Simon Bouisson : « J’ai voulu me servir d’outils que les cinéastes n’avaient pas à l’époque »

Simon Bouisson : « J’ai voulu me servir d’outils que les cinéastes n’avaient pas à l’époque »

03 octobre 2024
Cinéma
Drone de Simon Bouisson
« Drone » réalisé par Simon Bouisson Haut et Court

Pour son premier long métrage, Drone, le cocréateur de la série Stalk, passionné par les nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle, et les questions sociétales qu’elles provoquent, met en scène une étudiante en architecture travaillant secrètement comme camgirl pour gagner sa vie. Un drone va commencer à la surveiller, sans qu’elle sache qui se trouve derrière les commandes… Le cinéaste dévoile les secrets de fabrication de ce thriller, projeté en avant-première au dernier festival du film francophone d’Angoulême.


Comment et quand naît chez vous cette idée d’un film où un drone tiendrait un rôle central ?

Simon Bouisson : Tout est parti de la première fois où j’ai vu un drone face à moi en vol stationnaire, il y a huit ans. J’ai trouvé ce moment assez dystopique, assez angoissant. J’étais sur une plage et je me demandais qui en était le propriétaire et m’observait à travers cet objet. Depuis quel lieu commandait-il ce drone ? C’est très déstabilisant car on se sent complètement démuni. J’ai résumé cette idée aux productrices de Haut et Court qui ont tout de suite accroché. À partir de là, il fallait trouver une histoire, et le développement du scénario a mis plus de temps que je ne l’avais imaginé au départ. En parallèle, j’ai fait deux séries : Stalk et 3615 Monique. Avec Stalk, j’ai vraiment pu dérouler toute une réflexion sur le voyeurisme et la société de surveillance.

À quel moment l’aventure Drone a-t-elle commencé à prendre une forme concrète ?

À la fin de la deuxième saison de Stalk, quand j’ai rencontré Samuel Doux (Arthur Rambo) et Fanny Burdino (L’Esprit Coubertin). Ils ont donné un coup d’accélérateur au film en amenant beaucoup plus d’incarnation et d’enjeu social. Le temps a vraiment joué en faveur de Drone. Quand je me suis lancé dans le cinéma, j’avais conscience qu’il ne serait pas simple d’arriver à faire des films qui pourraient concurrencer ceux que j’avais vus et adorés comme spectateur. La seule façon d’y parvenir, à mes yeux, allait être de me servir d’outils que les cinéastes n’avaient pas à l’époque. Comme ici le drone, qui constitue une métaphore de ce que représentent les réseaux sociaux et les écrans, et permet de matérialiser les violences invisibles. Le film traite de sujets aussi divers que le regard des hommes sur les femmes, la paupérisation étudiante.... Le drone de ce film est sournois car il surgit à un endroit de la vie d’Émilie, l’héroïne, à un moment où elle va avoir besoin de lui : il lui donne des idées pour son projet d’architecture, il la protège d’un camarade qui l’agresse et il vient même lui montrer Mina, la jeune femme objet de ses désirs. La technologie apparaît donc au départ comme le remède qui, en vous connaissant de mieux en mieux, vous augmente. Puis, quand Émilie veut s’en détacher, c’est trop tard. Le remède est devenu le poison. Le pari pour moi était d’essayer avec ce basculement de plonger totalement dans le genre, dans le thriller façon Duel de Spielberg où la machine se met à traquer l’héroïne.

 

Vous avez fait appel à l’intelligence artificielle pendant l’écriture du scénario. De quelle manière ?

J’étais en résidence à la Villa Albertine en Californie, en parallèle de l’écriture de Drone. C’est à ce moment-là que j’ai testé les premières solutions d’écriture appliquées proposées par les IA mais sur un scénario qui était déjà très abouti. Je n’ai donc pas écrit avec elle. Je m’en suis servi comme une sorte de test pour voir ce que la machine allait me proposer. Elle ne m’a rien suggéré de très différent de ce que j’avais écrit. Mais ce qui est fou avec l’IA, c’est qu’on plonge dans un monde où la technologie est de moins en moins visible mais de plus en plus puissante. Et le drone a quelque chose de cette toute-puissance. Il semble avoir une autonomie infinie. Il ne fait pas de bruit, il apparaît donc comme encore plus sournois. Il a un aspect quelque peu irréel, si bien que dans le film, on peut se demander s’il ne sort pas tout droit de l’imagination d’Émilie.

Ce qui est fou avec l’IA, c’est qu’on plonge dans un monde où la technologie est de moins en moins visible mais de plus en plus puissante. Et le drone a quelque chose de cette toute-puissance.

Comment avez-vous envisagé l’atmosphère visuelle du film avec votre directeur de la photographie Ludovic Zuili ?

