« Robuste » : comment s’emparer du mythe Depardieu ?

« Robuste » : comment s’emparer du mythe Depardieu ?

07 mars 2022
Cinéma
Déborah Lukumuena et Gérard Depardieu dans « Robuste » de Constance Meyer.
Déborah Lukumuena et Gérard Depardieu dans « Robuste » de Constance Meyer. Diaphana
Réflexion méta et souvent drôle sur Gérard Depardieu, Robuste est aussi la rencontre de deux corps massifs et d’êtres qui apprennent à s’apprivoiser. L’histoire de Georges, star de cinéma vieillissante et désabusée, dont le bras droit et seul compagnon de vie doit s’absenter plusieurs semaines. Voici qu’entre en scène Aïssa (Déborah Lukumuena, vue dans Divines), lutteuse et agente de sécurité qui va devoir faire avec le caractère compliqué de Georges… La réalisatrice Constance Meyer, qui signe là son premier long métrage, nous raconte comment elle a réussi à jouer avec l’image de Gérard Depardieu, et à proposer un regard nouveau sur l’acteur.

En l’ayant apprivoisé en format court

Constance Meyer n’en est pas à sa première rencontre avec Gérard Depardieu. La réalisatrice l’a déjà fait tourner dans trois courts métrages remarqués : La Belle Affaire (2018), Frank-Étienne vers la béatitude (2012) et Rhapsody (2015). Une bonne façon de se faire la main avec l’ogre du cinéma français : « Je connaissais l’animal, donc le faire tourner dans Robuste est venu assez naturellement : j’étais en train d’écrire un scénario qui n’avait rien à voir – un polar –, et puis j’ai commencé à rêver. J’avais beaucoup regardé Déborah Lukumuena dans ses films et son image me restait, j’avais envie de la filmer. Robuste est aussi né d’un désir de faire se rencontrer ces deux acteurs, de filmer leurs corps... Ils m’inspirent. Je les trouve beaux. Et j’aime filmer la matière, ces corps massifs. Mais rien d’intellectuel là-dedans, c’est purement du désir et de l’attirance. Ce qui me fascine à la fois chez Gérard et chez Déborah et qui, je crois, transparaît dans le film, c’est qu’ils ont un corps robuste mais aussi extrêmement gracieux.

Ils ont l’air très très forts, mais ils ont aussi des fragilités qu’ils laissent transparaître. Beaucoup de tendresse et de violence mélangées. Des contradictions qui ont généré chez moi une envie de cinéma.

En s’assurant d’avoir sa confiance

Pas question de prendre Gérard Depardieu en traître. Si Constance Meyer s’est nourrie de ses observations au fil des années, elle savait que le projet ne pouvait fonctionner que si l’acteur lui accordait sa totale confiance. « Sinon, ça aurait pu être quelque chose de voyeur. On en a parlé, il a vu comment j’allais aborder le sujet et à partir de ce moment-là, il ne s’est pas joué lui-même, il est devenu le personnage. D’ailleurs, lorsqu’il a vu le film, il m’a dit : “C’est marrant, c’est un mec qui est complètement seul, il est un peu con mais il anime les gens autour de lui.” Pour Gérard, c’est totalement quelqu’un d’autre ! »

En étant à l’écoute

« Mettre en scène Gérard, c’est la plus belle chose qu’on puisse souhaiter à une réalisatrice ou un réalisateur », assure Meyer, pour qui Depardieu est l’inverse de l’image qu’il peut parfois renvoyer. « On dit qu’il n’aime pas être dirigé mais ce n’est pas vrai : Gérard veut être dirigé justement parce que c’est un vrai acteur, quelqu’un qui aime être regardé avec un cadre, une mise en scène. Et quand il se sent mis en scène, il est extraordinaire. Il a besoin d’indications, mais des petites choses toutes simples, essentiellement sur le rythme. C’est un génie absolu du jeu et de la façon dont les choses se disent. Il n’y a jamais d’empressement, tout tombe juste, c’est de la musique. Donc il suffit d’être à l’écoute. C’est un plaisir inouï de le voir exister comme ça devant une caméra. »


En captant ses contradictions

Si Robuste est aussi une réflexion sur Gérard Depardieu, la réalisatrice assure que c’est « presque secondaire. C’est venu naturellement parce que j’aime bien son côté un peu capricieux. C’est intéressant de voir un homme qui peut être dans le rejet de son propre art, qui peut dire : “Non, c’est de la merde.” Il est dans une posture assez violente et d’un seul coup, on se rend compte que c’est la seule chose qu’il aime. C’est ça qui me touche aussi beaucoup chez Gérard. C’est un homme qui a mille vies, que tout intéresse : la littérature, la poésie, la musique, les gens de cultures différentes... Et donc le cinéma, ça le fait chier. Mais sûrement plus le monde du cinéma qu’autre chose. Parce que lorsqu’on le voit jouer, on se rend compte que c’est fondamental dans sa vie. »

En lui donnant une partenaire de jeu à sa hauteur

Jamais dans l’effacement, Déborah Lukumuena tient fermement tête à Gérard Depardieu dans le film. La création de ce duo a été une évidence pour Constance Meyer : « J’ai organisé une rencontre bien avant le tournage et j’ai juste eu à les voir ensemble – à observer comment ils se regardaient et s’écoutaient – pour comprendre que ça allait fonctionner. C’était un truc vibratoire, il n’y avait même pas de question. On a fait une petite lecture et Gérard a laissé beaucoup de place à Déborah, qui est restée ancrée et a réussi à exister face à lui. Elle est vraiment incroyable parce qu’elle a un socle de jeu très solide et un grand charisme. »

Robuste

De Constance Meyer
Scénario : Constance Meyer
Distribution : Diaphana Distribution
Avec Gérard Depardieu, Déborah Lukumuena, Lucas Mortier…

Robuste a bénéficié des aides du CNC au soutien au scénario (aide à la réécriture), à la création de musiques originales, à l’édition vidéo (aide au programme éditorial), à la distribution (aide au programme).