« Le scripte veille sur le film en douce (…) Il oblige tout le monde à se poser les vraies questions, non pas “comment faire” mais “pourquoi faire” ». Mais que fait concrètement un ou une scripte ? A l’aide aujourd’hui d’outils numériques – tablettes, stylos numériques, applications et logiciels multiples -, il assure la continuité du film dans tous les sens du terme : décors, costumes, accessoires de jeu en passant par les rythmes, états émotionnels que doivent avoir les personnages… Et bien sûr les enchaînements entre les différentes séquences en évitant les erreurs de raccords. Autre mission, elle aussi essentielle : le chronométrage des prises pour donner, dans un “rapport montage“, le minutage utile. « Nous sommes dépositaires des intentions de mise en scène et devons donc donner au monteur un premier “filtre”, des idées dans certaines prises, des plans qui n’étaient pas prévus, des improvisations qui ont surgi et qui peuvent être intéressantes... Toutes ces choses à garder qui donnent du sens à l’écriture cinématographique ».
L’impact de la technologie
Le rapport montage n’est pas le seul document à remplir pour un scripte. Chaque jour, ce professionnel doit ainsi préparer un “rapport pour la production” permettant de suivre les moyens humains engagés sur une journée et ce qui était prévu au départ. Deux autres rapports étaient également de son ressort par le passé (le rapport mouchard et celui labo), mais le changement technologique a modifié la donne, rendant notamment inutile le rapport mouchard, un journal de bord retraçant tous les événements de la journée. « Il date de l’époque où on travaillait avec la pellicule et où on tournait une moyenne de 4 à 10 plans par jour. Les temps d’éclairage étaient très longs, ceux de répétition aussi. La production voulait également vérifier que les déjeuners ne devenaient pas interminables, comme la légende le dit sur les plateaux de Claude Chabrol », raconte-t-elle en souriant.
Aujourd’hui, 15 à 30 plans en moyenne sont tournés par jour par une équipe. Des séquences dont les horaires sont automatiquement enregistrés par les caméras numériques, puis rassemblés dans un « backup » réalisé quotidiennement par les assistants-caméra. « Personnellement, je ne fais plus le rapport mouchard ou le rapport labo. Mais il y a une forme de rigidité par rapport au métier de scripte. Certains pensent qu’il correspond au nombre de documents qu’on remplit ». Si les évolutions techniques lui ont permis de le décharger de certaines tâches, elles ont également bouleversé la répartition des rôles sur le tournage. « Avec les outils numériques, le premier assistant est de plus en plus gestionnaire du temps de travail, de l’organisation... Il est moins dans l’artistique pendant le tournage. Maintenant, c’est donc davantage notre rôle ».
Si Bénédicte Kermadec n’a pas suivi de formation de scripte (deux cursus existent, le premier à la Fémis, le deuxième au CLCF), elle a étudié dans une école d’art “alternative” à Londres. “J’ai abordé le métier du cinéma par le goût de l’artistique”, confie celle qui a réalisé quelques documentaires en parallèle de sa carrière de scripte. “Quand j’accompagne des réalisateurs à ma place de script-superviseur à la mise en scène, je me sens bien car je sais à quel point je le soutiens. C’est un poste formidable pour ça mais il n’est pas reconnu comme tel’, poursuit-elle en précisant que tous les scriptes n’interviennent pas sur la mise en scène. “Il faut faire plusieurs films avec le même réalisateur pour savoir comment se montrer à ses côtés dans un dialogue constant”.
Bénédicte Kermadec est parfois consultée par les directeurs de production pour évaluer la pertinence de tourner une heure supplémentaire ou pour trouver une solution compensant une séquence non finie. Un véritable exercice de créativité artistique. « Des contraintes arrivent quelques fois des idées qui n’étaient pas prévues au départ. Mais nous (les scriptes ndlr) sommes les seuls à pouvoir le faire car nous n’avons pas de contraintes : nous ne sommes tenus par rien, ni un appareil, ni une mission de budget ou d’organisation du travail ». Un regard détaché qui lui permet de trouver des solutions inattendues qui vont fonctionner avec le récit.
Une envie de transmission
Si elle continue de collaborer avec des cinéastes reconnus tels que Pierre Schoeller (Un peuple et son roi), Bénédicte Kermadec met de plus en plus ses connaissances au service de jeunes réalisateurs, parmi lesquels Julia Ducournau avec qui elle a collaboré pour Grave (et qu’elle retrouvera pour son deuxième film Titane) ou Maïmouna Doucouré pour Mignonnes. “J’ai d’abord travaillé sur son court métrage. Pour son long, Maïmouna avait des points de vue affirmés et intéressants mais elle avait besoin d’être accompagnée pour les mettre en œuvre sur un plateau. Tous les matins, nous passions une demi-heure ensemble pour retravailler la séquence et réaffirmer ses choix de mise en scène. Elle avait besoin d’une scripte suffisamment confirmée pour traduire en termes de plans ce qu’elle souhaitait”.
Cette envie de partage est la même que celle qui animait Jacques Deray avec qui elle a travaillé sur les films Lettre d’une inconnue, Netchaiev, Les Bois noirs, Maladie d’amour, Un papillon sur l'épaule, Le Gang et Flic Story (son premier long métrage en tant que scripte). “Il était très ouvert sur la transmission et l’accueil des jeunes. Il avait des stagiaires et des assistants sur tous les films que j’ai pu faire avec lui. Il aimait beaucoup inviter ces jeunes à parler cinéma ou à faire la doublure lumière pour leur faire comprendre comment fonctionne chaque département. Il aimait inviter à sa table, à la cantine, un stagiaire pour échanger avec lui autour du cinéma ou de ses envies futures. Lorsqu’il sentait que la personne était faite pour ce métier, il la soutenait. Il a donné leur chance à des jeunes assistants mise en scène qui ont ensuite fait des films avec lui”.
Le métier de scripte est majoritairement féminin. Au sein de l’association qu’elle a cofondée, LSA (Les Scriptes Associés), il n’y a ainsi qu’un seul homme, un Québécois. Une situation que regrette Bénédicte Kermadec car elle a de vraies conséquences sur le regard porté sur cette profession. “Nous sommes maintenus au salaire minimum peu importe l’expérience. Historiquement, c’est un métier de femmes et il est resté comme tel, sous-estimé et sous-évalué. Tant qu’il ne sera pas réévalué, il n’y aura pas d’hommes. Mais tant qu’il n’y aura pas d’hommes, il restera sous-évalué. C’est une forme de sexisme.” Rappelant que les scriptes étaient autrefois appelés des “secrétaires de plateau”, elle regrette que certains n’y voient que des « petites mains » : « On n‘imagine pas qu’il puisse y avoir de l’expertise et du talent dans ces métiers-là (les métiers historiquement féminins du cinéma ndlr).”
“Nous sommes pratiquement le seul pays où il y a une telle question de genre chez les scriptes. Au Mexique, en Thaïlande, il y a des hommes et ça ne surprend personne. J’ai eu des assistants hommes, mais ils ne restent pas car ils font parfois l’objet de moqueries. Je suis en fin de carrière et j’arrive à bien négocier mes contrats. Le seul scripte masculin de LSA y arrive aussi alors qu’il a moins d’expérience que moi. Être un homme en impose plus”.