Ramata-Toulaye Sy a déjà participé à l’écriture de longs métrages, mais Astel est son premier court métrage professionnel et marque son passage à la réalisation. Diplômée en 2015 de la Fémis, section scénario, elle a « eu plusieurs propositions de réaliser depuis », mais ne se sent pas tout de suite prête à passer à la mise en scène et débute donc par la coécriture de scénarios avec des cinéastes confirmés : Sibel (2018) de Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti ainsi que Notre-Dame du Nil (2019) d’Atiq Rahimi. « Vu qu’il s’agissait de films d’auteurs en petite équipe, je passais beaucoup de temps avec eux. Par exemple, sur "Notre-Dame du Nil" d’Atiq Rahimi, j’étais là pendant le casting ainsi que durant la préparation du film au Rwanda, pour réécrire avec lui, ce qui m’a permis de voir plusieurs aspects de la réalisation. De coécrire avec des réalisateurs, cela m’a vraiment permis de prendre en maturité, d’améliorer ma réflexion sur le cinéma et de découvrir quel cinéma j’ai envie de faire, surtout. Sans ces expériences de collaboration, je ne me serai pas senti prête à passer à la réalisation d’"Astel". »
C’est en avril 2020, durant la période de premier confinement, que naît le projet d’Astel, lorsque les producteurs, de la société française La Chauve-Souris, avec qui elle est engagée sur Banel & Adama, lui conseillent fortement d’écrire et de réaliser un court métrage avant le tournage de son long. « C'était une bonne proposition parce que je n'avais jamais réalisé mais seulement écrit. Afin de me préparer au mieux, ils ont donc voulu que je me fasse la main sur un court métrage qui se déroule dans le même environnement que le long métrage : le Fouta-Toro, une région au Nord du Sénégal ».
Son scénario de long métrage ayant été écrit, environ sept ans auparavant, dans le cadre du Travail de Fin d’Etudes (TFE) de son cursus à la Fémis, Ramata-Toulaye Sy et ses producteurs, ont un temps pensé à en proposer une version en court métrage, mais sans succès. « J'ai essayé, mais, je pense que ça marche plus de l’autre côté, lorsqu’on prolonge un court par un long métrage. Il suffit de voir les cas des "Misérables" (2019) de Ladj Ly, "Atlantique" (2019) de Mati Diop, ou encore, de "Gagarine" (2021) de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh. Alors que, mon scénario de long métrage était déjà prêt, j’avais l’impression d’avoir déjà tout raconté, donc essayer d’en faire un court métrage, ça semblait un geste forcé et frustrant. J’ai très vite vu que ça n’allait pas fonctionner, alors, je suis allée vers une autre histoire ».
Habituée à l’écriture de longs métrages, la cinéaste a vécu l’écriture de son court, comme une expérience très différente, qui l’a conduite dans son choix de récit à raconter. « Pour moi, on ne se pose pas du tout les mêmes questions, de l’un à l’autre. Sur les longs métrages, on a vraiment le temps de développer une intrigue, des personnages alors que les courts métrages doivent surtout être efficaces émotionnellement. C’est pourquoi j’ai décidé de raconter seulement un moment clé dans "Astel", cette étape décisive dans la vie des jeunes filles, à travers le monde, qu’est la désillusion du passage de l’enfance à l’adolescence ».
Une fois ce choix de situation effectué, il restait à décider de la localisation de son récit, déterminante pour les spécificités de l’histoire. « Le changement dans la vie d’une femme, que j’ai tenté de capturer, est vécu différemment selon les traditions, les cultures, les personnalités. En situant mon récit au Fouta-Toro, région un peu isolée du nord du Sénégal, je cherchais à savoir comment une jeune femme en devenir, y vivrait cette transition : serait-ce un moment brutal, joyeux, inconscient, puissant ? ».
