En quoi consiste votre fonction sur un plateau, et quel fut votre rôle sur Une affaire d’honneur ?
Michel Carliez : Au départ je suis cascadeur. J’ai fait un peu de comédie dans quelques films, et puis je suis devenu au fil du temps coordinateur de cascades. L’escrime fait évidemment partie de mes qualités, mais ce n’est que l’une des cordes à mon arc. C’est un sport que je pratique depuis très longtemps. Disons que c’est même une tradition familiale puisque mon père fut dans le domaine des cascades physiques ce que fut Rémy Julienne dans le domaine mécanique : un des pionniers. Il a notamment fait plus de quinze films avec Jean Marais [pour en savoir plus, on peut se référer au livre de Claude Carliez, Des souvenirs en cascade, publié aux éditions Michel De Maule – ndlr]. En tant que coordinateur de cascades physiques, j’orchestre un peu tout : des combats, des chutes de hauteur, des chutes d’escalier et je fais même la torche humaine…
À quoi sert concrètement un coordinateur de cascades ?
Un coordinateur de cascades ou de scènes d’action est en relation avec le metteur en scène, mais aussi avec la production. Et surtout, il doit comprendre l’histoire qui va être racontée : son rôle est de voir dans quelle mesure l’équipe va pouvoir réaliser toutes les scènes d’action écrites. Il doit évaluer si les acteurs vont exécuter ces cascades ou si des doublures doivent intervenir. Ensuite, il peut imaginer et créer des chorégraphies. Tout cela en osmose avec la réalisation et selon les contraintes budgétaires. C’est ce que j’ai fait sur Une affaire d’honneur.
Vous intervenez aussi en tant que maître d’armes sur certains tournages. Quelle est la différence ?
Le terme « maître d’armes » est souvent utilisé à tort. C’est un titre sanctionné par un diplôme. Sur un tournage ou au théâtre, je préfère parler de directeur de combats. Il se trouve que je suis effectivement maître d’armes, je possède ce titre. Comme mon père d’ailleurs. La confusion entre directeur de combats et maître d’armes est un abus de langage qui remonte aux années 1950-1960. Parce qu’à l’époque, qui appelait-on pour s’occuper des combats ? Des maîtres d’armes. Évidemment, certains avaient les qualités requises pour travailler sur un plateau et d’autres… moins. Le maître d’armes enseigne dans une salle d’armes, mais surtout, et j’insiste, c’est celui qui possède le diplôme de maître d’armes. Aujourd’hui, on peut avoir un diplôme d’enseignant en escrime sportive, juste avec une arme – au fleuret par exemple. Alors que dans le titre de maître d’armes, « armes » est au pluriel. Il faut posséder la technique des trois armes : le fleuret, l’épée et le sabre. Plus un certain nombre d’autres disciplines comme l’escrime dite artistique ou l’escrime handisport. Ce qui se passe dans une salle et ce qui se passe sur scène ou devant une caméra où les contraintes sont complètement différentes, ça n’est pas la même chose. Mais cette appellation de « maître d’armes » est restée. Si vous regardez le générique d’Une affaire d’honneur, j’apparais en tant que chorégraphe combats et coordinateur de cascades.
Dans Une affaire d’honneur, les personnages pratiquent à l’écran le fleuret, l’épée et le sabre. Comment avez-vous approché ce projet ?
Dans ce film, on utilise les trois armes traditionnelles. Il y a aussi un combat à cheval et un duel au pistolet qui ont été imaginés par Vincent Perez, puis que nous avons rendus possible ensemble à l’écran. Vincent Perez souhaitait qu’on puisse avoir une variété de combats, avec des armes et des techniques différentes. Il voulait montrer les duels sous toutes leurs formes. Quand on en a parlé, il y a des années, je l’avais tout de suite mis en garde : il faudrait nécessairement trouver des astuces. Pour une raison simple : Une affaire d’honneur est un film historique qui, dès le début, devait respecter la réalité de l’époque. Vincent Perez ne voulait pas tricher, il ne voulait pas réaliser un film qui lorgne vers la bande dessinée ou le fantastique. Cela nous contraignait donc à respecter une certaine véracité. Or, à partir du moment où l’on rentre dans le code du duel, il y a des points qui vont se répéter, des redites, qui à l’écran risqueraient de lasser le spectateur. C’est un film qui s’adresse à tous les publics, qui ne vise pas que les spécialistes. On a donc beaucoup réfléchi à la manière dont on pouvait respecter la véracité et la spécificité des combats de chaque arme, mais aussi le contexte de l’époque, tout en se ménageant une certaine liberté afin de pouvoir faire un peu de spectacle.
Comment avez-vous organisé concrètement les combats sur ce film ?
