On peut voir un lac comme une île inversée : un morceau de territoire isolé. Un lieu où l’étendue qui l’environne suggère tout à la fois une promesse et une menace. Au cinéma comme dans les contes, un lac implique une traversée, un passage qu’il va falloir franchir pour pénétrer un monde inconnu. D’une rive pas si lointaine à l’autre, il faut laisser derrière soi ses certitudes et accepter la nouveauté et ses mystères. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le lac ait été un motif récurent des thrillers (Péché mortel, Funny Games…) et des films d’horreur. Ainsi Jason Voorhees, sombre héros maléfique de la saga Vendredi 13 revient des profondeurs d’un lac où il s’est noyé enfant. Le lac serait donc le symbole d’une malédiction ? Peut-être.
Créature sans origine précise
Alain Guiraudie ne semble pas l’envisager autrement dans son Inconnu du lac. Le titre distille d’emblée un parfum d’inquiétude. Un « inconnu » aurait ainsi surgi des eaux, créature sans origine précise, pour semer le trouble. Le film raconte une histoire d’amour entre Franck et Michel, deux hommes qui se sont rencontrés sur un lieu de drague homosexuelle aux abords d’un lac. Un soir, Franck qui ne sait rien de son nouveau partenaire, le voit en train de noyer un autre amant. Franck ne dit rien et poursuit sa relation avec Michel, dans un mélange de peur et d’abandon.
Dans les premiers instants du film, les eaux dormantes réverbèrent les rayons d’un soleil estival au cœur d’une aube virginale. Le décor est un Eden. Une impression vite renforcée par l’apparition des corps nus et indolents posés sur une plage sauvage. Mais la lumière va peu à peu s’assombrir et le film ira chercher les teintes bleutées d’un long crépuscule pour sombrer tranquillement dans le cauchemar et les ténèbres. Le calme apparent du lac n’était qu’un leurre propre à dissimuler les pires déchaînements et accueillir en son sein le corps d’une victime.
Contrairement à ses précédentes réalisations peuplées de personnages très mobiles passant d’un lieu à un autre, cet Inconnu du lac n’offre, peu ou prou, qu’un seul décor. La plage et son sous-bois attenant, semblent être la scène d’un petit théâtre. Une configuration rendue justement possible par la présence du lac qui crée une frontière naturelle entre la Terre (lieu de l’action pure) et l’Eau (territoire magique où les choses ne cessent de se dérober). Un seul personnage quasi mythologique semble être le gardien de cette frontière. Le discret Henri, posé sur des rochers, observe, passif et à distance, les allées et venues. Tout au plus, avertira-t-il Franck d’un laconique : « A ta place, j’aurais peur ! »
Une lumière gorgée de soleil
Le film d’Alain Guiraudie a été tourné sur l’une des bordures du lac de Sainte-Croix, au pied des gorges du Verdon. Ce lac est en fait une retenue d’eau artificielle créée par EDF en 1973, l’une des plus grandes de France avec une superficie de 22 km2. Pour écrire son film, le cinéaste s’est inspiré d’un vrai lieu de drague homosexuelle près d’un lac du Tarn, transposé ici dans la région PACA, qui en plus d’avoir soutenu le film, offrait la certitude d’une lumière gorgée de soleil. Le cadre alentour avec ses montagnes et ses forêts, offre un surcroît d’expressivité à ce thriller torride.
Présenté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, le film reçoit un Prix pour sa mise en scène. Quelques mois plus tard, il obtient huit nominations aux César et une récompense du Meilleur espoir masculin pour Pierre Deladonchamps. Une reconnaissance critique puis publique qui donne à la région un coup de projecteur inattendu. Ainsi le décor naturel du tournage, connu jusqu’ici pour être un lieu discret de rencontres homosexuelles, a vu de nombreux « touristes » affluer sur cette rive paisible du lac de Sainte-Croix. L’inconnu du lac, interdit aux moins de 16 ans à sa sortie en salle,a totalisé 118 590 entrées en France. C’est le plus gros succès du cinéaste à ce jour.