« Souvenir Souvenir », un court métrage intime autour de la guerre d’Algérie

« Souvenir Souvenir », un court métrage intime autour de la guerre d’Algérie

20 novembre 2020
Cinéma
Souvenir Souvenir de Bastien Dubois
Souvenir Souvenir de Bastien Dubois BLAST production - Pictanovo - Arte France
Dans ce court métrage animé qui lui a permis de remporter le prix Émile-Reynaud 2020, Bastien Dubois se met en scène pour explorer un pan de son histoire familiale. Il revient ainsi sur ses nombreuses tentatives pour faire parler de la guerre d’Algérie à son grand-père et sur ses projets finalement avortés de faire un film sur ces souvenirs. Rencontre.

Avez-vous éprouvé des difficultés à dépasser le tabou entourant la guerre d’Algérie dans votre famille ?

Bastien Dubois DR - Blast Production

C’est toute la question du film. J’explique comment j’ai entrepris de déconstruire les tabous et de comprendre que le problème n’était pas mon grand-père qui ne parlait pas, mais plutôt mon déni face à son silence.

Quelle a été la réaction de votre grand-père vis-à-vis à votre projet de film ?

C’est une très bonne question… Je pense qu’il n’avait rien contre le fait que je réalise un film sur ce sujet, mais il n’arrivait pas à en parler. Il ne m’encourageait pas mais ne me décourageait pas non plus. À l’inverse, ma grand-mère avait une position de médiatrice. Elle comprenait très bien mes ambitions avec ce projet. Elle était finalement un peu dans la même démarche que moi, elle dit d’ailleurs à la fin du film que son mari ne lui a jamais parlé de cette guerre non plus. Elle a aidé à créer des ponts entre mon grand-père et moi pour en parler et dès qu’elle sentait que les choses devenaient un peu délicates, elle calmait le jeu. Ce n’était pas toujours évident, car parfois je sentais qu’une parole était en train d’émerger alors qu’elle passait à autre chose. Et revenir dessus plus tard était compliqué…

Vous évoquez dans ce film le déni de votre propre père face à ce qui a pu se passer pendant cette guerre…

Mon père s’est prêté au jeu [il a prêté sa voix à son personnage, ndlr] et m’a fait confiance. Il n’a jamais pensé que Souvenir Souvenir était contre lui ou son père. Dans le film, je coupe la conversation que nous avons eue tous les deux au sujet de cette guerre. En réalité, elle a repris à plusieurs reprises. Mais le film a presque remplacé la réalité dans mon cerveau.

Lorsqu’on vit quelque chose et qu’on commence à le raconter à d’autres, le récit change, qu’il s’agisse d’un film ou non. Une personne qui raconte ses vacances plusieurs fois va, au bout d’un moment, repérer les éléments intéressants de son récit et construire une mythologie autour. Les souvenirs sont ainsi tassés par le récit.
 

Moi-même, j’ai bien du mal à savoir ce qui est intact dans mes souvenirs et ce qui a été modifié en réalisant le film.

 

 

De quand date votre envie de faire un film sur ce sujet ?

Adolescent, je faisais des dessins en me basant sur des photos ramenées d’Algérie par mon grand-père. Lui montrer ce que j’imaginais était pour moi une manière de lui tendre une perche afin qu’il me raconte ce qui s’était vraiment passé. Mais je me suis heurté à un mur. J’ai finalement repris cette idée plus tard pour en faire un film. Il y a eu plusieurs tentatives avortées, car je ne savais pas quoi raconter. Et peut-être qu’au fond de moi, je n’avais pas vraiment envie de le faire, ce film. J’ai monté un premier dossier en 2011 que je n’ai jamais envoyé au CNC. J’imaginais le pire dans une œuvre violente qui évoquait les syndromes post-traumatiques des soldats en Algérie. C’était donc assez loin de Souvenir Souvenir. Quelques années plus tard, un ami m’a suggéré de faire un court métrage sur mes tentatives de monter ce projet. C’est là que mon projet est devenu un film sur le déni et la déconstruction de ce travail personnel autour de la guerre d’Algérie.

