Souleymane Cissé, disparition d’une légende du cinéma africain

Souleymane Cissé, disparition d’une légende du cinéma africain

21 février 2025
Cinéma
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Souleymane Cissé
Souleymane Cissé (« Hommage d’une fille à son père » documentaire de Fatou Cissé) Les Films Cissé - Sisé Filimu

Le réalisateur de Yeelen (La lumière), film qui fit de lui le premier cinéaste d’Afrique subsaharienne à être primé au Festival de Cannes en 1987, s’est éteint à l’âge de 84 ans. Hommage à une figure majeure du cinéma malien, inlassable artisan du développement de la création cinématographique et audiovisuelle sur le continent africain.


Le cinéaste malien, Souleymane Cissé, est décédé à 84 ans, trois jours avant qu’il ne prenne la présidence du jury « fiction long métrage » du 29e Fespaco à Ouagadougou. Le symbole d’un homme qui, jusqu’au bout, aura été une figure inspirante du cinéma africain. Un cinéaste qui n’a jamais écrasé les générations qui l’ont suivi mais a toujours, à l’inverse, cherché à les accompagner et à faire partager son expérience. Lui, dont les œuvres ont été multiprimées dans les festivals aux quatre coins de la planète. Du Fespaco (Étalon de Yennenga pour Le Vent en 1983) au festival du film de Londres en passant par celui des Trois Continents de Nantes ou encore le festival de Cannes. Il y est reparti couronné du prix du Jury, présidé par Yves Montand, pour Yeelen (La Lumière) en 1987 ainsi qu’avec le Carrosse d’or de la Quinzaine des cinéastes en mai 2023.

Le cinéma fut l’histoire de la vie de celui qui a grandi entouré de sept frères et sœurs. Une passion née des premiers films qu’il va découvrir en salles dès l’âge de 7 ans avec sa famille ou ses amis et qui se précisera le jour où il tombe sur un documentaire narrant l’arrestation de Patrice Lumumba, le premier Premier ministre de la République démocratique du Congo, assassiné en 1961. Souleymane Cissé part alors se former à l’Institut national de la cinématographie de Moscou dont il ressort diplômé en 1969. À son retour au Mali, il travaille un temps comme reporter-cameraman au sein du service cinématographique du ministère de l’Information avant de signer son premier moyen métrage, Cinq jours d’une vie (1972) centré sur un jeune homme qui abandonne son école coranique et survit tant bien que mal dans les rues de menus larcins.

Infatigable passeur

En 1975, il réalise son premier long métrage, La Jeune Fille, qui va marquer les esprits. En mettant en scène une jeune fille muette, enceinte suite à un viol et rejetée par sa famille, Souleymane Cissé raconte la violence faite aux femmes dans son pays et leurs voix réduites au silence. Il subit les foudres du ministre de la Culture et plus largement des autorités de son pays. Avec à la clé, une peine de prison de dix jours et trois ans de censure avant que La Jeune Fille ne soit enfin visible en salles.

Dans les années 1980 et 1990, Souleymane Cissé devient l’un des rares cinéastes du continent africain à parler aussi ouvertement de politique dans ses œuvres. En traitant des conditions de travail du monde ouvrier et du patronat dans Le Travail (1978) ; en mettant en scène la révolte de deux adolescents maliens contre le pouvoir militaire en place dans Le Vent (1982) ; en réalisant avec Le Temps (1995), une fresque de 2 h 20 sur l’apartheid vu à travers une adolescente sud-africaine noire confrontée au racisme dans son pays comme hors de ses frontières. Ou, pour ce qui restera son ultime long métrage, O KA (2017), en racontant l’histoire de sa maison de famille à Bamako sous la menace d’une expulsion.

Le film le plus emblématique de sa carrière, celui qui lui a valu de devenir le premier cinéaste d’Afrique subsaharienne à remporter un prix à Cannes en 1987, restera sans nul doute Yeelen (La Lumière). Récompensé du prix du Jury, ce récit initiatique (soutenu par l’ancien Fonds Sud du CNC et du ministère des Affaires étrangères et européennes) narre l’histoire d’un jeune homme qui entreprend un long voyage à travers le Mali pour acquérir les pouvoirs magiques de la tradition Bambara que son père refuse de lui donner, par peur de le voir devenir son égal.

Le ministre malien de la Culture, Mamou Daffé, a exprimé sa « tristesse de voir disparaître un monument du cinéma africain ». Quelques heures seulement avant sa disparition, Souleymane Cissé a adressé ce qui restera ses derniers mots en public lors d’une conférence de presse pré-festival à Ouagadougou. « Il ne suffit pas de faire du cinéma, il faut que les œuvres soient aussi visibles. Que les autorités nous aident avec la construction de salles de cinéma. C’est l’appel que je leur lance avant ma mort si Dieu le veut. » L’héritage que Souleymane Cissé laisse est immense.