que cela charrie d’imaginaire autour de la conquête de l’Ouest. Une fois que cette utopie de traverser tout le pays est terminée, que se passe-t-il ? Ce qu’on cherchait aussi à dire, c’est que les humains colonisent l’espace mais qu’il y a un point limite. Les autres planètes sont inaccessibles, trop éloignées. Mais les robots, eux, pourraient s’y rendre… Donc en se référant à Los Angeles, on voulait retrouver un petit peu cet esprit d’exploration terminale. Cela crée une mélancolie et une nostalgie alors que le film se passe dans le futur.

Imaginer le fonctionnement de ce monde a-t-il aidé à l’écriture ?

Énormément. Il est très important d’établir les règles du jeu, les fonctionnements sociaux et même économiques… C’est tout un univers avec son propre écosystème. En tant que réalisateur et scénariste, il faut savoir où l’on se situe pour ne pas avoir à le faire dire à nos personnages. Le déroulement logique, étape par étape, offre de nombreuses possibilités de vraisemblance sans avoir besoin d’explications, tout en amenant le spectateur à ressentir l’aspect vivant de ce monde.

Comment avez-vous travaillé le doublage des voix ?

De manière empirique. On fait le tri au moment du montage, avec l’animatique, qui contient les voix enregistrées. En fonction du rythme, des images… Comment les dialogues rebondissent-ils ? Quelles dynamiques veut-on créer ? Nous avons travaillé en création de voix, c’est-à-dire que les comédiens [Léa Drucker, Mathieu Amalric, Daniel Njo Lobé…] n’avaient pas d’image, uniquement le texte. J’aime être surpris par les acteurs et les actrices, quand ils apportent des choses… Ils arrivent avec leurs bagages et tout se mélange. Ce qui donne un melting-pot intéressant et du caractère aux personnages les uns par rapport aux autres. J’ai parfois laissé les comédiens jouer comme ils ont l’habitude de le faire lorsqu’ils sont face à une caméra. Et pour élargir le spectre, j’ai également engagé deux Youtubeurs que j’apprécie. Cela crée, je crois, des moments de suspension et fait vivre les personnages intérieurement, comme s’ils avaient du mal à exprimer leurs émotions. Par ailleurs, cela ouvre aussi la porte à des décalages. Ce qui autorise l’humour.

Mars express

Mars Express Gebeka Films

Réalisation : Jérémie Périn
Scénario : Jérémie Périn et Laurent Sarfati
Avec les voix de : Léa Drucker, Mathieu Amalric, Daniel Njo Lobé…
Musique : Fred Avril et Philippe Monthaye
Direction artistique : Mikael Robert
Production : Everybody on Deck
Distribution : Gebeka Films
Ventes internationales : Mk2 Films
Sortie en salles : 22 novembre 2023

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