Comment raconter en quinze minutes toutes ces années de doutes et de questionnements ?

Certaines choses n’ont pas pu être gardées ou traitées. Le film devait durer au départ huit minutes. Pour le réaliser, j’avais mis en pause un autre projet – que je viens de reprendre – en me disant que je me donnais un an pour le faire avant de passer à autre chose. Il m’en a fallu finalement quatre. Après avoir sollicité le CNC, j’ai finalement obtenu une aide à la réécriture, car les membres de la commission ont senti qu’il y avait des éléments intéressants à approfondir. Le dernier tiers du court métrage est ainsi apparu pendant la reprise du scénario. Certains événements, en lien avec le sujet, ont eu lieu et m’ont conduit à allonger la durée du film.

Dans Souvenir Souvenir, vous avez utilisé un style cartoon pour certaines scènes de guerre. Pourquoi ?

Le film part de l’envie d’une personne assez jeune de réaliser un projet sur la guerre, je voulais donc qu’il y ait une forme de naïveté à travers le style, d’où le choix du cartoon. J’avais également envie de mettre le spectateur sur une fausse piste en démarrant le court métrage avec une scène de guerre. Il se dit ainsi : « Non pas encore un film sur ça. » Mais je change rapidement de style pour le déstabiliser. J’aime avoir de telles surprises lorsque je regarde un film.

Comment avez-vous choisi le style graphique du reste de votre court métrage ?

J’avais dans l’idée d’avoir un style plus simple avec de la ligne claire ainsi que des dessins en noir et blanc. Je ne voulais pas charger graphiquement pour garder toute la force du propos. Mais après avoir commencé à travailler avec l’artiste argentin Jorge González sur le projet de long métrage mis en pause pendant la production de Souvenir Souvenir, j’ai décidé de ne pas attendre des années avant de retravailler avec lui. Je lui ai donc proposé de collaborer avec moi sur ce court métrage et de reprendre son style dense. Je me suis dit : « Si le public ne comprend pas le film et ne l’aime pas, il aura au moins de belles images. » Miser sur le graphisme, un domaine dans lequel je suis à l’aise, était une manière immature de me rassurer face à des choses plus effrayantes comme ce scénario personnel. J’aurais pu faire ce film en prises de vues réelles, il n’y avait pas de raisons particulières d’utiliser l’animation et un graphisme aussi compliqué. Mais c’était peut-être une manière inconsciente d’en faire un chemin de croix et de faire traîner la production jusqu’à ce que mon grand-père décède pour qu’il n’ait pas à voir le film.

 

 

Pourquoi avoir utilisé moins de techniques graphiques que dans votre court métrage Madagascar, carnet de voyage (2009) ?

Lorsque je fais un carnet de voyage, je change tout le temps de matériel de dessin et de style graphique pour exprimer différentes ambiances. Dans Madagascar, je voulais un récit avec une débauche d’esthétiques. C’était aussi une manière d’avoir une belle bande démo puisque je venais de sortir de l’école [Supinfocom, ndlr]. À l’inverse, chaque style utilisé dans Souvenir Souvenir a une signification. L’un est pour le « carnet de vie » tandis que l’autre, qui est cartoon, raconte la projection fantasmée que j’avais en grandissant du voyage de mon grand-père. Ces séquences deviennent un peu punk lorsque j’apparais en adolescent énervé dans le film, puis les personnages reviennent et incarnent finalement mon angoisse par rapport à ce sujet. C’est une part de mon inconscience.

Quelle place tient la musique dans vos films ?

Lorsque je commence un film, je fais généralement un dossier musique qui rassemble des pistes de son faisant naître en moi des images qui m’aident pour écrire. Je travaille rarement à partir d’un story-board car je m’attaque directement à l’animatique. Dès le départ, je place des musiques sur le banc de montage et elles donnent des directions pour les ambiances des scènes. Certaines restent et d’autres partent en cours de route. La musique punk utilisée dans la séquence me montrant adolescent a par exemple été modifiée une semaine avant la sortie du film.

Produit par Blast Production (en coproduction avec Pictanovo et Arte), Souvenir Souvenir a été soutenu par le CNC.