Un Français qui se passionne pour la conquête de l’Ouest, c’est rare. Comment en êtes-vous arrivé à choisir Calamity Jane comme héroïne ?
Rémi Chayé : Ce n’est pas un personnage que je connaissais bien et le western n’est pas un genre qui me passionne plus que ça. Simplement, à la fin de Tout en haut du monde, le producteur Henri Magalon (Maybe Movies) m’a invité à lui soumettre un nouveau projet. Je suis tombé sur un documentaire sur Arte, Calamity Jane, une légende de l'Ouest de Gregory Monro. On y racontait qu’elle avait fait la route de l’Oregon avec ses parents à 10 ans et demi. Je l’ai imaginée prendre la place de son père et se retrouver obligée de faire des choses de garçons et découvrir la liberté qui va avec. J’y ai vu un gros potentiel sur un sujet qui m’a toujours intéressé : l’empowerment féminin. On a senti très vite que c’était le moment de faire ça : un film sur cette femme qui évolue dans un univers masculin au moment où les femmes sont opprimées. On angoissait même qu’une production américaine reprenne le même sujet.
Comment écrit-on un film d’animation sur les identités de genre ?
Ca a été deux ans de travail sur le scénario et un an sur le storyboard pour monter quelque chose qui soit à la fois ludique et édifiant. Maybe Movies insistait pour qu’on ne fasse pas un journal de voyage, un road movie, mais qu’on fasse évoluer des enjeux dramatiques. Mettre en place l’arche narrative a probablement été la partie la plus compliquée. La construction du personnage s’est faite avec mes deux co-scénaristes – Sandra Tosello et Fabrice de Costil - en transposant des éléments de la vie de Martha Jane lus ici et là. Pour autant, nous n’avons pas voulu négliger les personnages qui l’accompagnaient. On ne voulait pas d’une héroïne qui ait toutes les qualités, surplombant les autres filles « nunuches ». Tous les personnages qui croisent la route de Calamity Jane ont une vraie densité et évoluent dans leurs rapports hommes-femmes. L’animatique nous a aussi permis d’invalider notre première fin où Martha Jane embrassait de force Ethan. Cette étape essentielle est une chance de l’animation.
Quelle est la part de la vérité historique dans votre film ?
En faisant notre chemin dans le nuage de mensonges qu’a été la vie de Calamity Jane et les nombreux témoignages, j’ai fini par tomber sur une biographie de Richard W. Etulain (The life and legends of Calamity Jane) qui fait vraiment la part des choses entre le mythe et la réalité. Sur la période qui nous intéressait, nous n’avions que des mensonges et deux bornes historiques, une dans le Missouri (au moment du départ de la famille Cannary) et une dans le Montana (quand les enfants se retrouvent à la rue en train de mendier). Nous avons inventé une fiction entre ses deux dates en essayant d’être le plus juste par rapport à l’idée qu’on s’était faite de ce personnage.
Nous avions conscience de faire partie de la longue cohorte de gens qui utilisent Martha Jane Cannary pour raconter son histoire à leur sauce. Jusqu’aux fameuses « Lettres à sa fille » qui sont sûrement écrites par sa nièce - un très joli faux littéraire -, sa vie est vraiment bâtie sur des légendes. C’est pour cela que nous avons construit notre héroïne comme un personnage à la Tom Sawyer qui utilise le mensonge et le récit pour se sortir des situations.
Comment avez-vous élaboré votre charte graphique, au niveau des décors notamment ?
En plusieurs temps. Après avoir réalisé un pilote de quelques minutes, qu’on a présenté au Cartoon Movie, j’ai ressenti une frustration sur les décors. Je ne les trouvais pas au niveau de ce que devait être la représentation de cet espace incroyable que sont les plaines américaines, les paysages des Rocheuses. J’ai alors proposé à Patrice Huaut, le directeur artistique du film, de m’accompagner à La résidence Ciclic Animation à Vendôme pour prendre la mesure des paysages pendant deux mois. On a travaillé sur la couleur, les nuages… Ca a été très bénéfique au film. On a trouvé plusieurs manières d’exprimer cet espace.
On a ainsi envisagé des aveuglements, des contre-jours, des lumières fortes… On a utilisé des couleurs liées à la peinture à huile comme la terre de Sienne, le vert Véronèse…
Quelle a été la principale difficulté rencontrée au cours du processus ?
Le mouvement. Martha Jane est un personnage beaucoup plus truculent que ne l’était Sasha dans Tout en haut du monde. Elle bouge beaucoup plus. On a mesuré la difficulté de faire des conversations à cheval. Et puis il y avait des convois avec 20 chariots à dessiner, 40 à 70 personnages secondaires.
Et de quoi êtes-vous le plus fier sur ce deuxième long métrage ?
Je suis fier de présenter un modèle alternatif à des gamins, avec cette gamine qui n’est pas sage, pas élégante. Calamity est un film sur le droit à la brusquerie pour les femmes. Il peut y avoir des gamines qui se retrouvent dans une héroïne plus turbulente que les modèles qu’on leur donne l’habitude de voir.
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary, qui ressort en salles ce mercredi 19 mai a reçu l'avance sur recettes avant réalisation, l'aide au développement de projets de long métrage, l'aide à la création de musique de films, l'aide sélective à la distribution (aide au programme) et la CVS : aide au pilote, aide à la production majorée du CNC.