Se faire une toile à l'Ehpad

Se faire une toile à l'Ehpad

21 mars 2019
Cinéma
Le Bossu d'André Hunebelle
Le Bossu d'André Hunebelle 1959 Gaumont, collections Cinémathèque de Toulouse

Personnes âgées dépendantes, détenus, scolaires défavorisés, patients… Le CNC œuvre pour que les publics parfois éloignés de la culture puissent avoir accès au cinéma. Petit reportage dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) où est organisée une projection de film.


Un Ehpad quelque part dans les Yvelines. Tout le monde est installé dans la grande salle où Carl s'apprête à lancer la séance. Après des études de Master Cinéma, celui-ci effectue un service civique au CNC (un engagement volontaire pour les jeunes de 16 à 25 ans, d’une durée de six à douze mois). Vite assimilé à la Direction du Patrimoine, il est chargé des projets favorisant le lien social et intergénérationnel par le biais du cinéma, notamment à destination des hommes et femmes vivant en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ce public qu'on dit « empêché ». Carl propose, prépare et anime ces actions en collaboration avec les animateurs sur place.

Aujourd’hui, c’est Le Bossu (André Hunnebelle, 1959) parce qu’il « passe très bien grâce à sa dimension visuelle, très prenante pour un public âgé : les couleurs, les costumes, les poursuites à cheval. Les deux comédiens, Jean Marais et Bourvil, permettent d’évoquer leur carrière, donc d’autres films (…) et de parler parfois technique et esthétique, voire trucages », nous rapporte Carl qui, après quelques séances, cerne le public et a choisi de mêler sa présentation avec une part d’animation plus ludique et légère. Cela lui permet de faciliter l’interaction avec les spectateurs et donne à sa présentation un aspect plus détendu. Ce peut être un jeu sur les comédiens, une discussion sur les cascades du film…La présentation terminée, le film est lancé. Carl compte et observe les présents, car certains quittent la salle en cours de séance et motivent leur départ. Carl est attentif et l’aide de l’animateur de l’ehpad est parfois nécessaire, par exemple pour augmenter le son.

Riche en cinéma français classique ou populaire, avec des acteurs de premier plan et des seconds rôles, le CNC est à même de répondre à la demande de films du public des ehpad. Son vivier d’œuvres en noir et blanc complète la programmation plus traditionnelle menée par les animateurs, qui puisent dans des catalogues plus grand public.

Un travail de préparation et de sélection des films est indispensable pour assurer la réussite de la séance : le film ne doit pas aller trop vite afin de ne pas perdre les spectateurs, mais il ne doit pas non plus être trop lent pour ne pas les endormir. Il est judicieux de bannir les films présentant trop de longueurs. On doit aussi éviter un film à la narration trop touffue et privilégier une progression linéaire de l’intrigue. Le film choral, le film à flash-back, le film trop halluciné sont donc écartés… Il faut rester dans des films aux intrigues simples. La dimension visuelle est très importante : un film comique ou burlesque jouant sur des gags spectaculaires sera le bienvenu. Ensuite, il faut travailler sur la mémoire pour engager le débat, proposer parfois un jeu en lien avec le film afin d'amener les résidents sur leurs mémoires communes. Carl : « Une fois le film terminé, nous reprenons notre place devant l’écran afin d’écouter les réactions des résidents et de discuter avec eux. Mais nous discutons souvent individuellement avec les personnes manifestant une envie de réagir, d’autant qu’ils sont fatigués après la projection . Il faut en permanence s’adapter au public, l’animer, le réveiller, le recadrer si besoin en tenant compte de son état ».

Pour le mois prochain, Carl a choisi Copie Conforme (Jean Dréville, 1947) : « C ’est une comédie des années 1950 qui repose en grande partie sur le quiproquo car Louis Jouvet y joue deux personnages. La structure simple et classique, la légèreté et l’humour rendent accessible un film dans lequel le dialogue a une importance capitale. Par le biais de Jouvet, nous pouvons jouer sur les souvenirs des spectateurs, d’une période du cinéma français, parler théâtre, et même faire un quizz sur les sosies au cinéma. Nous arrivons ainsi à créer du lien et à mobiliser les personnes âgées pour les rendre plus attentives au débat ».