Comment naît en vous l’idée de faire un film sur votre dépression ?
Pendant un an, seul dans un village isolé où m’avait conduit une histoire d’amour dont la fin a marqué le début de mon état dépressif, visionner des films était devenu mon occupation principale. Et c’est au moment où une porte de sortie s’entrouvre (la possibilité d’un retour à Paris) que me vient l’idée de raconter les différentes étapes de l’état dans lequel je me suis trouvé. Surgit alors tout de suite l’idée du found footage, du mashup d’extraits de films. D’abord parce que j’avais déjà travaillé sur ce procédé dans mes courts métrages. Et ensuite, parce que je me rendais au compte au fil du temps que les films que je visionnais finissaient quasiment tous à un moment par raconter l’état dans lequel j’étais ou je venais de passer.
Comment avez-vous sélectionné les extraits parmi les centaines de films que vous avez vus pendant cette phase dépressive ?
Je suis parti de ceux que j’ai aimés. Pendant ma dépression, je voyais certes des films compulsivement mais j’arrêtais quand ça ne me plaisait pas. Je ne suis pas masochiste non plus ! (rires) J’ai donc commencé à tout lister dans un journal en me focalisant sur les seules fictions. Puis, j’ai visionné de nouveau ces films les uns après les autres, extrait tous les plans qui m’intriguaient, me séduisaient ou me renvoyaient aux différents états dans lesquels j’avais pu passer. Soit quelques 27 000 extraits. Et à partir de là, avec mon monteur Thomas Marchand, on a commencé à les classer thématiquement pour éliminer les doublons. Chaque extrait retenu durait entre 1 et 30 secondes. On s’est retrouvé avec 3 heures d’images au total.
A quel moment débutez-vous l’écriture du texte qui va accompagner ces images ?
Dès ce travail de pré-sélection terminé. Je l’enregistre au dictaphone en une seule prise dans ma chambre. Puis avec Thomas, on commence à confronter les images à ma narration. Un vrai travail de puzzle qui aura duré 6 mois pour boucher les trous, trouver des articulations qui ne soient pas seulement illustratives mais aussi des contrepoints humoristiques, des moments qui redynamisent le récit.
Comment vous débrouillez-vous pour avoir les droits de tous ces films ?
J’ai commencé à travailler sans me poser cette question. Puis l’un de mes producteurs a vu Le Livre d’image à Cannes et m’a expliqué que Godard y prenait plein d’extraits, retaillait même dedans et les créditait sans les payer. Cela créait donc un précédent. Et j’ai agi de même car je tenais de toute façon à créditer dans le générique final les films dont j’avais choisi les extraits pour donner envie aux gens de les voir.
Aucune musique n’accompagne votre documentaire sauf justement dans son générique final. Pourquoi ce choix ?
Car cela aurait créé une troisième couche narrative qui aurait perturbé l’ensemble. Mais, arrivé à la fin du montage, on s’est aperçu qu’il y avait un manque. Et on a donc placé sur le générique de fin ce morceau de Bonnie Prince Billy, cité dans mon texte. Afin d’apporter un sentiment d’apaisement et de réconciliation.
Avec le recul, qu’avez-vous éprouvé en vous replongeant dans votre état de dépression au cours de ce processus créatif ?
Ca dépendait des jours et des passages des films en question. Mais le travail sur l’image extrêmement ludique a contrebalancé les moments où je n’en pouvais plus de m’entendre me plaindre. Ce rapport heureux au travail a permis à la dépression de s’éloigner de plus en plus chaque jour.
Ne croyez surtout pas que je hurle, au cinéma le 25 septembre, a bénéficié du fonds d'aide à l'innovation audiovisuelle (aide au développement renforcé) et de l'aide sélective à la distribution (aide au film par film) du CNC.