Bien que la réalisatrice ait des origines sénégalaises, situer son récit dans ce pays n’est pas, pour autant, allé de soi. « "Astel" est une histoire universelle qui raconte l’amour entre un père et sa fille et le basculement de celle-ci dans le monde des femmes. Donc, il est vrai que j’aurai aussi pu la raconter, en France, puisque je suis Française, que je suis née et j’ai grandi ici ».
Tout en insistant modestement qu’elle utilise un « grand mot », la réalisatrice revendique alors, dans sa volonté de situer l’action au Sénégal, un « geste politique ». « Je cherchais vraiment à stimuler les imaginaires, en abordant des thèmes qui sont, malheureusement, encore trop peu abordés dans le cinéma africain. Parce qu'en fait, les grandes histoires d'amour, le passage de l'enfance à l'âge adulte comme celui d'Astel, la quête d'identité, font tout autant partie du quotidien des Africains, que de celui des Européens ». Elle regrette ainsi un peu que « la production cinématographique africaine ait peut-être trop sacrifié les histoires intimes et universelles, au profit des films sur des problématiques politiques et sociétales ».
Néanmoins, chercher à raconter un récit universel ne voulait surtout pas dire, pour Ramata-Toulaye Sy, gommer les spécificités du territoire et du peuple qu’elle filmait. Le lieu de tournage du court métrage a ainsi été tout sauf laissé au hasard. « Mon choix du Fouta-Toro comme région du film a été, en grande partie, motivé par la forte présence de Peuls, ethnie de l’Afrique de l’Ouest et centrale, qui s’expriment plus à travers leurs regards, leurs corps et leurs mouvements, que par la parole. Ils s’inscrivaient donc parfaitement dans mon projet d’un film qui passe par les images et non par les mots ». D’autre part, une fois les premiers repérages photos et vidéos effectués par quelqu’un sur place,la réalisatrice a eu tôt fait de se rendre compte que cette partie du Sénégal était tout sauf un « bloc uniforme ». « Il y a deux grandes régions très différentes : celle du Podor, là où nous avons tourné et qui se trouve à l'ouest, et la région de Matam, qui se trouve à l'est. On a fait des repérages dans les deux régions, mais la région de Matam, est beaucoup plus modernisée, aujourd’hui, que la région de Podor. Vu que je cherchais vraiment des vieux villages, sans électricité, sans briques, avec des cases en terre cuite, pour créer une dimension intemporelle, notre choix s’est donc porté plutôt sur le Podor ». Cela, non sans parfois un peu tricher avec la réalité, mais c’est le jeu de la fiction. « En réalité, dans le village où nous avons filmé Astel, des maisons en briques commençaient à apparaitre, mais notre super chef décorateur a, avec l’autorisation des habitants, recouvert les murs en briques avec de la terre cuite ».
Toutes ses observations culturelles et géographiques ne sont, néanmoins, pas sans se mêler à son vécu personnel. Ainsi, lorsqu’on interroge la cinéaste, sur la quasi-absence de dialogues dans son court métrage, cette dernière rappelle que les Peuls, qu’elle filme, « font preuve d’une certaine pudeur, autant moralement que physiquement, et ne communiquent pas ouvertement leurs sentiments ». C’est, alors, par ces regards qui en disent long et ces émotions muettes auxquelles la jeune Astel est confrontée, que la réalisatrice se sent la plus proche de son personnage. « Moi aussi, j’ai grandi dans cette culture, où on ne dit presque rien. Donc, ce qui m’intéressait vraiment, c’est que rien ne soit jamais expliqué à Astel, que tout se passe à travers les non-dits et les silences, que les ruptures ne puissent se dire et l'amour encore moins. Comme je l’ai moi-même vécue, cette jeune fille, en pleine période de transition, est obligée de tout comprendre par elle-même et doit affronter seule ses émotions et les émotions extérieures dans un moment où tout change en elle et autour d'elle ». Le mot de la fin : « à travers ce court métrage, je voulais montrer à quel point ce changement pouvait être violent, mais aussi assez beau, d’une certaine manière ».
Banel & Adama a obtenu l’Avance sur recettes avant réalisation.