« Retour à Séoul », les coulisses du film racontées par sa productrice française

« Retour à Séoul », les coulisses du film racontées par sa productrice française

01 février 2023
Cinéma
« Retour à Séoul ».
« Retour à Séoul ». Les Films du Losange

Via la société Aurora Films, la productrice Charlotte Vincent a permis l’aventure de Retour à Séoul, le nouveau film de Davy Chou. Récit d’un travail entre la France et la Corée du Sud.


Retour à Séoul est le deuxième long métrage de Davy Chou que vous produisez, après Diamond Island en 2016…

Notre première expérience commune avec Davy [Chou], date, en effet, de Diamond Island, tourné intégralement au Cambodge en langue khmer. Le financement était majoritairement français. Nous avons alors mis en place des partenariats qui se sont révélés utiles pour Retour à Séoul. Le plus évident est notre lien avec Les Films du Losange, en charge de la distribution française. Dès notre première rencontre avec Régine Vial s’est installée une connivence… Idem avec la productrice allemande, Hanneke van der Tas et la société Vandertastic. À ces deux partenaires fidèles, il faut ajouter Anti-Archive, la société de production que Davy a créée au Cambodge. Cette société lui permet de soutenir de nombreux jeunes auteurs cambodgiens comme Kavich Neang et son long métrage White Building, distribué d’ailleurs par Les Films du Losange en France en 2021. À titre personnel, mes rapports avec Davy sur Diamond Island ont été très forts et nous voulions retravailler ensemble. Je dis « nous » car chez Aurora Films, nous sommes deux à avoir produit le film : Katia Khazak et moi.

D’où vient l’inspiration de Retour à Séoul ?

Davy me parle un jour d’une amie, Laure Badufle, qu’il connaît depuis des années, née en Corée du Sud mais adoptée très jeune par une famille française. Davy et elle s’étaient croisés, quelques années avant, à Busan, le temps du Festival international du film. Elle lui avait alors présenté son père biologique. Davy s’est ainsi retrouvé dans un restaurant, partageant ces retrouvailles familiales intenses avec une traductrice qui essayait tant bien que mal de créer du lien entre eux. On retrouve aujourd’hui une scène similaire dans le film. Ce jour-là, Davy s’est dit que cette histoire pourrait donner matière à un film. Après Diamond Island, il en a parlé à Laure et les choses se sont vite enclenchées. Il y avait une envie réciproque de traiter cette question autour de l’adoption, du déracinement, des retrouvailles… Davy m’en parle, et je trouve cette idée passionnante. Je connaissais un peu la Corée du Sud pour y être allée justement au moment de la présentation de Diamond Island au festival de Busan…

Davy Chou pense assez vite la structure principale de son film et rédige un premier traitement. Il sait déjà que Retour à Séoul sera découpé en plusieurs parties. […] La question primordiale qui présidait à sa production était : comment travaille-t-on sur place ?

Lorsque Davy Chou vous parle de ce projet, quelle est votre réaction ?

Outre la perspective de tourner en Corée du Sud, il y a avant tout le profil de cette héroïne, cette jeune femme en colère, avec un fort caractère, qui me parle… Mine de rien, ce genre de personnage est assez rare au cinéma. J’aimais aussi beaucoup cette idée d’un réel plus fort que tout ce qu’on pourrait imaginer en fiction…

Revenons à la genèse du projet. Comment les choses se mettent-elles en place ?

À partir d’un document détaillé sur sa vie que Laure écrit, Davy pense assez vite la structure principale de son film et rédige un premier traitement. Il sait déjà que Retour à Séoul sera découpé en plusieurs parties. Nous nous tournons logiquement vers les partenaires cités plus haut et sommes rejoints par Cassandre Warnauts de Frakas Productions en Belgique qui s’enthousiasme tout de suite pour le travail précédent de Davy et pour le projet. À ce moment-là, Davy est absorbé par la production déléguée de White Building et celle d’Onoda d’Arthur Harari. La question primordiale qui préside à la production de Retour à Séoul est : comment travaille-t-on sur place ? Je me suis logiquement tournée vers des producteurs français ayant tourné là-bas, comme, entre autres, Laurent Lavolé qui a produit Une vie toute neuve d’Ounie Lecomte (2010) et Alexis Dantec qui dirige aujourd’hui Les Films du Losange. Il était producteur associé de Je suis là d’Éric Lartigau (2020). Alexis nous a mis en relation avec celui qui allait devenir notre producteur exécutif coréen, Ha Min-ho.

