Inspiré d’un conte africain
Michel Ocelot a trouvé l’inspiration de son premier long métrage dans un conte africain, qu’il a découvert dans un recueil publié par Equilbecq, administrateur des colonies françaises au début du XXe siècle. Dans l’histoire d’origine, il est question d’un enfant qui naît seul sans l’aide de sa mère, se lave par ses propres moyens et va aussitôt combattre une sorcière qui menace son village. Doté d’aussi grands pouvoirs qu’elle, il finit par la tuer. Michel Ocelot a bien entendu largement modifié la légende pour développer son propre scénario dans lequel le choix moral de Kirikou est essentiel, et où l’enfant guérit la sorcière au lieu de la tuer. Tous les noms des personnages ont par ailleurs été inventés par le réalisateur, qui entretient un lien très fort avec l’Afrique puisqu’il a passé son enfance à Conakry, en Guinée.
Entre Le Douanier Rousseau et l’art égyptien
Le style à part de Kirikou et la sorcière est né d’un mélange entre les tableaux du Douanier Rousseau (l'univers visuel) et de l'art de l’Egypte antique (l’apparence des personnages). Dans une première version qui n’a finalement jamais vu le jour, Ocelot voulait se rapprocher du théâtre d’ombres, avec des silhouettes se déplaçant sur des décors colorés. S’il avait déjà expérimenté ces choix graphiques dans ses courts métrages, ses conseillers l’ont découragé d’aller vers cette voie plus radicale : ils étaient persuadés que les investisseurs ne suivraient pas.
Un budget compliqué à boucler
Le budget total du film fut de 25 millions de francs, mais il a fallu deux ans pour en arriver là. Beaucoup d’investisseurs estimaient qu’il s’agissait d’un projet d'art et essai et que le succès était plus qu’incertain. À l’époque, le cinéma d’animation français n’existait pratiquement pas et seul Disney réussissait à rassembler les spectateurs hexagonaux dans les salles. Le financement est venu de la France (le CNC, Canal+…) mais également de l’international (le programme MEDIA de l'Union européenne, le Fonds international de soutien à la production audiovisuelle du Luxembourg…).
Une production à cheval entre différents pays
Michel Ocelot a orchestré la production de Kirikou et la sorcière entre six studios situés dans cinq pays différents (Paris, Riga, Budapest, Bruxelles, Angoulême et Dakar). La fabrication du film a été mouvementée et de nombreuses tensions ont eu lieu entre les huit coproducteurs du film, dont la collaboration n’était née que sous la contrainte économique. En parallèle, le réalisateur jonglait avec son poste de président de l'Association internationale du film d’animation.
Entre informatique et dessins à la main
Kirikou s’est largement servi de l’informatique. Si les décors et personnages ont été dessinés à la main, l’ordinateur permettait de rassembler tous les éléments terminés et de les compléter, tout en gérant les effets spéciaux et les mouvements de caméras multiplanes. Ce travail a été confié aux studios Les Armateurs (à Angoulême) et à Odec Kid Cartoons (Bruxelles). Chaque image du film était composée de plusieurs niveaux de dessins, qu’il s’agisse des décors, des accessoires ou des personnages.
Une musique signée Youssou N'Dour
Tout comme les voix, la musique de Kirikou a été enregistrée en Afrique. Le chanteur sénégalais Youssou N’Dour, qui avait reçu le scénario du long métrage en avance, a accepté de composer la bande originale. Michel Ocelot lui a imposé de nombreuses contraintes, comme l’utilisation d'instruments traditionnels africains (avec une restriction de l'emploi des tam-tams aux dernières scènes) ou de garder les mêmes comédiens vocaux pour les dialogues et les parties chantées. Youssou N’Dour a également composé la chanson du générique de fin, interprétée par Mendy Boubacar avec des paroles en wolof, la principale langue parlée au Sénégal. Youssou N’Dour devait au départ la chanter, mais son label lui en a refusé le droit.
Succès surprise
Malgré la concurrence de grosses productions américaines d’animation (Mulan, Le Prince d’Égypte et Fourmiz) au moment de sa sortie le 9 décembre 1998, Kirikou et la sorcière défie toutes les projections. Le film fait le plein dans les salles art et essai et est bientôt projeté dans les multiplexes, porté par un bouche à oreille très positif et des critiques dithyrambiques. Il finit par atteindre 1,4 million d’entrées en fin d’exploitation. Un succès colossal et inattendu : « Ça a été une heureuse surprise pour tout le monde », expliquait dernièrement à l’AFP Marc Bonny, distributeur du film avec sa société Gebeka. « Peu de personnages de films d'animation ont acquis la notoriété de Kirikou ».
Des prix en cascade
Kirikou et la Sorcière a remporté une trentaine de prix au total, et notamment le très convoité Grand prix du meilleur long métrage d'animation au Festival international du film d'animation d’Annecy, en 1999. Le long métrage a également été célébré un peu partout sur la planète dans divers festivals européens, américains, africains et asiatiques.
Le cinéma d’animation revitalisé
Le succès de Kirikou et la sorcière a durablement changé le paysage de l’animation française. De nombreux investisseurs ont accepté de financer des projets moins évidents : « Tous les professionnels s’accordent sur le fait qu’il y a eu un avant et un après Kirikou et la Sorcière. En dépassant le million de spectateurs, j’ai montré qu’un film d’animation français pouvait rapporter de l’argent », expliquait en 2006 Michel Ocelot au Figaro. Par la suite, d’autres longs métrages ont emboîté le pas à Kirikou, devenant des succès à la fois critique et public, à l’image des Triplettes de Belleville (2003) ou de Persepolis (2007). « C'est le petit miracle de Kirikou. Alors qu'avant on n'en produisait presque pas, maintenant on produit plusieurs longs métrages d'animation en France chaque année », se réjouissait dernièrement Michel Ocelot.