En août 2009, le Festival International du film de Locarno récompensait Martine Marignac du Prix de la meilleure productrice indépendante. Rien que cette année-là, elle avait permis l’éclosion de ce qu’elle ne savait pas encore être l’ultime long-métrage de Jacques Rivette, 36 vues du Pic Saint-Loup ; un court-métrage de Jean-Marie Straub basé sur un texte de Cesare Pavese, Le streghe, femmes entre elles et enfin Un chat un chat, la comédie insolite de Sophie Fillières. Pour Martine Marignac, décédée le 14 juillet à l’âge de 76 ans, la notion d’indépendance n’était pas une coquetterie propre à faire joli dans les dîners mondains mais une ligne intellectuelle et professionnelle. Une position claire qui permettait d’accompagner et soutenir des auteurs avec pour unique exigence, leur épanouissement artistique. Cette liberté qu’elle voulait pour elle-même, rejaillissait dans son dialogue avec les cinéastes.
« Au niveau intellectuel, l'indépendance est une valeur clé, expliquait Martine Marignac au média Swissinfo.ch en marge du Festival de Locarno de 2009. D'une façon assez générale, on peut considérer en Europe que tout metteur en scène, quel que soit son mode de financement, est indépendant. Le cinéma européen laisse à l'ensemble des réalisateurs, quelle que soit la nature de leurs films, une assez grande marge de manœuvre. »
Une enfant de la Nouvelle Vague
La liste des fidèles de la productrice dessine un beau portrait de ce cinéma européen vivant et décomplexé, soucieux de bousculer les lignes : Jacques Rivette, Jean-Louis Comolli, Jean-Luc Godard, Otar Iosseliani, João César Monteiro, Jean-Marie Straub, Danièle Huillet, Chantal Akerman, Marco Bellocchio ou encore Sophie Fillières et Leos Carax.
Pour celle qui s’est toujours définie comme une « Enfant de la Nouvelle vague » tout a logiquement débuté dans une salle de cinéma du Quartier Latin à Paris. Elle a 13 ans quand sort Les Quatre Cent Coups de François Truffaut. Les aventures du « petit » Doinel servent de marqueur. Une caméra se doit d’enregistrer les battements du cœur et non en reproduire la seule mécanique. Le cinéma, art du vivant.
Après des études de philosophie qui s’accompagnent d’un diplôme d’esthétique du cinéma, elle choisit pour sa thèse, le film-monument de Sergueï Eisenstein, La Grève (1925), récit d’une révolte réprimée dans le sang d’ouvriers en lutte contre leurs conditions de travail. Une manière pour la future productrice d’entrer dans la cathédrale du septième art par l’entrée principale et peut-être, déjà, d’affirmer une forme d’engagement. Elle passera bientôt à l’enseignement du cinéma sous l’égide de Jean Rouch.
Elargir son champ d’action
Au début des années quatre-vingt, Martine Marignac fonde sur le mode d’une coopérative, une compagnie de production, La Cecilia où elle permet à Rivette et Godard, deux piliers de cette Nouvelle Vague qu’elle aime tant mais évoluant désormais dans la marge, de continuer leur travail. Ce sera Le Pont du Nord (1981) pour le premier et Passion (1982) pour le second. La Diagonale du fou (1984) de Richard Dembo ou encore Golden Eighties (1986) de Chantal Akerman suivront.
L’aventure se poursuit avec Pierre Grise productions, société fondée en 1988, qui lui permet d’élargir son champ d’action et d’accompagner des projets aussi ambitieux que le diptyque sur Jeanne d’Arc de Jacques Rivette en 1994 et bien plus tard Holy Motors de Leos Carax. Sa dernière production date de 2019, Merveilles à Montfermeil de Jeanne Balibar.
« Ce qu'il faut inventer, c'est la nouvelle Nouvelle Vague, affirmait également Martine Marignac en 2009 sur les rives du lac Majeur à Locarno. Elle découlera peut-être de la révolution numérique. Les metteurs en scène de la Nouvelle Vague ont inventé une nouvelle manière de faire du cinéma, en allant dans la rue et en faisant sortir la caméra des studios, ce qui leur a donné plus d'indépendance puisque leurs films coûtaient alors moins cher. Techniquement, ils ont été aidés par l'apparition du son direct. »