Qui est-il ?

Un interlocuteur indispensable. De producteur exécutif, il va devenir un producteur associé à part entière, tellement son implication sera grande. Ayant passé cinq ans en France, il parle couramment le français. Il a surtout l’habitude de la mixité entre des équipes internationales et coréennes. Il va énormément nous faciliter les choses. Le système de production sud-coréen est complexe comparé à nos habitudes françaises, notamment dans la façon d’organiser les journées… Pour le casting, les choses sont très cloisonnées et, selon votre budget, il y a des interprètes auxquels vous ne pouvez pas avoir accès. Ce n’est pas comme en France par exemple, où des comédiens acceptent de baisser leur salaire si un projet les touche. Le système de production est également très polarisé, un peu à la façon du cinéma américain avec une séparation très nette entre les films à gros budget et les petites productions indépendantes…

 

Comment avez-vous trouvé celle qui allait incarner, Freddie, l’héroïne de Retour à Séoul ?

Le casting a eu lieu en France. Trouver une comédienne d’origine coréenne qui parle non seulement le français mais aussi le coréen était tout bonnement impossible, pour la simple et bonne raison qu’il n’y en a pas. Finalement, par des amis communs, Davy va rencontrer Park Ji-min qui, sans être adoptée, partage une histoire commune avec l’héroïne du film. Ils se retrouvent une première fois dans un café pour un rendez-vous informel et vont rester ensemble pendant trois heures. Il y a eu une forme d’évidence. Park Ji-min n’est pas comédienne, mais artiste plasticienne qui a toutefois l’habitude de se mettre elle-même en scène. Elle est née en Corée du Sud où elle est restée jusqu’à l’âge de 9 ans avant d’arriver en France. Davy a adapté l’écriture du personnage de Freddie à la personnalité de Park Ji-min. Celle-ci apportait son caractère mais aussi ses convictions féministes. Elle voulait bousculer certaines choses, voire bousculer Davy… Et Davy a accepté que cet échange modifie l’approche de son film et cela lui a été très bénéfique.

En Corée, Davy Chou a bien sûr pu compter sur [le producteur] Ha Min-ho pour préparer le casting, les repérages. En amont, il a énormément regardé de films coréens pour tenter de trouver les interprètes susceptibles d’incarner la tante, la grand-mère, les parents biologiques […] Le budget de Retour à Séoul est très bas au vu des pratiques de la Corée et il a fallu, avec l’aide de Ha Min-ho et de notre équipe, trouver à chaque fois les meilleures solutions sur le tournage pour l’ambition du film.

Le travail avec la Corée du Sud se met alors en place naturellement ?

Nous bénéficions d’abord d’une aide de la Seoul Film Commission qui nous permet, à l’été 2019, de partir deux semaines en Corée, moi et Davy, pour y effectuer des pré-repérages et lui permettre de poursuivre l’écriture du scénario en se confrontant à la réalité sur place. Il lui fallait sentir les odeurs du pays et passer du temps avec le producteur Ha Min-ho…

Le financement du film a-t-il été compliqué à réunir ?

Tourner un film français en Corée est, on le comprend, plutôt singulier. Il faut savoir bien expliquer la nature de votre projet. Heureusement, Les Films du Losange, via Régine Vial, qui joue d’ailleurs la mère adoptive de Freddie dans le film, nous ont suivis dans les différentes étapes de l’écriture et nous soutiennent depuis le début. Les retours de Régine ont été précieux à toutes les étapes de l’écriture. Son regard à la fois sensible et précis nous a permis de ne pas nous disperser et de pouvoir proposer à nos futurs partenaires un projet cohérent par rapport au marché. Il est intéressant de noter que tout au long du financement, il y avait une lecture très genrée du film. À quelques exceptions près, si les femmes comprenaient majoritairement le personnage de Freddie, son indépendance et ses humeurs, les hommes, en revanche, étaient plus déstabilisés, un peu perdus. Il a fallu équilibrer les choses au scénario afin que Freddie puisse être bien comprise et ne passe pas pour une jeune femme « détestable ». Mais malgré notre travail sur le personnage, nous avons eu du mal à réunir le budget nécessaire, avec des réponses négatives de fonds sur lesquels nous comptions. Nous avons donc dû tourner le film dans une économie beaucoup plus serrée que prévu.

