Vous aviez déjà travaillé avec Tristan Séguéla pour la série Tapie, où il était aussi question de football. C’est par son intermédiaire que vous êtes arrivés sur le projet Mercato ?
Olivier Demangel : Non, c’est plutôt l’inverse. Tout est parti de ma rencontre avec le producteur Alain Goldman qui avait, avec Jamel, ce projet de faire un film autour d’un agent de footballeur. Je lui ai tout de suite exprimé mon intérêt et j’en ai parlé à Thomas qui est un bien plus fin connaisseur du milieu footballistique que moi. On a ainsi travaillé de notre côté pendant un an et demi, au terme duquel Jamel a aimé notre scénario. Quand il a fallu trouver un réalisateur, comme Thomas et moi avions coécrit l’épisode consacré au match OM/Valenciennes de Tapie, le nom de Tristan nous est venu spontanément. On a suggéré à Alain et Jamel de regarder la série. Ils l’ont adorée et c’est ainsi que Tristan est arrivé dans l’aventure.
Comment construit-on un scénario qui va parler aux connaisseurs de ballon rond sans perdre les profanes ?
OD : La base du récit était limpide : un homme dans une course contre-la-montre pour se sortir d’une situation difficile, avec des voyous sur le dos. On était en pleine affaire Paul Pogba, ce n’était donc pas difficile à imaginer. On savait aussi qu’on écrivait ce rôle pour Jamel. Ça nous permettait de partir sur une idée de personnage fantasque qui pouvait être à la fois drôle, énervant, émouvant, pathétique. Ça nous ouvrait dès le départ le champ des possibles. Notre but a été de construire le scénario dans la durée, avec cette menace constante qui plane sur le personnage.
Thomas Finkielkraut : On s’est tout de suite dit qu’on voulait plonger le spectateur dans ce milieu du foot sans le prendre forcément par la main. Sans qu’il ne saisisse tous les termes techniques employés dans les dialogues entre les personnages. À l’image des séries médicales, par exemple.
OD : On avait des modèles en tête. On peut regarder Le Stratège sans rien connaître au baseball, The Social Network sans rien connaître aux algorithmes. Être pédagogue aurait gâché le plaisir à regarder Mercato car cela aurait cassé son rythme et l’intensité qu’on ambitionnait. Et puis on peut se permettre de ne pas tout expliquer car le mercato, ce marché des transferts d’un club à l’autre, est au fond un business comme un autre. Cela nous a donné l'opportunité de créer un personnage universel et, par conséquent, de développer des intrigues intemporelles, comme sa relation avec son fils.
Justement, comment avez-vous élaboré le personnage du fils de Driss ?
OD : On a construit ce fils en miroir. On voulait qu’il ait beaucoup d’amour pour son père mais qu’il lui renvoie aussi ce qu’il pensait de sa médiocrité et de son milieu.
TF : Ce qui nous permettait de créer un personnage de fils un peu à l’opposé de ce qu’on pourrait spontanément imaginer : un enfant qui lit des livres et n’aime pas le foot ! Pour cela, on s’est beaucoup nourris de la jeunesse d’aujourd’hui qui met plus en avant son éthique que les générations précédentes. Cette idée d’un fils qui devient le surmoi de son père me paraît correspondre à une forme de modernité. Cela permettait aussi d’insérer de la comédie dans le récit.
Le métier d’agent de joueur ouvre aussi le champ des possibles en termes de situations rocambolesques…
TF : Il y a toujours eu l’idée d’un personnage en mouvement permanent à travers ses nombreux voyages, car c’est ce que vit tout agent dans la dernière ligne droite d’un mercato. À la manière d’un homme politique, comme le héros d’El Reino de Rodrigo Sorogoyen, une autre de nos références. On a essayé d’utiliser tous les moyens de transport possibles. Du bus de nuit à l’avion en passant par le train !
OD : Il y avait même un bateau ! (Rires.) Mais aussi un scooter et un hélico, même si Driss ne monte pas dedans. C’est vrai que Mercato est un film sur le mouvement. Il en fallait aussi pour pouvoir intégrer tout ce que l’on souhaitait raconter sur ce milieu dans une durée limitée. Car l’agent est le lien entre de nombreux personnages : le gamin qui veut devenir une vedette, la star vieillissante qui cire le banc au PSG et attend la fin de sa carrière, le prodige qui joue à Madrid et vaut des milliards. On a voulu trouver une structure qui mêle toutes ces sous-intrigues tout en étant digeste. C’est la raison pour laquelle le début du récit a été difficile à construire. Nous avions énormément de trames à lancer mais il fallait prendre garde à ne pas tomber dans une forme d’empilement. Nous y avons travaillé jusqu’au montage final pour essayer d’affiner au maximum. Cela a constitué l’un de nos plus grands défis d’écriture.
