Protéger sans censurer : la classification des œuvres cinématographiques

Protéger sans censurer : la classification des œuvres cinématographiques

03 avril 2023
Cinéma
« X » de  Ti West
« X » de Ti West capelight pictures OHG / Christopher Moss

L'exploitation publique en salles d'une œuvre cinématographique en France est soumise à l'obtention préalable d'un visa délivré par la ministre de la Culture, après avis de la Commission de classification des œuvre cinématographiques. Le cas du cinéma, en France comme dans beaucoup d'autre pays, reste à cet égard particulier puisque la fréquentation des salles de cinéma est la seule pratique culturelle qui soit soumise à une autorisation préalable.

Le rôle de la Commission se limite à la classification des films exploités en salles. Elle n’est compétente ni pour la télévision, les DVD, la VàD, les jeux vidéo ou Internet.


« Messieurs les Censeurs, bonsoir ! ». Ce salut provocateur que Maurice Clavel lance le 13 décembre 1971 en quittant le plateau de l'émission télévisée en direct « À armes égales » après avoir constaté que le film qu'il avait réalisé avait été amputé lors de sa présentation à l'antenne de quelques images par l'ORTF, reste dans les mémoires et illustre sans doute mieux que Les Ciseaux d'Anastasie l'histoire tumultueuse des rapports entre le cinéma et la censure. S'il fût une époque où les interdictions d'exploitation des films pouvaient être motivées par des raisons politiques ou morales, il ne doit plus en être de même aujourd'hui où la loi (ordonnance du 24 juillet 2009) délimite désormais précisément le domaine d'intervention de la classification en énonçant de manière exclusive les motifs pour lesquels un film peut faire l'objet d'une restriction.

Protéger sans censurer

Alors même qu'elle constitue une restriction à la liberté de communication, la classification et les objectifs au nom desquels elle est effectuée ne reposaient, jusqu'à une date récente, sur aucun fondement législatif. L'ordonnance du 24 juillet 2009 a comblé ce vide en inscrivant dans l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée que la délivrance du visa d'exploitation ne peut être subordonnée à des conditions que pour des motifs tirés de la protection de l'enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine.

C'est donc dans l'objectif de protéger les jeunes spectateurs et d'informer le public que la commission exerce désormais sa mission. Elle le fait dans le respect de la liberté de création et de l'intégrité du film.

Love de Gaspard Noé
Love de Gaspard Noé Les Cinémas de la Zone Rectangle Productions Wild Bunch RT Features COPE Pictures

Elle visionne le film dans son intégralité, dans des conditions parfaitement identiques à celles qui présideront à sa projection publique en salles. L'œuvre est appréciée dans son ensemble. La commission ne peut ni demander de modification ni effectuer de coupe dans le film ; elle n'exerce donc aucune censure. De façon générale, elle s'attache à restituer au film les éléments propres à son langage afin de ne pas coller aux seules images tout en évaluant l'aptitude d'un public jeune à en saisir la portée. C'est pourquoi les films interdits aux mineurs le sont en fonction de tranches d'âges : moins de 12, 16 et 18 ans et peuvent être assortis le cas échéant d'un avertissement motivé par le caractère particulièrement sensible d'une ou plusieurs scènes de l'œuvre. Le classement délivre ainsi au public des informations utiles susceptibles de l'aider dans ses choix.

C’est donc dans l’objectif de protéger les jeunes spectateurs et d’informer le public que la commission exerce désormais sa mission. Elle le fait dans le respect de la liberté de création et de l’intégrité du film.

Un Comité d’experts

À la tête de la commission siègent un président (choisi parmi les membres du Conseil d’État) et un président suppléant nommés par décret du Premier ministre. Les 27 membres titulaires, assistés de 54 membres suppléants, sont nommés par arrêté du ministre de la Culture et répartis en 4 collèges : collège des ministères (5 membres), collège des professionnels (9 membres) collège des experts (9 membres), collège du jeune public (4 membres âgés de 18 à 24 ans). Le travail de la classification se déroule en deux étapes : les comités et la commission.

