Dans son autobiographie, Ma vie racontée à mon chien cinéphile (L’Harmattan), Maurice Delbez, qui vient de s’éteindre à 97 ans, revient sur le tournage douloureux de ce qui reste l’œuvre de sa vie, Un gosse de la butte (Rue des Cascades) (1964) : « J’ai mis quinze ans à le faire. Quinze ans, c’est le temps de toute une carrière à laquelle j’ai dû renoncer. » Rue des Cascades ? L’histoire même du titre de ce long métrage traitant du racisme est compliquée. Preuve s’il en est de la trajectoire contrariée de son auteur. Pour ce film inspiré d’un roman de Robert Sabatier, Alain et le Nègre, Delbez voulait conserver le nom original mais dut se ranger à l’avis de ses producteurs. Le film sortira sous le titre Un gosse de la Butte, avant de devenir Rue des Cascades. Et le cinéaste d’ajouter : « J’en ai pleuré. Le film fut un échec. J’ai sombré avec lui, il fut mon « Titanic »… Mais, mon dieu, quel beau bateau ! A cause de l’extraordinaire chaleur amicale du tournage, il est mon dernier et plus merveilleux souvenir de cinéma. Le sourire, le visage, le talent de Madeleine Robinson resteront pour moi les symboles de ce temps de bonheur. »
Rue des Cascades raconte une histoire d’amitié entre un gamin blanc du quartier de Belleville et l’amant de sa mère à la peau noire. Ce dernier est aussi solide physiquement que le garçon est chétif. Ce rapport de forces et d’identités dessine les courbes d’un film d’une infinie douceur malgré le racisme ambiant qui plane au-dessus des êtres telle une ombre menaçante. Rue des Cascades est tourné aux débuts des années soixante dans une France qui a du mal à tourner la page de son histoire coloniale. Le film sera rapidement retiré des salles.
Si le nom de Maurice Delbez reste attaché à cette Rue des Cascades dont la ressortie en septembre en 2018 lui a redonné une visibilité, sa carrière n’en reste pas moins jalonnée de rencontres décisives. Il y a d’abord celle avec le comédien Julien Bertheau qui au début des années quarante pousse le jeune homme, issu d’un milieu populaire et alors engagé dans la Résistance, à trouver sa voie dans le théâtre. Après la Seconde Guerre mondiale, Pierre Fresnay, le fait entrer dans le « grand » monde du cinéma. Delbez, fraîchement diplômé de l’IDHEC (promotion Jean Vigo) devient l’assistant réalisateur de Maurice Cloche (La cage aux filles, Né de père inconnu…) et Guy Lefranc (L’homme de ma vie, Une histoire d’amour, Les malabars sont au parfum…). Il croise également la route de Robert Bresson, Jean Grémillon ou encore Jean-Pierre Mocky dont il coécrit le premier long métrage : Les dragueurs (1959).
Sa carrière de réalisateur débute avec un remake de La Roue d’Abel Gance (1957). Puis viendra, la même année, le succès d’A pied, à cheval et en voiture (1957), comédie sociale et anti-bourgeoise avec Noël-Noël et Darry Cowl. Le douloureux accouchement de Rue des Cascades signera, six ans plus tard, la fin de sa carrière de cinéaste. La suite sera exclusivement consacrée à la réalisation pour la télévision (il a signé plusieurs épisodes des Saintes Chéries). Il aidera aussi ses amis dans leurs propres entreprises cinématographiques, à commencer par Darry Cowl dont il sera le conseiller technique sur son unique long métrage de réalisateur, Jaloux comme un tigre, en 1964.