Comment l’aventure The Substance a-t-elle commencé pour vous ?
Nicolas Royer : J’ai été directeur de production pendant à peu près vingt-cinq ans. J'ai accompagné des réalisateurs très différents, de Cédric Klapisch à Abderrahmane Sissako, en passant par Noémie Lvovsky ou Tonie Marshall. J’ai ensuite ressenti le besoin d’élargir mes horizons et d’accompagner des projets internationaux. Je suis parti à Los Angeles, où le producteur Charles Gillibert m’a proposé de travailler sur Kings, le film de Denize Gamze Ergüven avec Halle Berry et Daniel Craig. Le hasard a fait que Coralie Fargeat est venue présenter à Los Angeles, à ce moment-là, Revenge, son premier long métrage, que j’ai adoré. C’est un film de genre très féminin, un film qui parle avec des images et pas seulement des dialogues. Puis, un jour, Coralie m’appelle pour me dire qu’elle vient de signer avec la société de production britannique Working Title pour son film suivant, un film fantastique appelé The Substance. Elle me dit qu’ils sont en train de demander des devis pour tourner en Europe de l’Est, en Hongrie, Tchéquie ou Roumanie… Mais je sens que ce n’est pas le bon endroit pour le film.
Pour quelle raison ?
The Substance est un film d’effets. Coralie voulait apporter beaucoup de soin au tournage de ces effets, alors qu’aujourd’hui la tendance est plutôt de tourner vite et de tout faire ensuite en digital. Il y a bien sûr aussi du digital dans le film, mais Coralie voulait que la base des effets soit plus organique. Ce qui signifiait travailler avec des prothèses, comme dans les années 1980, dans des films tels que Alien, Scanners ou La Mouche. Il y a de moins en moins de films comme ça aujourd’hui, tout simplement parce que ce travail demande un temps fou. Coralie avait besoin de cent jours de tournage, ce qui ne rentrait pas dans l’enveloppe budgétaire de Working Title : un tournage aussi long ne pouvait pas se faire dans les pays de l’Est. Quand vous travaillez avec une grosse équipe de 150 personnes et un casting international, il est difficile d’aller au-delà d’un certain nombre de jours de tournage sans exploser le budget. Coralie m’a donc demandé de lire le scénario et de trouver une solution. Ce que j’ai proposé de faire, c’est de tourner en France, et d’enchaîner plusieurs tournages de tailles différentes. Avec une équipe importante pour les scènes spectaculaires et une plus légère pour les scènes d’appartement entre Demi Moore et Margaret Qualley. Pour celles-ci, Coralie voulait prendre du temps, s’attarder sur les corps et les prothèses en plan rapproché. On a appelé cette équipe légère l’équipe « lab », comme un laboratoire. En procédant ainsi, on a réussi à diminuer le coût du film. Nous avons pu par ailleurs bénéficier du crédit d’impôt international (C2i) à 40 %. Cette flexibilité sur la taille de l’équipe, cette idée d’adapter les moyens et l’équipe à ce qu’on avait à tourner, nous a permis de proposer un budget, qui a convaincu Working Title. Les producteurs étaient satisfaits et nous ont fait confiance. Il faut dire que c’était peu de temps après la Palme d’or de Titane. Il y avait une curiosité de leur part de savoir comment les cinéastes Français tournent leurs films. En fait, avec Coralie, on cherchait à concilier les avantages d’un film de studio américain et les avantages d’un film français.
C’était donc un tournage à plusieurs échelles…
Oui, il y eu deux types de tournage [le tournage au total a duré 108 jours – NDLR]. Pour de nombreux plans d’extérieurs, tournés sur la Côte d’Azur, nous étions seulement huit ! À l’inverse, pour les scènes les plus spectaculaires, qui demandaient beaucoup d’effets, nous étions entre 150 et 200 personnes.
Comment reconstituer Los Angeles dans les Alpes-Maritimes ?
