Pierre Salvadori : « Je voulais un récit qui aille à toute allure »

Pierre Salvadori : « Je voulais un récit qui aille à toute allure »

29 octobre 2018
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En liberté ! de Pierre Salvadori
En liberté ! de Pierre Salvadori Memento Films Distribution

D’abord passé par La Quinzaine des Réalisateurs lors du dernier Festival de Cannes où il a fait une belle impression et empoché le Prix SACD, En liberté ! sort en salles le 31 octobre. Rencontre avec Pierre Salvadori, le réalisateur de cette comédie rassemblant Adèle Haenel et Pio Marmaï.


Les retours sur En Liberté ! sont jusqu’ici très élogieux. Dans la foulée de la sortie en salles du film paraîtra un livre d’entretiens, dans lequel vous revenez sur l’ensemble de votre carrière (Pierre Salvadori, le prix de la comédie. Ed. Playlist Society). Avez-vous l’impression que l’heure de la consécration a sonné ?
J’ai l’impression qu’au-delà même du film, c’est la place qu’il occupe dans tout mon travail qui est défendue et analysée. Une place que j’espère cohérente. Même si je n’ai jamais eu à me plaindre de la façon dont la critique m’a traité, c’est la première fois que mon travail est observé dans sa globalité. Je me souviens qu’à la sortie des Apprentis, par exemple, c’est son ancrage social qui intéressait les journalistes de cinéma, pas trop la mise en scène ni l’écriture. Or je vois bien qu’avec En liberté ! , c’est son côté osé, tout en rupture de ton, qui plaît. Il est possible qu’une nouvelle génération de critiques ait moins de problème avec la comédie. Le genre n’est plus disqualifiant pour un auteur qui voudrait se lancer. Tant mieux, si modestement j’ai contribué à cette libération…

Quel est le point de départ d’En Liberté ! ?
C’est le ton qui détermine tout. J’ai dit à mes deux coscénaristes - Benoît Graffin et Benjamin Charbit - : « Je veux une comédie colorée, rapide… » A l’heure des séries qui permettent un étalement du récit, une complexité dans la narration et des personnages extrêmement fouillés, je voulais opposer un scénario très resserré dans l’espace, des émotions fortes et un récit qui aille à toute allure. Du coup, on a cherché dans nos cartons et je me suis souvenu d’une vieille idée : l’histoire d’un innocent qui veut donner du sens à sa condamnation. Il se demande surtout comment rattraper le temps perdu. Une fois que nous avions l’ossature du personnage masculin, nous lui avons tout de suite accolé un personnage féminin : une veuve qui, par culpabilité, décide prendre en charge le bonheur de ce pauvre type.

Le film débute de façon très étonnante, avec la vision d’un enfant qui fantasme son père en homme d’action façon cinéma américain…
C’était jubilatoire à écrire et à filmer car je savais que je pouvais aller loin dans la folie. Cette séquence place d’emblée le film sur le terrain du fantasme et du mensonge. Ce que l’on voit n’est ni plus ni moins qu’une histoire racontée à un enfant pour le consoler d’avoir perdu son père. Dans le rôle du flic casse-cou, Vincent Elbaz, s’est vraiment amusé à grossir le trait. Lorsque le film bascule ensuite sur le personnage joué par Pio Marmaï, la réalité reprend ses droits. Nous sommes face à un type normal, qui sort de prison et n’a plus les codes pour vivre en liberté. Il y avait quelque chose de poétique à opposer ces deux univers. 

Cette séquence d’ouverture va se répéter à plusieurs endroits du film, avec un récit légèrement modifié à chaque fois… D’où vous est venue cette idée ?
Du film Stand by Me de Rob Reiner, l’histoire de cette bande de gamins qui part à la recherche d’un cadavre. Le film est articulé comme un long flash-back. L’histoire est racontée par l’un des quatre jeunes héros devenu écrivain qui se décide à écrire leurs aventures. A un moment de son récit, dans une sorte de mise en abîme de la narration, son personnage enfant raconte à ses copains une histoire. Les jeunes héros sont assis au coin du feu, ils ne sont pas rassurés alors il essaie de les distraire. Cette petite histoire est comme une ampoule que l’on allume au milieu du film pour éclairer l’ensemble. Elle donne une énergie incroyable. Ça faisait longtemps que je voulais rependre cette idée à mon propre compte.

Sur le plan formel, le film est très audacieux, comme si vous cherchiez à éprouver au maximum votre mise en scène. Comment préserver une cohérence malgré tout ?
Au tournage, je savais pertinemment après quoi je courais et ne lâchais rien tant que je n’avais pas trouvé ! Prenez la séquence du braquage, a priori rien de bien nouveau, surtout en comédie, où tout va se jouer sur la crédibilité des truands et leurs éventuelles maladresses. Or, ce qui m’intéressait ici était de jouer avec les émotions des protagonistes sur un temps très court. Ils passent ainsi de la nervosité à l’apaisement, de l’affection à la détresse… Ce qui explique le caractère très elliptique de l’ensemble. Je savais aussi qu’en post-production, je modifierais les voix rajoutant une couche de bizarrerie. Une comédie se fait à l’aveugle. C’est une fois dans la salle avec le public que vous savez si vos intuitions étaient bonnes ou pas. Un spectateur qui rit dès le départ, vous fait confiance pour la suite. Vous pouvez l’emmener où vous voulez. Mais cette confiance, il faut la gagner. Et là, c’est un saut dans le vide.

Si on retrouve au casting des habitués de votre cinéma comme Pio Marmaï ou Audrey Tautou, vous travaillez pour la première fois avec Adèle Haenel, qui plus est, dans un registre où on ne l’a pas beaucoup vue…
C’est drôle car il lui a fallu une petite semaine pour comprendre ce que je voulais. Au départ, elle tâtonnait, en faisait presque trop. En comédie, il est très dur pour un acteur de restituer la vérité et l’innocence d’un personnage. Adèle avait tendance à accentuer ses intentions et donc ses réactions. Je lui demandais au contraire d’être plus discrète dans ses émotions. Il est souvent très difficile d’expliquer ce que l’on recherche, alors on dose, on enlève, on rajoute… Et puis au bout de cinq jours, elle avait saisi le truc. Elle avait soudain le bon tempo, la bonne énergie… Elle était parfaitement accordée. A partir de là, elle s’est même autorisée à amplifier des choses, tout en gardant la note juste. C’est le propre des très bons comédiens.