Aux alentours de 2010, Florent Bernard n’a pas encore 20 ans. Animé par une passion dévorante pour le cinéma, il quitte sa Saône-et-Loire natale afin de tenter sa chance à Paris. Pendant ses études d’audiovisuel à la faculté, il se débrouille pour trouver des petits rôles de figuration dans les web-séries Nerdz et Karaté Boy de Davy Mourier et Monsieur Poulpe, stars de l’Internet français de l’époque. Une porte d’entrée vers Golden Moustache, collectif qui publie des sketches sur YouTube et rassemble des centaines de milliers de fidèles. Florent Bernard y apprend l’art de la débrouille. « Chacun faisait un peu tout. En ce qui me concerne, j’écrivais, je réalisais, je montais, je cadrais même parfois… Ce qui me permet aujourd’hui d’avoir une vision globale et de parler à tous les corps de métiers sur un plateau », analyse celui que le public connaît également sous le pseudonyme de FloBer.
Florent Bernard garde de son passage sur le Web un certain sens du rythme (« Je ne supporte pas qu’une séquence dure plus de cinq minutes ») et une forme d’intranquillité (« Sur un tournage, j’ai évidemment une chaise, mais je ne suis jamais assis dessus. Sûrement parce que je n’ai pas été éduqué comme ça ») qui transpirent de Nous, les Leroy, son premier long métrage. Grand Prix au festival de l’Alpe d’Huez en janvier 2024. Charlotte Gainsbourg y incarne Sandrine Leroy, une mère de famille usée qui décide de demander le divorce. Mais son mari, Christophe (José Garcia), tente une opération de la dernière chance : un road trip avec leurs deux enfants sur les traces du passé familial.
Le scénario est fictif mais inspiré par la propre histoire du cinéaste. « Mes parents se sont séparés quand j’avais l’âge des enfants du film. Mon frère et moi leur avons dit que c’était leur problème et mon père l’a très mal pris, croyant que nous nous en fichions. L’idée est venue de là ». Le récit est teinté d’une nostalgie très autobiographique pour la France périphérique, celle des ronds-points et des zones commerciales : « Cet univers, je le connais par cœur puisque j’y ai longtemps vécu. Mais je le traite ici avec une approche “américaine” : il s’agissait d’émuler la façon dont les États-Unis parviennent à rendre cinématographiques leurs épiceries ou leurs stations-service. La nuit, avec les lumières de la façade, un parking de magasin peut prendre des airs de Las Vegas. J’ai grandi dans ces endroits avec une Foir’Fouille et un Intersport, j’en suis nostalgique. Je leur ai toujours trouvé un look de cinéma : ce sont des lieux qui n’ont pas de hauteur, on peut quasiment les filmer en Scope et capter le ciel en même temps. C’est du western ! »
Transition naturelle
Sa transition du Web au grand écran, Florent Bernard explique l’avoir faite « très naturellement ». Entre deux épisodes du populaire Floodcast (un podcast qui reprend le principe des Grosses Têtes – ndrl), qu’il coanime depuis 2015 avec son compère Adrien Ménielle, il a navigué du montage de la saison 3 du Visiteur du futur à la cocréation de la web-série Groom, diffusée sur YouTube, en passant par la salle d’écriture du format court Bloqués (avec Orelsan et Gringe). Depuis, FloBer est un homme bien occupé : coscénariste des séries La Flamme et Le Flambeau avec Jonathan Cohen et Jérémie Galan, il a également coécrit le film d’horreur Vermines, de Sébastien Vaniček. Les deux cinéastes travaillent en ce moment sur un film dérivé de la franchise Evil Dead.
La réalisation et l’écriture de son propre long métrage étaient la suite logique : « Je l’ai toujours désiré, mais je pense qu’il me fallait tout simplement du temps pour travailler et apprendre mon métier. J’ai tourné mon premier film quand j’avais 31 ans, ce qui reste tout à fait raisonnable. (Rires.) Mais disons que j’ai eu le loisir d’affiner mon histoire et d’aiguiser mes outils de réalisateur et de scénariste. » Un timing parfait, selon lui : « Le public qui me suivait à l’époque sur Internet a maintenant la trentaine, il a du pouvoir d’achat, même si la formule n’est pas très belle ! En tout cas, il a l’âge de remplir des salles. »
Florent Bernard a sûrement été bien inspiré de ne pas se précipiter vers le cinéma. Tandis qu’il faisait ses armes sur Dailymotion et YouTube, il observait certains noms du Web passer de l’autre côté de la barrière. Avec des résultats plus ou moins satisfaisants : « Quand j’ai commencé sur Internet, les commentateurs disaient : “Voilà la nouvelle génération de l’humour.” C’était certainement vrai, sauf que ça ne s’est pas fait immédiatement. Il y a eu quelques échecs et quand les films ou les séries marchaient, on cachait étrangement le côté “Internet”. Les Kaïra, par exemple, a fait un million d’entrées, mais n’a jamais été vendu comme l’extension sur grand écran d’une web-série. »
La fiction sur Internet est aujourd’hui considérée comme un véritable centre de formation pour le cinéma. Charlotte Gainsbourg, qui a fait confiance à la fougue de Florent Bernard, a découvert sur le tournage de Nous, les Leroy un réalisateur qui « sait absolument ce qu’il veut et ce dont il a besoin pour raconter son histoire. Quand on tourne, il a déjà son montage en tête, il a très peu de doutes. C’est-à-dire qu’il sait quand une prise est bonne et qu’il n’est pas nécessaire de la refaire. C’est très rassurant ! » Son compagnon de jeu, José Garcia, ne dit rien d’autre : « Il est très précis sur le texte parce qu’il a le sens du rythme, y compris dans l’émotion. Son idée d’engager de jeunes humoristes et youtubeurs, avec leur tempo qui vient d’Internet ou du stand up, rejaillit sur des scènes comiques dont nous ne sommes jamais exclus. C’est formidable et jubilatoire. Chacun de ses personnages apporte une dynamique. Et puis Florent adore Paul Thomas Anderson et je trouve qu’il possède un peu la même manière de filmer que lui. J’adore cette scène où Christophe et ses enfants sont assis sur des voitures dans un parking. Le cadre, la lumière, les axes… Tout est beau. »
Influencé à parts égales par Patrice Leconte et Judd Apatow, FloBer théorise qu’une « bonne comédie doit avoir deux qualités : la générosité et la sincérité. Mes figures tutélaires au cinéma savent mélanger plusieurs types d’humours et marier la comédie et l’émotion. Je ne voulais pas que mon premier long métrage soit un pur drame. J’avais la sensation que ce n’était pas ce qu’on attendait de moi. C’est un peu bête à dire, mais c’est un film à l’image de la vie : on ne rit pas tout le temps, on passe d’un état à l’autre. »
NOUS, LES LEROY
Réalisation et scénario : Florent Bernard
Photographie : Julien Hirsch
Montage : Quentin Eiden
Production : Nolita
Distribution : Apollo Films et TF1 Studio
Sortie le 10 avril 2024