Les comités de classification composés de 70 membres nommés par arrêté de la ministre de la Culture siègent quotidiennement, matin et après-midi, réunis par groupes de 6 à 10. Ils examinent in extenso tous les films pour lesquels un visa est demandé (longs ou courts métrages, français et étrangers, bandes annonces). Si deux membres ou plus des comités suggèrent une restriction ou un avertissement, l’œuvre est renvoyée en commission.

Après examen du film, débat et vote, la commission, propose soit un visa pour tous publics soit une restriction. Dans ce dernier cas, elle exprime un avis motivé à la ministre de la Culture qui prend la décision finale. Avant de statuer, la ministre de la Culture peut demander à la commission un nouvel examen. Dans le cas où elle envisage de prendre une mesure plus restrictive que celle proposée par la commission, cette seconde consultation est obligatoire. Avec 88 % du total des films, les décisions d’autorisation pour tous publics restent les plus nombreuses. Les contestations contre les décisions de classification sont rares, 3 ou 4 par an sur un total de plus de 1400 films visionnés.

La Vie d'Adèle

Depuis 2000, des recours intentés de manière systématique devant le juge administratif pour demander l'annulation des visas de films contenant des scènes de sexe ou de très grande violence (Antichrist, Saw 3D Chapitre Final, La vie d'Adèle, Nymphomaniac, Love) avaient fini par fragiliser juridiquement la procédure des visas. Compte tenu des délais importants de la justice administrative et des différences d'appréciation qui pouvaient survenir entre le tribunal administratif, la cour d'appel administrative et le Conseil d'État, la classification d'un film restait parfois incertaine pendant plusieurs années.

Suivant les préconisations du rapport rédigé en 2016 par Jean-François Mary, une réforme des dispositions réglementaires relatives à la classification a été engagée par le ministère de la Culture et la Communication et le CNC et s'est concrétisée par la publication du décret n° 2017- 150 du 8 février 2017.

La modification des dispositions de l'article R.211-12 du Code du cinéma et de l'image animée (CCIA) clarifie désormais les conditions dans lesquelles peuvent s'appliquer les interdictions aux mineurs de moins de 18 ans. De nouveaux critères guident la commission de classification dans ses avis tout en renforçant sa latitude d'appréciation.

Ces nouvelles dispositions déterminent aussi les éléments qui vont permettre de distinguer l’interdiction aux mineurs de moins de 18 ans de l’interdiction aux mineurs de moins de 18 ans avec classement X (films à caractère pornographique ou d’incitation à la violence). Là encore la commission est appelée à prendre en compte de nouveaux éléments d’appréciation, en l’occurrence le parti pris esthétique ou le procédé narratif du film, pour opter pour une simple interdiction aux mineurs de moins de 18 ans et écarter le classement X.

Le nouveau texte modifie également les dispositions de l’article R. 312-2 du code de justice administrative et dispose que la cour administrative d’appel est désormais compétente en première et dernière instance pour juger des recours relatifs aux visas d’exploitation. Un traitement plus rapide et une décision unique doivent permettre de palier les inconvénients d’une justice jusqu’à présent marquée par la longueur des procédures et les appréciations successives et parfois contradictoires portées par les tribunaux administratifs et la cours administrative d’appel.

COMMENT S'INFORMER SUR LE CLASSEMENT D'UN FILM

Avant de se rendre dans la salle de cinéma, le public est invité à vérifier pour quelle catégorie d'âge le film est autorisé.
Cette information est disponible :

Chaque décision de classification est mise en ligne accompagnée d'une explication sur les raisons qui conduisent à interdire ou à déconseiller la vision d'un film en salles en dessous d'un certain âge limite.

Au cinéma : l'affichage du classement du film est une obligation réglementaire. Il doit être porté dans les cinémas de façon très apparente sur les supports destinés à l'information du public sur les séances.