Une affaire d’honneur est un cas particulier dans ma carrière. D’abord parce qu’il s’agit d’une histoire qui n’a jamais été racontée. Il y a eu Les Duellistes certes, mais le film de Ridley Scott se déroulait à l’époque napoléonienne et ne traitait que de l’obsession de ses deux personnages. Là, on parle d’un sujet précis qui avait une place sociale essentielle : le duel. Par ailleurs, comme je connais Vincent Perez depuis très longtemps, et qu’on s’apprécie, j’ai suivi ce projet comme jamais je n’avais pu le faire auparavant. J’étais au courant du film avant même qu’il ne soit écrit. Vincent Perez y pensait depuis très longtemps. Il me confiait fréquemment son envie de réaliser un film d’épée différent. Il a mis des années à ce que le projet ne prenne définitivement forme dans son esprit. Et ce n’est qu’après une discussion avec Jean Dujardin au moment du tournage de J’accuse de Roman Polanski – sur lequel je travaillais également – qu’il a finalement décidé de se lancer. À partir de là, j’étais présent à toutes les étapes. J’ai lu le script, j’ai fait part de mes idées, de mes observations – certaines dont il a tenu compte, d’autres moins, en partie parce qu’il avait une vision plus psychologique du film que moi. Mais on a travaillé dans une vraie complicité. En amont, avant qu’on ne crée les combats. Puis, une fois que l’histoire était établie, je me suis inspiré du scénario pour échafauder les duels et les combats.
Après avoir imaginé les cascades, comment se déroule la suite de votre travail ?
Une fois qu’on a l’idée de la chorégraphie, je prépare les duels avec des cascadeurs. Sur Une affaire d’honneur, j’ai fait ce qu’on appelle des « préviz ». Elles sont très utilisées dans le cinéma américain, un peu moins en France. Pourtant cette technique est très pratique. On filme nos répétitions avec les cascadeurs avant de réaliser un petit montage de ces combats, ce qui permet au cinéaste d’avoir une idée très concrète du résultat à l’écran. Une fois mis d’accord avec le metteur en scène, on prépare les acteurs. Ils vont apprendre les chorégraphies et les enchaînements au cours de nombreuses répétitions. Parfois, on modifie quelques passages en fonction de certains paramètres et notamment du conditionnement physique des comédiens.
Dans le film, les acteurs semblent justement très impliqués…
Oui, ils ont joué le jeu. J’avais dit avant le tournage que, les acteurs n’ayant plus 20 ans, même s’ils sont encore jeunes, il faudrait les préparer. Comme pour toute activité sportive ou physique, il faut travailler certains muscles. Avant d’en venir spécifiquement aux combats, ils ont donc été pris en charge par un préparateur physique pour éviter tout accident. C’est comme une voiture : aussi belle et puissante soit-elle, si on ne l’a jamais fait rouler, on risque de casser le moteur en la poussant trop vite trop fort. Il s’agit donc du même processus avec les comédiens. On allait leur demander beaucoup. Il fallait que leur corps soit prêt.
Les avez-vous doublés pour les duels ?
Ça dépend. Quand on peut, il faut utiliser les acteurs au maximum. C’était le cas avec Vincent Perez, qui connaît l’escrime, comme avec son jeune partenaire Noham Edge et Roschdy Zem pour le duel de fin. Ils ont tout fait. Pour la scène finale, Roschdy Zem et Vincent Perez ont tourné sans doublure. Pour l’affrontement du début [où le personnage de Roschdy Zem combat au fleuret contre un champion espagnol, NDLR] et celui entre Doria Tillier et Damien Bonnard, j’ai utilisé de petits stratagèmes. Parfois, il est plus facile d’être bon quand on a en face de soi un partenaire en pleine maîtrise. Dans certains cas, il y avait une partie filmée avec les deux comédiens et des plans réalisés avec un comédien face à une doublure. Quand on coordonne les cascades, il faut toujours s’assurer que le rendu à l’écran sera crédible et excitant.
Quelle était votre principale préoccupation sur ce film ?
Ne jamais lasser le spectateur, comme je vous le disais plus haut. Un combat à l’épée dans le cadre d’un duel est régi par un protocole très rigide, avec des éléments immuables. Le troisième duel peut paraître redondant. Il faut donc moduler constamment les chorégraphies, les angles de prises de vues et surtout s’appuyer sur la psychologie des personnages pour apporter une sensation d’évolution. On a pu également se servir des décors, et de ce que souhaitait mettre en place Vincent Perez d’un point de vue visuel.
Une affaire d’honneur
Scénario : Vincent Perez et Karine Silla
Avec : Vincent Perez, Roschdy Zem, Doria Tillier, Guillaume Gallienne, Damien Bonnard…
Production : Gaumont
Distribution France et Ventes internationales : Gaumont