Rachid Hami : « Je vois Pour la France comme une odyssée »

Rachid Hami : « Je vois Pour la France comme une odyssée »

08 février 2023
Cinéma
Tags :
Shaïn Boumedine et Karim Leklou dans « Pour la France ».
Shaïn Boumedine et Karim Leklou dans « Pour la France ». Gophoto/Mizar Films

Pour son deuxième long métrage, le réalisateur de La Mélodie s’est inspiré d’une histoire intime et tragique : celle de son petit frère Jallal, retrouvé sans vie après un bizutage à la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr qu’il venait d’intégrer. Entretien.


Quand avez-vous eu l’idée de raconter la tragédie dont a été victime votre frère en 2012 ?

En fait, l’idée de ce film prend sa source en 2010 quand je vais rendre visite à mon petit frère à Taïwan. C’est durant ce voyage que de vrais liens fraternels se tissent entre nous, alors que nous étions en froid depuis longtemps. Je lui fais part de mon envie de tourner un film sur place racontant l’histoire de deux mecs exilés, venant de nulle part. Car j’avais trouvé dans notre nouvelle relation un terreau romanesque extrêmement fertile, qu’à mes yeux seul le cinéma allait pouvoir illustrer. J’ai commencé à écrire dans la foulée un scénario qui se déroulerait à Taïwan. Et puis mon frère est décédé. J’ai donc mis de côté le projet jusqu’à ce qu’un ami producteur, Nicolas Mauvernay, me propose de tourner un court métrage et me suggère de le faire avec cette histoire. C’est ainsi que naît, en 2015, Les Réminiscences, tourné à Taïpei. Une aventure qu’une fois terminée, Nicolas et moi avons eu envie de poursuivre en long métrage. Mais avant, j’ai d’abord voulu faire La Mélodie. Un scénariste m’avait amené ce projet et j’avais notamment eu envie de le faire pour révéler de jeunes acteurs, les propulser vers ce métier et dans la lumière comme Abdellatif Kechiche l’avait fait avec moi sur L’Esquive. C’est comme si je payais ma dette en quelque sorte. Et je suis heureux de voir que, depuis, beaucoup d’entre eux n’arrêtent pas de tourner. Cela signifie que j’ai réussi à passer le relais.

Quand êtes-vous revenu à ce qui allait devenir Pour la France ?

Je n’ai jamais arrêté d’y penser. Mais c’est une fois La Mélodie terminé que j’ai vraiment recommencé à écrire. Pour donner naissance à ce scénario en trois mouvements. Notre enfance pendant la décennie noire en Algérie, comme un conte inspiré du mythe d’Abel et Caïn où le père tient le rôle du grand méchant loup. Le combat de notre famille pour enterrer mon petit frère avec les honneurs en France. Et notre virée à Taïwan que j’envisage comme un pur film d’aventures. Dès le départ, je vois Pour la France comme une odyssée, aux antipodes d’un film à sujet. Sinon, j’en aurais fait un documentaire. Mon obsession a été qu’on ne voit jamais les coutures entre les trois mouvements qui le composent. Pour cela, les films de Kurosawa m’ont servi de boussole. Je ne voulais pas non plus qu’on tombe dans le cliché du film social, raison pour laquelle j’ai décidé dès l’écriture que je ne tournerais pas caméra à l’épaule.

Ce qui est particulier ici, c’est d’écrire ce scénario alors que l’affaire n’est pas encore jugée. Ça pèse sur l’écriture ou, à l’inverse, cela a un effet libérateur ?

Je suis quelqu’un qui sait compartimenter les choses. Je suis vraiment resté sur le film que je voulais faire, sur l’émotion qui était la mienne au début des années 2010. Je la chérissais, cette émotion-là. Car si je l’avais perdue dans ces moments où l’on se battait pour donner une sépulture digne à mon frère, c’est comme si quelque part j’oubliais Jallal. J’ai tout fait pour la garder intacte malgré l’hérésie du procès. Je ne voulais pas que celui-ci souille mon film. La rage que je portais en moi était dirigée contre la justice, pas contre l’armée : j’y ai rencontré des gens bien comme le général Caillard qui nous a ouvert Saint-Cyr en grand, n’entravant jamais l’enquête. Pour lui, cette affaire passait avant sa carrière.