Le football n’a pas forcément bonne presse aujourd’hui mais on sent chez vous un certain amour de ce sport…
TF : Je crois que Mercato montre que le foot est un milieu dur, perverti par l’argent. Mais aussi que le bonheur de voir de grands joueurs en action et de beaux gestes sportifs fait toujours autant rêver. On a vraiment essayé de tenir en permanence les deux extrémités du spectre.
OD : C’est vraiment le sport universel ! Il ne faut jamais oublier que même s’il est critiqué, un milliard de gens regardent les matchs tous les mois.
C’était une volonté de départ de montrer peu de moments sur le terrain, souvent le point faible des films sur le foot ?
TF : Il y avait une intuition très forte dès le départ d’Olivier pour qu’il y ait en effet le moins de foot possible à l’écran. C’est vrai que c’est très dur à représenter, même si Tristan l’a très bien fait le temps de la scène OM-Valenciennes dans Tapie.
OD : Parce qu’il n’y en a qu’une…
TF : … comme il n’y en a qu’une dans Mercato. Ce qui va avec l’idée d’un film sur les coulisses. Notre valeur ajoutée n’allait pas être dans la représentation du terrain.
OD : L’agent est de toute façon éloigné du stade en période de mercato. Il n’a pas le temps d’aller voir les matchs.
C’était important à vos yeux que dans toute la galerie de personnages que brasse Mercato, on retrouve une femme agent alors qu’elles sont peu représentées dans le monde du foot ?
TF : Ça nous est d’emblée paru essentiel en effet de ne pas laisser les hommes entre eux. Lina, que joue Monia Chokri, commence par travailler pour la communication d’une marque avant de devenir agent. Et ce personnage tient un rôle important dans le récit car il vient contrebalancer celui de Driss. Elle est dans un autre registre, plus en puissance. On a l’impression qu’elle le domine, que les choses se sont inversées par rapport au moment de leur rencontre. Cette faiblesse face à Lina permettait un autre éclairage sur le personnage de Driss.
Driss fait aussi face à un autre personnage féminin important, celui de la mère d’un jeune prodige qui rêve de voir son fils réussir…
OD : Je pense qu’on est restés en deçà de la réalité avec ce personnage. Des agents nous ont montré des mails qu’ils recevaient de parents avec des vidéos de leurs enfants âgés d’à peine trois ou quatre ans. Mais les sommes en jeu sont tellement énormes ! Le foot, c’est la poule aux œufs d’or.
TF : Cela participe au fait que le monde du foot est un milieu assez outrancier. Il y a aussi des choses qu’on s’est interdit de raconter car on voulait garder une part d’humanité dans chaque personnage et ne pas basculer dans la satire.
OD : Il n’a jamais été question de faire un film naturaliste. Mais je pense malgré tout que le spectateur perçoit la violence des rapports de force. Notre travail était de prendre garde à ce qu’on ne perde jamais l’empathie qu’on a pour les personnages.
Comment l’arrivée de Tristan Séguéla dans le projet a-t-elle influencé l’écriture du scénario ?
OD : Nous avons fait un état des lieux de ce qu’il aimait et aimait moins. Il nous a dit dans quelle direction il voulait que le scénario évolue. Puis on est repartis au travail pendant trois ou quatre mois. Mais tout a été très fluide car avec Tristan, on se connaît depuis longtemps. Il sait exactement comment on écrit et nous savons exactement comment il réalise.
TF : Il y a aussi eu un travail très collaboratif avec Jamel dans un premier temps, puis avec les autres comédiens, dans la foulée des lectures. C’est agréable de travailler avec quelqu’un comme Tristan car il se situe vraiment dans une logique de collaboration. Il nous a laissés assister aux lectures pour nous permettre de retravailler le scénario. Ce travail s’est d’ailleurs poursuivi tout au long du tournage, dès que Jamel se posait des questions sur des scènes et que Tristan nous demandait d’y répondre. Si nous avons réécrit des séquences, nous n’avons jamais modifié la structure du film.
Jamel a ce phrasé, ce rythme qui n’appartient qu’à lui. Ça complique ou facilite les choses quand on doit écrire des dialogues pour lui ?
TF : J’ai grandi avec Jamel, ses films, ses séries. Aussi, essayer de mettre des mots dans sa bouche s’est révélé un exercice vraiment excitant. Car sa musique, on la connaît par cœur. D’ailleurs l’une des premières réflexions de Tristan à la lecture du scénario, c’est qu’il entendait Jamel. Et ça nous est allé droit au cœur.
OD : On avait en effet cette musique en tête et l’ambition de la décaler un petit peu, d’amener Jamel dans des endroits où il est rarement allé – et qu’il avait envie de visiter –, vers un certain réalisme social.
MERCATO
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Réalisation : Tristan Séguéla
Scénario : Olivier Demangel et Thomas Finkielkraut sur une idée de Jamel Debbouze
Production : Pitchipoï Productions, Pathé Films, Kiss Films, Logical Content Ventures, TF1 Films Production
Distribution : Pathé Films
Ventes internationales : Pathé International
Sortie le 19 février 2025