La bonne idée de Coralie, c'était de ne surtout pas essayer de faire croire qu'on était à Los Angeles mais plutôt de trouver des décors qui évoquent Hollywood et la Californie. Les Alpes-Maritimes, pour ça, c'est parfait ! Coralie s'est beaucoup appuyée sur ce symbole que sont les palmiers, qui sont très importants dans le film. Il y a aussi dans les Alpes-Maritimes cette lumière très contrastée, avec beaucoup de couleurs, qui correspond à la lumière de la Californie. Mais la reconstitution est assez légère. On n’a pas voulu multiplier les faux panneaux, ce genre de choses, parce que c’est en général quand on fait ça que ça paraît faux. Devant The Substance, les spectateurs y croient. Au Festival de Cannes, le public a d’ailleurs été surpris d’apprendre que le film avait été tourné en France. Il faut dire que ce qui se passe à l’écran est suffisamment prenant pour qu’on n’ait pas le temps de se poser la question !
Comment Demi Moore et Margaret Qualley ont-elles vécu ce tournage en France ?
Il a été très facile de les convaincre de venir en France car Paris fait énormément rêver les Américains. Et après les Jeux olympiques, c’est loin d’être fini ! Elles avaient par ailleurs très envie de travailler avec une réalisatrice française. Elles étaient enfin rassurées par la présence du producteur anglais Eric Fellner et de Working Title. Quant au côté « star », il faut comprendre pourquoi les acteurs américains ont besoin de se protéger, pourquoi par exemple ils ont besoin d’un bon car-loge. J’avais compris ça sur le tournage de Kings : le car-loge est un lieu de travail. Dans ce car-loge, les stars travaillent entre les prises. Et quand elles arrivent sur le plateau, elles sont prêtes et elles envoient ! Ce n’est pas seulement pour se reposer. C’est aussi un repère pour les Américains quand ils tournent loin de chez eux. Quand on a montré son car-loge à Demi Moore en arrivant aux studios d’Épinay, elle a dit : « C’est ma nouvelle maison ». Offrir ce confort-là nous a permis de mettre les acteurs américains en confiance. C’était ensuite plus facile de convaincre Demi Moore de tourner les extérieurs en équipe très réduite.
Comment avez-vous travaillé avec les équipes techniques ?
On s’est mis en tête d’avoir une équipe majoritairement française. Tout simplement parce qu’on est en France ! J’ai présenté à Coralie des personnes que j’aimais beaucoup et avec qui j’avais déjà travaillé, notamment Pierre-Olivier Persin, pour les prothèses. Il n’y a en fait que deux postes sur lesquels il n’y a pas de Français : le chef opérateur, Benjamin Kracun, qui est Anglais et qui possède un énorme savoir-faire de tournage en studio ; l’autre poste, c’est la musique, composée par Raffertie, un Anglais également. Tous les autres sont Français. Au niveau des effets visuels, on a travaillé avec la Compagnie Générale des Effets Visuels, mais aussi avec Noid, une structure plus petite pour des effets plus pointus. Pour la Post-production, de jeunes sociétés françaises comme Gump (montage), LUX Studios (labo) et A Fabrica (mixage) se sont également énormément impliquées. C’était un travail de longue haleine, un gros projet, et aussi un film de recherches, car Coralie est quelqu’un qui se pose beaucoup de questions et recherche constamment. The Substance est avant tout la vision débridée d’une cinéaste sur le thème universel de l’image de soi, avec Hollywood en toile de fond. Le film aurait peut-être été différent s’il avait été tourné aux États-Unis mais à travers les réactions élogieuses de la presse écrite et des médias américains, on constate que la question ne se pose pas.
The substance
Réalisation et scénario : Coralie Fargeat
Production exécutive : A Good Story - Voulez-Vous Production Services (Nicolas Royer)
Production déléguée : Working Title, Blacksmith et Dame Films Limited
Avec Demi Moore, Margaret Qualley, Denis Quaid, Hugo Diego Garcia…
En salles le 6 novembre 2024
The Substance a bénéficié du Crédit d’impôt international (C2i).