Pourquoi choisi de traiter le thème du chamanisme dans votre nouveau long métrage ?
Fabienne Berthaud : Je le dois à Carole Scotta, la productrice de Haut et Court, qui vient me parler, au tout début du montage de mon précédent film Sky, de l’histoire de Corine Sombrun, racontée dans plusieurs livres. Je commence par lire le premier, Mon initiation chez les chamanes et je trouve le sujet dément. Cette musicologue qui part en Mongolie en plein deuil de son compagnon afin de recueillir des chants chamaniques pour une émission de radio. Et qui, sur place, va se découvrir des dons chamaniques qu’un Chaman la force à développer sous peine d’avoir de graves ennuis. Je connais mal ce sujet mais je décide pourtant très vite de me lancer dans un travail d’adaptation car j’y vois le prolongement de mon travail.
En quoi cette histoire trouve-t-elle un écho avec vos films précédents ?
Dans Sky, il y avait déjà un personnage de vieille Indienne que rencontrait Diane Kruger. Mais faute de moyens, je n’avais pas pu tourner dans une réserve indienne en Arizona. Là, je savais que le film ne pourrait exister que si j’allais poser ma caméra en Mongolie. C’est comme si un film m’amenait à un autre et me permettait de creuser un sujet que je n’avais fait qu’effleurer.
C’est la première fois que vous portez à l’écran, au cinéma, le livre d’une autre. Comment s’est passé ce travail d’adaptation ?
J’ai d’abord écrit une première version en partant uniquement des livres de Corine et de la documentation que j’avais pu réunir. Cela m’a valu de décrocher pour la première fois l’Avance sur recettes du CNC, qui m’a donné les moyens d'aller en Mongolie en compagnie de Corine et de Naral, son interprète tout au long de ce voyage initiatique de près de 8 ans. Les versions suivantes du scénario se sont donc nourries de ce que j’ai pu découvrir sur place. Et la présence de Corine m’a été indispensable pour comprendre chaque étape du processus de ce qu’elle a vécu et qui fait qu’aujourd’hui elle collabore avec des chercheurs pour étudier les effets de la transe sur le cerveau. Des recherches fondamentales pour chacun d’entre nous.
Corine Sombrun vous a donc fait découvrir la tribu Tsaatan chez qui elle a découvert son don pour le chamanisme. Comment y avez-vous été accueillie ?
Déjà, j’ai fait un voyage inouï : il faut deux jours à cheval pour retrouver cette tribu au fin fond des plateaux mongols. Et une fois sur place, la présence de Corine et Naral les a rassurés. Ils ont compris que je prenais ce sujet au sérieux, que je n’étais pas là pour faire un film exotique. Ils m’ont donc ouvert leurs portes et leurs cœurs.
Ils ont tout de suite accepté que vous tourniez chez eux ?
Non, il a fallu du temps, des échanges… et deux voyages.
Et qu’est-ce qui a profondément différencié ce tournage de vos trois précédents ?
C’est une aventure où il fallait rester ouvert à tout. Une fiction tournée comme un documentaire où tout s’est mis en place peu à peu : comme l’endroit où les Tsaatans décident de se poser avec leurs rennes dépend de la saison, je n’ai su ce lieu que quatre jours avant le début de tournage ! Ensuite parce qu’on ne vit pas au même rythme qu’eux : si tu demandes « On arrive quand ? », on va te répondre « Ne t’inquiète pas. On arrive toujours » ! (rires) Et enfin parce que sur place, le climat change en permanence. Mais les planètes se sont alignées. Et les Tsaatans ont été incroyables. Ils n’avaient jamais tourné mais ils ont ça dans le sang !
Pourquoi avoir choisi Cécile de France pour incarner Corine Sombrun au milieu d’eux ?
J’avais trois actrices en tête à qui j’ai fait passer une audition très particulière. Des essais où je voulais voir leur capacité à rentrer en transe en leur mettant sur les oreilles une boucle de sons inventée par Corine avec des chercheurs. Cécile est celle qui m’a le plus impressionnée. Et en dehors de ses qualités d’interprète, elle possède ce tempérament d’aventurier, cette capacité à vivre coupée du monde pendant 5 semaines sans eau, ni électricité. Elle a été d’une disponibilité incroyable. Toujours en recherche. Elle m’a fait une immense confiance et notre complicité a nourri en profondeur ce projet.
Est-ce que Corine Sembrun était aussi présente sur le tournage ?
Elle était là pour accompagner les moments de transe car je voulais être la plus réaliste possible et ne pas raconter n’importe quoi. Elle était donc impliquée tout en sachant que j’adaptais librement son récit. Car Un monde plus grand n’est pas un documentaire. Mais une fiction inspirée de moments de réalité incroyables.
Un monde plus grand de Fabienne Berthaud, qui sort le 30 octobre, a bénéficié de l’Avance sur recettes avant réalisation et de l'Aide sélective à la distribution (aide au programme)