Jean Collet, disparu le 11 novembre dernier, aura consacré une grande partie de sa vie à l’étude des cinéastes de la Nouvelle Vague. Il pensait qu’« en ces temps de violence intolérable, l’univers de François Truffaut si humain, tendre souvent, devrait toucher les jeunes générations qui ne le connaissent pas, et rendre agréablement nostalgiques ceux qui le connaissent et l’ont peut-être un peu oublié ». Très affaibli ces dernières semaines, il avait laissé à son coauteur, Oreste de Fornari, le soin de nous expliquer leur démarche.
Tout sur François Truffaut est une refonte et une actualisation du François Truffaut de Jean Collet (1985) et de l’un de vos ouvrages (I Filmi di François Truffaut, 1996). Comment est venue cette idée ? En quoi ces deux livres sont-ils complémentaires ?
C’est une idée de l’éditeur Gremese. Jean Collet, un vétéran de la politique des auteurs, suit la poétique de Truffaut dans son évolution harmonieuse, année après année ; mon approche est plus pragmatique. Il explique à quel point les films de Truffaut se ressemblent, moi, j’analyse ce qui fait leurs différences. En ce sens, nous sommes complémentaires. Je ne connaissais pas personnellement Jean Collet, mais je suis son travail depuis des années. Je lisais son livre sur Godard le soir, en cachette, pendant mes exercices spirituels chez les Jésuites ! On était en 1968.
Qu’est-ce qu’un livre-somme sur François Truffaut peut apporter aujourd’hui ?
Truffaut parle de l’adolescence – même ses adultes sont des adolescents qui ont vieilli, comme dans La Mariée était en noir – et c’est un thème qui sera toujours d’actualité.
Comment fait-on pour décrypter la « simplicité trompeuse » de Truffaut, comme l’appelle Jean Collet ?
On retrouve cette « simplicité trompeuse » chez d’autres grands cinéastes classiques comme Hitchcock et Renoir. Pour la percevoir, il suffit de « vivre le film », de se laisser porter par les émotions et chacun, sous la superficie des genres, peut trouver la profondeur des personnages.
Jean Collet dit que « nous avons beaucoup à apprendre de l’œuvre de Truffaut ». Pouvez-vous nous préciser sa pensée ?
Selon moi il nous faut apprendre de Truffaut « la qualité de l’imperfection » – chez les personnes et dans les films –, la rigueur et l’improvisation, l’attitude impartiale envers les personnages – ne pas montrer toujours les enfants comme des victimes et les adultes comme des coupables –, les passages du ton dramatique au ton comique, la capacité à faire un film centré sur un seul personnage… Les réalisateurs débutants pourraient aussi apprendre de lui l’humilité, l’amour pour les classiques et l’absence de complexes.
Qu’est-ce que « la fréquentation assidue de ses textes » sur laquelle vous fondez votre analyse du cinéma de Truffaut ?
Par « fréquentation assidue », j’entends, dans mon cas, le fait d’avoir vu Les Deux Anglaises et le Continent au moins treize fois en salle, La Peau douce en vidéo pendant deux ou trois jours de suite, etc. Et puis tout oublier et revoir les films cinq ou six ans plus tard, et s’étonner comme si c’était la première fois, en éprouvant de nouvelles émotions et en trouvant des significations nouvelles.
Vous faites peu appel à sa correspondance ou à des éléments de sa vie privée pour analyser son œuvre. Pourquoi ?
Parce que j’ai lu Contre Sainte-Beuve et que je suis d’accord avec Proust. Le moi d’un artiste se manifeste seulement dans son œuvre sinon on n’aurait pas besoin d’aller au cinéma, il suffirait de lire les propos des réalisateurs dans la presse. Si on devait se baser uniquement sur ses déclarations, John Ford serait un réalisateur de série B.
Est-ce que vous partagez l’opinion de Jean Collet sur le courage de François Truffaut ?
Jean Collet parle d’un « courage léger » – tout est léger chez Truffaut. Le courage d’éviter ce qu’il appelle « l’attitude poétique », il s’agit de filmer la beauté sans en avoir l’air... Je suis d’accord avec ça.
Comment avez-vous structuré le livre ?
J’ai placé en introduction de l’essai fondamental de Jean Collet deux ou trois textes que j’ai écrits et je l’ai entrecoupé, pour chaque film, par des déclarations de Truffaut. Il y a aussi une anthologie critique. J’ai choisi les textes que j’avais préférés au cours des années, en privilégiant les plus compréhensibles et les plus originaux. Certains sont signés Pier Paolo Pasolini, Alberto Moravia, ou encore Mario Soldati, d’autres ont été écrits par Michel Ciment et Serge Daney. Dans le chapitre Portrait de l’artiste en jeune turc, il y a aussi des fragments d’articles de Truffaut sur le cinéma italien qui n’avaient pas été réédités depuis plus de soixante ans.
Pourquoi avoir ajouté un article de Truffaut sur l’émission de télé Quitte ou Double ?
Quitte ou double [en italien « Lascia o raddoppia ? », NDLR] est peut-être le programme le plus célèbre de la télévision italienne, bien que Truffaut parle de sa version américaine. Dans cet article datant de 1958 (jamais réédité en France) il dit des choses prophétiques sur la télévision – qu’il présente comme un médium se basant sur un équilibre entre préméditation et improvisation – qui sont encore valables aujourd’hui.
Quel est pour vous le film qui résume le mieux François Truffaut ?
Baisers volés sans aucun doute !
Tout sur Truffaut, à paraître le 26 novembre aux éditions Gremese
l'hommage d'oreste de fornari à jean collet
« Il suffit d’un regard à sa bibliographie pour se rendre compte de l’étendue des intérêts qui étaient les siens. Il a écrit, entre autres, deux livres sur Fellini et sur John Ford qui étaient respectivement, selon moi, le plus grand réalisateur italien et le plus grand réalisateur américain. Surtout, il savait être, en même temps, profond et clair, sans cet hermétisme et cet ésotérisme qui ont si souvent été des obstacles à la compréhension des critiques français en Italie. Vraiment, je regrette de n’avoir pas eu le temps de le rencontrer, et j’espère que ses autres livres seront un jour traduits en Italie. »