S’il fallait définir l’acte de naissance d’un artiste aussi touche-à-tout que Pierre Philippe, décédé ce 20 décembre à l’âge de 90 ans, la date et l’heure ne seraient pas d’une grande d’aide. Le privilège du poète est bien de se réinventer inlassablement, de raturer ce qui a été écrit pour mieux faire revivre l’inspiration. Qui du cinéaste, du scénariste, du parolier, du journaliste, du documentariste, du fan du music-hall, définit le mieux cet homme que d’aucuns diraient nombreux ?
Dans un entretien donné en 2012 au CNC dans le cadre d’une rétrospective sur le cinéma fantastique français organisée à la Cinémathèque française, Pierre Philippe expliquait à propos de la réalisation de son long métrage Midi-Minuit (1970) : « Je ne voyais pas comment, dans l’espèce de flot qui nous arrivait à travers la Nouvelle Vague, je pouvais trouver une place... » Il précisait aussitôt : « ... Je ne désirai même pas en trouver une, à vrai dire... » Aucune lamentation chez cet homme, à l’aise dans l’entre-deux, là où les frontières ne séparent rien. Un esprit d’ici et de nulle-part.
Commençons peut-être par là. Midi-Minuit, 1970, un long métrage « fauché » tourné à la hâte à la fin d’un été dans les décors majestueux des Baux-de-Provence, « lumineux comme une boite de dragées » et porté par une équipe pleine de fougue joyeuse à défaut d’expérience. On suit l’arrivée d’un couple dans un étrange manoir, théâtre d’expériences sexuelles extrêmes et rites sadiques. A l’écran, Daniel Emilfork, joue les Nosferatu et Béatrice Arnac, les mantes religieuses à l’humour ravageur : « Je ne connais pas de pompiste plus sentimental dans tout le département. », lance-t-elle avec malice. Avec ce film de fiction iconoclaste, Pierre Philippe gagne son pari et ne « trouve pas sa place ».
« Je me voyais comme quelqu’un de différent ! »
L’homme a débuté par la décoration de théâtre à partir de la fin des années quarante avant de devenir journaliste de cinéma au mitan de la décennie suivante. Membre de la revue Cinéma, il « fait une place » aux productions fauchées de science-fiction ou d’épouvante, alors méprisées par ses confrères. « ... Le fantastique me permettait de poser un regard sur les images... Je me voyais comme quelqu’un de différent. », explique-t-il, toujours en 2012. C’est à ce moment-là qu’il invente le terme de « cinéma bis », devenu avec le temps autant un signe de reconnaissance qu’un genre en soi.
Sans totalement délaisser la plume, Pierre Philippe intègre la télévision et débute une collaboration intellectuelle et amicale avec Daisy de Galard, créatrice de l’émission consacrée aux femmes, Dim Dam Dom. C’est avec elle, qu’il signe ses premiers reportages et documentaires sur la mémoire du cinéma, dont ce Il y a 60 ans... Judex en 1977, sur la création du personnage de Louis Feuillade et le contexte qui l’a vu naitre au sein des usines de la maison Gaumont dans les derniers feux de la Première Guerre Mondiale. Philippe officiera bientôt pour la Gaumont afin d’en valoriser le prestigieux catalogue. C’est lui qui sera ainsi l’un des instigateurs de la première restauration de L’Atalante de Jean Vigo en 1990.
Scénario et chanson
Il y a aussi le Pierre Philippe, l’homme de lettres, à commencer par le parolier, complice de la chanteuse Juliette, d’Ingrid Caven rencontrée dans les seventies, pour qui il traduit en français des textes de Rainer Werner Fassbinder. Mais c’est avec Jean Guidoni dont il co-écrit quatre albums, que la collaboration sera la plus étroite. Il faudrait aussi noter sa rencontre avec Astor Piazzolla et la composition d’un opéra inachevé.
« Pierre Philippe est un ogre, un dévoreur éblouissant de mots, qui aurait tout lu et tout retenu, dit de lui le journaliste et spécialiste du cinéma LGBTQI+, Didier Roth-Bettoni en mars 1999. Un écrivain à la frontière du réalisme et du surréalisme, et le compagnon des plus belles dérives des chanteurs les plus originaux de notre époque, les Guidoni et les Juliette. Son monde est tragique et lumineux – d’une lumière noire bien sûr – et étourdissant de raffinement et de culture. »
Il y a aussi le scénariste. Celui de L’Oiseau rare pour Jean-Claude Brialy (1973), d’On efface tout de Pascal Vidal (1979) ou plus proche de nous, de Faubourg 36 de Christophe Barratier (2008), où ce féru de music-hall a pu laisser parler sa passion.
En 2004, Pierre Philippe a fini par publier un recueil regroupant tous ses textes, Le Rouge, le rose (Christian Pirot Editions). Ces dernières années, il a contribué à mettre en valeur le patrimoine muet chez Gaumont Pathé Archives notamment par le montage d'archives pour divers programmes.
Pierre Philippe se voyait comme un parfait dilettante soucieux de mettre une certaine légèreté en toute chose.
