Stéphanie Pillonca : « J’ai voulu un cœur à cœur avec ceux que je filmais »

Stéphanie Pillonca : « J’ai voulu un cœur à cœur avec ceux que je filmais »

30 décembre 2021
Cinéma
C'est toi que j'attendais Copyright Pyramide Distribution.jpg
C'est toi que j'attendais Copyright Pyramide Distribution

Dans C’est toi que j’attendais, Stéphanie Pillonca aborde le thème de l’adoption sous différents angles. Du choix des personnes qu’elle filme à celui d’Aurélie Saada pour les chansons qui l’accompagnent, elle revient sur la genèse de ce documentaire.


Comment est née chez vous l’envie de parler de l’adoption ?

On m’avait déjà proposé de traiter ce sujet dans un documentaire télé. Je l’avais alors envisagé comme une immersion dans les services de l’aide sociale à l’enfance, mais ce projet n’avait pas abouti pour des questions d’autorisation. Quelque temps plus tard, un producteur m’a proposé de réfléchir de nouveau à un film autour de l’adoption. Et c’est là que j’ai réalisé qu’il était un peu réducteur d’en parler sous le seul angle des parents désireux d’adopter. Mon envie a donc été d’embrasser toutes les pièces du puzzle : un bébé accueilli par un couple en mal d’enfants ; une mère qui a été amenée à faire ce geste d’abandon ou un enfant qui, plus tard, va essayer de retrouver sa mère biologique. Puis je suis moi-même devenue maman et mon fils s’est lié d’amitié avec un autre enfant qui, lui, a été adopté. Je me suis rendu compte que la mère de ce garçon et moi partagions exactement les mêmes inquiétudes, les mêmes rêves et les mêmes espoirs. Ça n’a fait que doper mon désir à donner vie à ce projet.

Comment avez-vous choisi les personnes que vous avez suivies : deux couples engagés dans une procédure d’adoption ; Alexandra, une Anglaise qui cherche à retrouver son fils né sous X en France et Sylvian, à la recherche de sa mère biologique ?

J’ai commencé par les couples. Je me suis rapprochée des aides sociales dans différents départements en leur demandant de diffuser une annonce où j’expliquais chercher deux types de couples : l’un qui pense être à la fin de son parcours d’adoption et l’autre au tout début du processus, en attente de son agrément. Beaucoup de couples m’ont répondu. J’en ai rencontré plus de deux cents. J’ai tout de suite repéré des gens très spectaculaires et par là même très cinématographiques. Un couple qui possédait un bowling, un surfeur, un pilote automobile… Mais tout cela était hors sujet. Car dans ce documentaire, le fond devait prévaloir sur la forme. J’avais avant tout besoin de m’entourer de gens que j’allais aimer et qui seraient désireux d’ouvrir les portes de leur intimité, de partager leurs attentes, leurs doutes et leurs inquiétudes. Pourquoi mon choix s’est porté sur ces deux couples-là ? Je suis incapable de vous le dire précisément. Je pense simplement que, pour le couple qui attend l’agrément, j’ai été séduite par sa mixité – qui symbolise la France que j’aime – et cette femme qui rassurait tant je la trouvais forte malgré les douleurs et la meurtrissure. Quant à l’autre couple, c’est sa pudeur, sa tempérance qui m’ont touchée tout comme son envie de partager ce qu’il avait vécu. Après, dans le déroulé de ce que j’ai pu filmer et des événements qu’ils allaient vivre, cela tient souvent du miracle… Je n’aurais jamais pu l’imaginer.

Comment avez-vous découvert Alexandra ?

J’ai commencé par voir 80 jeunes filles ou jeunes femmes qui avaient accouché sous X, mais je me suis vite demandé de quel droit j’allais imprimer leurs visages dans un film alors que dans deux ans, elles regretteraient peut-être d’avoir témoigné. Je ne voulais pas les laisser me raconter si jeunes un épisode aussi douloureux. Je ne voulais pas en assumer la responsabilité. Je suis donc partie à la recherche de quelqu’un de plus âgé. Et le hasard a voulu qu’à une projection de Laissez-moi vous aimer, un téléfilm que j’ai réalisé pour Arte, mon monteur explique à l’une de ses amies qu’il est en train de travailler sur C’est toi que j’attendais. Celle-ci lui parle en retour d’une de ses meilleures amies qui, dès qu’elle est un peu ivre, pleure en se confiant sur un enfant qu’elle a abandonné. Il s’agissait d’Alexandra. Elle ne s’était jamais confiée à quiconque sur cet épisode de sa vie de manière aussi détaillée. Pendant deux heures, face caméra, ce fut un flot ininterrompu où il y avait ce besoin de se raconter. Nous étions tous suspendus à ses lèvres, nous n’osions plus bouger.

C’est aussi le hasard qui vous a conduit vers Sylvian à la recherche, lui, de sa mère biologique ?