Dès le départ, je vois Pour la France comme une odyssée, aux antipodes d’un film à sujet. Sinon, j’en aurais fait un documentaire […] Je ne voulais pas non plus qu’on tombe dans le cliché du film social, raison pour laquelle j’ai décidé dès l’écriture que je ne tournerais pas caméra à l’épaule.

Pourquoi avoir choisi Ollivier Pourriol, vierge de toute expérience de scénariste, pour écrire ce film avec vous ?

Je n’ai aucun esprit de chapelle. Peu m’importe l’expérience de celui qui écrit avec moi. Je rencontre les gens et de ces échanges naît ma décision. Olivier est écrivain et philosophe. Dès notre première conversation, j’ai vu notre complémentarité. Alors, on s’est lancé. Et ça a fonctionné tout de suite.

C’était important d’avoir un sparring-partner pour transcender votre histoire et lui donner un côté universel ?

C’est une évidence. Souvent, je m’attachais à des détails anecdotiques par rapport à l’histoire que nous racontions et lui les supprimait. Je faisais la gueule pendant deux jours à chaque fois… mais parce que je savais qu’il avait raison ! (Rires.)


Le jugement du procès sur la mort de votre frère arrive au bout de huit ans, quelques mois après la fin de l’écriture de Pour la France, le Covid-19 ayant repoussé le tournage. A-t-il malgré tout impacté votre scénario ?

Je suis sorti de ce procès très en colère, avec un nœud dans le ventre. Et j’ai tout de suite dit à mon producteur que je ne voulais plus entendre parler de Pour la France pendant au moins un mois. Sinon, je savais que j’allais changer des choses dans le scénario et m’éloigner de ce qu’est profondément ce film. L’équilibre entre les trois parties aurait été abîmé.

Le piège aurait été de tomber dans une sorte de « pornographie émotionnelle » qui aurait détruit le travail des acteurs […] A contrario, il ne fallait pas non plus trop se retenir, dévitaliser le propos. Ce fut un équilibre constant à trouver. Une obsession jusqu’au montage.

Avez-vous nourri vos comédiens – à commencer par Karim Leklou et Shaïn Boumedine, les rôles principaux de Pour la France – de ce que vous avez pu vivre avec votre frère ?

On a beaucoup parlé ensemble, évidemment, mais uniquement de cinéma et de leurs personnages. Jamais de mon frère et moi dans la « vraie » vie. Je l’ai fait avec Ollivier [Pourriol] pendant la phase d’écriture, mais pas avec les comédiens. Car ils devaient donner vie à des personnages dans une fiction et je ne voulais pas les polluer avec d’autres éléments.

Quand vous retournez à Taïwan tourner, vous arrivez à ne pas être débordé par les émotions liées à votre séjour sur place des années plus tôt avec votre frère ?

Quand je suis sur un plateau, je suis dans un état psychique très bizarre où je ne pense qu’à ce que je dois faire. La réalité du plateau efface à ce moment-là mes souvenirs. Le piège aurait été de tomber dans une sorte de « pornographie émotionnelle » qui aurait détruit le travail des acteurs. L’histoire étant en elle-même bouleversante, il ne fallait pas en rajouter. A contrario, il ne fallait pas non plus trop se retenir, dévitaliser le propos. Ce fut un équilibre constant à trouver. Une obsession jusqu’au montage. Mais j’ai eu la chance de travailler cette matière avec Joëlle Hache [la monteuse attitrée de Patrice Leconte], qui m’accompagne depuis mon premier court métrage.

Arrivé au bout de ce projet, que ressentez-vous ?

J’ai beaucoup appris de sa fabrication, de mes acteurs, de mon équipe. Pour la France m’a fait progresser, m’a donné encore plus faim de cinéma. J’ai envie de revenir très vite sur un plateau, de retravailler avec Karim [Leklou]. J’arrive aujourd’hui à être en paix, car je crois avoir été sincère avec moi-même et le film que j’ai fait.

POUR LA FRANCE

Réalisation : Rachid Hami
Scénario : Rachid Hami et Ollivier Pourriol
Photographie : Jérôme Alméras
Montage : Joëlle Hache
Musique : Dan Levy
Production : Mizar Films, Ma Studios, France 2 Cinéma
Distribution : Memento Distribution
Ventes internationales : MK2 Films
En salles le 8 février 2023

Soutien du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide à la création de musiques originales, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2022), Fonds Images de la diversité (production)