Ludovic, qui a aussi signé la lumière de Stalk, est un ami d’enfance. On s’est construit ensemble et on partage ce goût d’aller toujours chercher les dernières innovations technologiques. On avait coréalisé une série pour ARTE, Dezoom, uniquement constituée de plans-séquence de trois minutes, tournés avec un drone, aux quatre coins du monde, pour témoigner d’une crise écologique globalisée aux multiples facettes : la surpopulation en Inde, la déforestation en Amazonie, les fermes circulaires en Arabie saoudite…. Cette série a boosté notre curiosité pour cette machine qui peut tout à la fois remplacer l’hélicoptère, la grue de cinéma, le steadycam… Une caméra volante qui part du ciel, descend au sol et rentre dans un sous-sol, dans un appartement… C’est un peu le fantasme de tout réalisateur ! Pour Drone, on a travaillé avec des pilotes de drone, ceux-là mêmes qui apparaissent dans le film. Ils pilotent sous un masque de réalité virtuelle avec une petite manette dans les mains. Et quand ils lançaient ces machines de quinze kilos avec à leur bord une petite caméra de cinéma, ils nous demandaient de ne pas les toucher pour ne pas les ramener dans la réalité. Physiquement, le pilote fait corps avec la machine au point de ne plus faire qu’un. Avec Ludovic, on voulait qu’on ressente à l’écran l’humeur du drone comme s’il s’agissait d’un animal : les moments de contemplation avant de basculer sur ceux où la machine devient létale, dangereuse. On peut le faire grâce à la manière dont ces pilotes manipulent les drones. Dès qu’ils enlèvent leurs mains des manettes, le moteur de la machine s’arrête. Ça permet de faire tomber la caméra embarquée en chute libre avant que les pilotes ne fassent redémarrer le drone à quelques secondes de l’impact au sol. Au-delà du côté visuel spectaculaire, cela crée un silence incroyable sur le plateau.

Drone
Drone Haut et Court

Avez-vous échangé sur des références de films ?

La plus évidente est Le Voyeur de Michael Powell. Mais je peux aussi citer le Hitchcock de Fenêtre sur cour et des Oiseaux. L’une de mes ambitions était de remettre au goût du jour ces classiques avec les outils actuels et les nouvelles questions qu’ils posent. Comme je l’expliquais plus tôt, Drone n’est pas qu’un film sur la technologie, c’est aussi une réflexion sur le regard masculin posé sur les femmes, en réaction aux films de genre des années 80 et 90 qui n’avaient aucun problème à objectiver les personnages féminins, à les érotiser gratuitement. Le temps passé à construire ce film m’a permis d’approfondir mes réflexions sur le male gaze, sur le female gaze. Il n’était évidemment pas question de faire un film féministe par opportunisme. Je voulais interroger ma propre position de réalisateur. Car il y avait forcément sur le plateau une mise en abyme entre la manière dont ma caméra suivait Marion Barbeau, qui incarne Émilie, et les scènes où le drone suit son personnage. Une dualité entre la caméra de cinéma au sol qui est vraiment accrochée à l’émotion d’Émilie, dans le respect du personnage et de l’actrice, et le drone qui a quelque chose de toxique, qui filme tout en plan large, qui montre tout, sans aucune pudeur.

Drone n’est pas qu’un film sur la technologie, c’est aussi une réflexion sur le regard masculin posé sur les femmes.

Au montage, on retrouve Yann Dedet qui a travaillé avec Truffaut et Pialat. Ce choc de générations était-il volontaire ?

Je n’ai jamais rencontré un collaborateur aussi jeune ! (Rires.) J’avais monté une première version avec un de mes monteurs de Stalk. Mais je pense qu’on se connaissait trop, qu’on avait trop de réflexes communs pour arriver à trouver le film. C’est là que mes productrices m’ont suggéré un nouveau regard et m’ont proposé Yann. On lui a projeté cette première version et il a vu dans le film un potentiel que je n’avais pas su voir moi-même. Il a donc apporté énormément à Drone. Par sa juvénilité, par le plaisir qu’on le voit prendre physiquement à la table de montage. Et par notre complémentarité. Il me répétait souvent : « Toi, Simon, tu es pro cinéma et moi je suis pro personnage. » Il a nettoyé le film de mouvements de mise en scène un peu complaisants, très beaux mais trop gratuits. Et m’a poussé à rajouter pas mal de plans du drone lui-même pour que la « bête » prenne de la place en plus de « ses » images.

Avez-vous déjà votre prochain film en tête ?

J’ai même commencé à l’écrire et il sera question… d’intelligence artificielle. À chaque fois que je me lance dans un projet, je me dis qu’il est temps de changer de chapelle, de faire ma comédie romantique, par exemple. Mais les réflexions autour de la technologie finissent toujours par revenir presque malgré moi. Et dans ce film, comme dans Drone, je ne serai jamais très loin de la réalité.
 

DRONE

Affiche de « DRONE »
Drone Haut et Court

Réalisation : Simon Bouisson
Scénario : Simon Bouisson, Samuel Doux, Fanny Burdino avec la collaboration de Gilles Marchand
Photographie : Ludovic Zuili
Montage : Yann Dedet
Musique : Paul Sabin
Production et distribution : Haut et Court
Ventes internationales : Orange Studio
Sortie le 2 octobre 2024

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