Outre les coproducteurs que nous avons cités, y a-t-il eu d’autres partenaires importants ?

Le CNC, via l’Avance sur recettes, a été fondamental, ainsi que l’obtention du mini-traité franco-allemand avec notre coproductrice allemande. Il y a aussi MK2 : la société s’occupait alors du documentaire sur l’adoption d’Amandine Gay, Une histoire à soi (2021), avec les Films du Losange. Elle s’est logiquement intéressée au projet. D’autant plus qu’elle avait déjà identifié Davy et son précédent film. Elle a alors décidé de s’occuper des ventes internationales. Le soutien des Sofica (Cinémage et Cofimage) a aussi été primordial. Ainsi que Ciné+ qui a accompagné Davy sur tous ses films. Enfin, nous avons pu compter sur nos producteurs belges et coréens qui se sont battus et nous ont ramené des petits fonds complémentaires – bien utiles au vu de l’économie d’ensemble.

Comment s’est déroulé le tournage en Corée du Sud ?

À cause des restrictions liées à la Covid-19, nous ne pouvions pas envoyer une équipe pour les pré repérages. Davy a dû y passer un mois et demi, seul, en amont des prises de vues. À ce moment-là, pour lutter contre la pandémie, le pays appliquait des restrictions très strictes… Davy a ainsi dû respecter une quarantaine de deux semaines avant de pouvoir rentrer dans le pays. À différents moments d’ailleurs, à cause de la Covid-19, on a vraiment eu peur de ne jamais pouvoir tourner le film sur place… En Corée, il a bien sûr pu compter sur Ha Min-ho pour préparer le casting, les repérages. En amont, Davy a énormément regardé de films coréens pour tenter de trouver les interprètes susceptibles d’incarner la tante, la grand-mère, les parents biologiques… Et Ha Min-ho va faciliter les rencontres. Le budget de Retour à Séoul est très bas au vu des pratiques de la Corée et il a fallu, avec l’aide de Ha Min-ho et de notre équipe, trouver à chaque fois les meilleures solutions sur le tournage pour l’ambition du film. D’autant plus que les équipes techniques sont plus nombreuses qu’en France où nous appliquons plus de polyvalence entre les postes. Notre équipe comportant un mélange de nationalités différentes (françaises, allemandes, belges, sud-coréennes), il fallait essayer d’éviter les doublons de poste. Ajoutez à cela la présence des traducteurs… Nous avons essayé d’harmoniser toutes ces nationalités et ces habitudes différentes. Ce qui était « drôle », c’est que cela rejoignait le propos même du film. Enfin, il ne faut pas oublier nos deux derniers jours de tournage en Roumanie portés par Diana P?roiu et sa société Visual Walkabout.

Quel soutien financier avez-vous eu de la part de la Corée du Sud ?

Nous avons eu de la part du KOFIC et de la Seoul Film commission l’équivalent d’un crédit d’impôt qui a permis de couvrir grosso modo 25 % des dépenses sur place. Pour bénéficier de cette aide, une coproduction franco-coréenne n’était pas possible… Au final, cette expérience a été – je l’espère – très enrichissante pour tout le monde.

Retour à Séoul

Scénario et réalisation : Davy Chou
Chef opérateur : Thomas Favel
Musique originale : Jérémie Arcache et Christophe Musset
Production : Aurora Films
Coproduction : Vandertastic Films, Frakas Productions, Merecinema, Anti-Archive
Distribution : Les Films du Losange
Ventes internationales : MK2 Films

En salles depuis le 25 janvier 2023

Soutien du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide à la coproduction franco-allemande (Mini-traité), Aide au développement d’œuvres cinématographiques de longue durée, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2022)