Non. Là, ce sont les réseaux sociaux et un hashtag #NésousX qui réunit des milliers de personnes à la recherche de leur mère. J’ai été complètement happée par ça. Et j’ai choisi Sylvian car il faisait des vidéos comiques décalées – qu’on ne voit pas dans le film – avec un mélange de gravité et d’insouciance où on pouvait percevoir une faille, cette pièce du puzzle manquante comme il le dit si bien lui-même. Je l’ai contacté via Facebook, on s’est rencontrés et c’est ainsi que tout a commencé avec lui.

Quel était le mot d’ordre qui a guidé vos différents tournages ?

Être au service de ceux qui avaient accepté de se confier à moi. J’avais noté sur un énorme agenda tous les rendez-vous possibles avec chacun en fonction des informations qu’ils m’avaient communiquées, notamment pour les deux couples et le suivi de leurs demandes d’adoption. Comme des calendriers de leurs vies. C’était évidemment un casse-tête car il fallait être prête à bondir à chaque instant. Un exercice d’immédiateté passionnant à vivre, dans un état de dépendance assumée à eux. Tourner ainsi vous réapprend les bases du métier et vous remet à votre place, surtout quand on fait aussi de la fiction où l’on est très entouré. Ici, nous étions seulement – et volontairement – trois en tout.

On sent dans votre réalisation une volonté de plonger dans l’intimité des personnes que vous filmez. Comment vous y êtes-vous employée avec votre directeur de la photo Hugues Poulain ?

J’ai tout de suite su que je ne cadrerais pas moi-même car je voulais vraiment faire un film de cinéma et que je n’aurais jamais eu cette capacité-là. À partir de ce moment, j’ai voulu à chaque fois un cœur à cœur avec ceux que je filmais… mais sans que cela passe par moi. Je refusais de parasiter l’émotion en injectant mon propre ressenti. C’est pour cela que je savais dès le départ que ce documentaire n’aurait pas de voix off. C’est pour ça aussi, et surtout, que la caméra va souvent si près d’eux. Car à cette distance, on ne peut pas tricher. Je ne mets rien en scène, je capte et je transmets directement.

À quel moment savez-vous que le tournage est terminé ?

Ce tournage s’est étalé sur presque un an. Et je sais qu’il est fini quand je suis pleine de ceux que j’ai filmés. J’aurais pu aller tourner chez le couple avec la petite fille qui leur a été confiée. Mais ce n’était plus le même film. Comme son titre l’indique, C’est toi que j’attendais est un documentaire sur l’attente. La suite était hors sujet. La seule question qui aurait pu se poser concerne Sylvian. Devais-je continuer à le suivre alors qu’il n’a pas encore retrouvé sa mère ? Mais j’ai arrêté parce que je sais que cette quête est longue et qu’elle n’aboutira pas avant un moment.

Comment parvenez-vous à entremêler ces quatre récits différents pour parvenir à un film de 90 minutes ?

J’adore l’étape du montage où j’ai la chance de pouvoir compter sur Fabien Bouillaud. C’est un moment magique d’intimité. Tout est question d’équilibre. Ne pas privilégier une histoire par rapport à une autre. Ne pas perdre un des « personnages » en route. Trouver la place légitime à chacun est complexe. Ça se construit petit à petit, au fil des journées. Choisir, c’est se priver. C’est donc triste de laisser plein de moments sur le côté mais il faut savoir faire son deuil. Et comme pour le choix des personnes que j’ai suivies ou au moment du tournage, il faut se laisser guider par son intuition.

C’est aussi votre intuition qui vous a incité à faire appel à Aurélie Saada pour accompagner votre documentaire en musique ?

Énormément de femmes que j’ai rencontrées pour ce documentaire et qui ont eu des difficultés à avoir des enfants me parlaient spontanément de la chanson d’Aurélie J’veux un enfant du premier album de Brigitte, Et vous, tu m’aimes ?. Or il se trouve qu’on a débuté ensemble en 1996, dans une comédie musicale, Mayflower, qu’on a jouée au Bataclan. Aurélie avait 16 ans et je l’ai toujours suivie depuis. Pour ce film, j’avais envie d’une voix féminine, sensuelle, ronde, profonde et chaleureuse pour incarner en musique la vie, la maternité, le couple et le désir. La définition parfaite de celle d’Aurélie. Mais je ne voulais pas lui imposer ce qu’elle allait chanter. Alors, à chaque fois que je rentrais de tournage, je me posais, je l’appelais et je lui racontais ce qu’il s’était passé. Puis ces moments passaient par son émotion et son univers pour devenir des chansons. Les placer au bon endroit a encore été une question de montage. Ce documentaire aura été un puzzle du début à la fin.

 

C’EST TOI QUE J’ATTENDAIS

C’est toi que j’attendais de Stéphanie Pillonca
De Stéphanie Pillonca
Images : Hugues Poulain.
Montage : Fabien Bouillaud
Musique : Aurélie Saada et Martin Balsan
Production : Wonder Films
Distribution et ventes internationales : Pyramide
Soutiens du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme), Aide à l'édition vidéo (aide au programme éditorial)