Comment est né En toute liberté, le deuxième film de votre trilogie consacrée à « la vie après Daech » ?
Au cours de ces dernières années en France, on a beaucoup suivi la guerre en Irak et en Syrie. Aujourd’hui, on suit celle en Ukraine, régulièrement documentée. Je me pose des questions sur la manière dont on utilise ces images et sur ce à quoi elles servent véritablement. Une fois que la guerre s’arrête, les médias vont couvrir un autre conflit, sans savoir si le précédent est réellement terminé ou non. Pourtant, c’est à ce moment-là que le processus de reconstruction et de résilience commence. Un sujet intéressant à traiter. Je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas fait. J’ai particulièrement suivi la guerre en Irak et en Syrie, qui m’a beaucoup touchée. Je voulais savoir ce qu’il s’y passe aujourd’hui, et les signes qui montrent qu’un avenir est possible. Sur place, les populations aspirent à d’autres choses : c’est ce que j’essaye de montrer au travers de cette trilogie. Ces trois récits dépeignent des histoires différentes de reconstruction sociale du lien après la guerre, d’ordres politique, médiatique et éducatif.
Que souhaitiez-vous raconter à travers les témoignages des journalistes de Radio Al-Salam ?
Les journalistes à l’écran sont de jeunes Irakiens et Syriens. Ils ont vécu le conflit ainsi que des traumatismes dans leurs propres familles. Ce ne sont pas de doux rêveurs, et pourtant ils aspirent à la paix et à la reconnexion des communautés. Il existe des outils, par le biais des médias, pour pouvoir reconstruire ce lien. Ce qui me semblait important, c’était de montrer des Irakiens qui interrogent d’autres Irakiens. Je me suis retenu de plaquer mes propres obsessions, n’étant pas Irakien moi-même. Je les ai vraiment laissés faire en essayant de montrer ce qui les touchait. Les questions de la coexistence leur sont absolument fondamentales. L’Irak est une mosaïque de peuples et la question du pluralisme fait partie de l’ADN de la société irakienne. Mais la guerre a fait voler cette idée en éclats. Les gens sont devenus méfiants. Et si certains d’entre eux espèrent encore pouvoir créer une forme de vivre-ensemble, d’autres se sont résignés.
Vous avez tourné à Mossoul et à Erbil, sur des territoires irakiens autrefois contrôlés par l’État islamique. Comment s’est déroulé le tournage ?
Il n’y a aucun problème à tourner Erbil. À Mossoul, j’ai tourné le film pendant trois ans. Les premières scènes sont celles de déambulation dans les rues de la ville complètement détruites, à l’endroit même où se trouvait le patrimoine historique et culturel. Ces images ont été tournées en 2018, un an après la libération. Les quartiers n’étaient pas encore totalement sécurisés, on était donc accompagnés par des gardes qui assuraient notre sécurité. Mais tout s’est fait de manière spontanée, notamment les rencontres avec les gens. Sur le tournage, nous sommes deux ou trois au maximum : je tiens moi-même la caméra. Je suis accompagné par un ingénieur son et par une personne supplémentaire pour faire la logistique. J’essaye d’avoir l’équipe la plus réduite possible à la fois pour des questions de discrétion et de réactivité. On ne sait jamais ce qui va se passer dans la minute qui suit.
En plus d’être réalisateur, vous êtes aussi le chef opérateur de vos films. Quelle place accordez-vous au cadrage et à la photographie dans un documentaire ?
Le documentaire filme la réalité. On a plusieurs types de documentaires qui traitent de sujets nécessitant une importante préparation. La plupart de mes films se construisent quant à eux dans la spontanéité. Sur 9 jours à Raqqa, on est partis sans savoir ce qui allait réellement se passer, et on y est finalement restés neuf jours. On s’engage toutefois sur des sujets avec une certaine idée en tête. Parfois, on peut filmer tout ce qu’on veut et finalement ne pas réussir à construire son film. Dans le documentaire, on pense moins « photographie » que dans la fiction, mais l’image reste essentielle car elle n’est jamais neutre. Chaque image veut dire quelque chose. La construction de tout un récit se fait ensuite au montage. Le début de l’histoire correspond à ce qu’on tourne sur le moment.
Comment s’organise alors le montage du film ?
Sur ce type de documentaire, le montage se fait après-coup. Pour 9 jours à Raqqa, on avait eu l’information que l'ancienne capitale autoproclamée de l'État islamique en Syrie était tenue par une jeune femme de 30 ans juste après la libération de la ville Cela nous paraissait complètement inattendu. C’est la seule indication qu’on avait, on pouvait donc s’attendre à n’importe quoi sur place. Pour En toute liberté, je me suis dit qu’il pouvait y avoir un sujet intéressant à traiter. Peu importe la manière dont j’allais pouvoir la raconter. L’histoire de cette radio, dirigée par sept jeunes journalistes issus de communautés musulmanes, chrétiennes, yézidis et kurdes me fascinait. C’est le seul média indépendant qui accueille différents partis politiques et confessions religieuses. Je tourne toujours en ayant certaines idées en tête, en préparant un procédé de tournage. Je pose au préalable des principes narratifs. Quand j’ai la matière nécessaire, je me dis enfin : « Maintenant, je peux commencer à raconter mon histoire. » Tout le reste se fait devant la table de montage.
Comment en êtes-vous venu au cinéma documentaire ?
J’ai fait des études d’hôtellerie, mais le cinéma me fascinait. J’ai eu l’opportunité de beaucoup voyager dans mes plus jeunes années. J’ai commencé à faire des films à 30 ans, mais je ne me voyais pas passer par une école de cinéma, j’étais déjà trop vieux. Il fallait que je travaille à côté. Je me suis donc acheté une caméra et j’ai commencé à filmer la réalité des gens autour de moi. J’ai filmé un ami vietnamien qui était cyclo-pousse à l’époque. Il s’agissait de l’essai documentaire Hanoï entre deux 14 juillet où je le suivais au Vietnam avec toute sa famille. Je me suis confronté à la réalité, ce qui m’a permis de me lancer dans la voie du documentaire.
Ensuite, vous avez réalisé Les Pépites, l’histoire d’un couple de voyageurs français qui aident des enfants cambodgiens…
C’est une histoire qui me touchait, avec des gens que je connaissais depuis longtemps. C’est grâce à eux que je me suis lancé dans le documentaire. L’une de mes premières réalisations était un spot tourné pour leur association en 2000. Les Pépites a marqué une étape dans ma carrière parce que c’est le premier film où je suis parvenu à vraiment créer un impact. Il a fait plus de 220?000 entrées en France !
À quoi sera consacré le troisième volet de La Vie après Daech ?
Le dernier volet s’appelle Mossoul Campus. Il portera sur les étudiants de l’université de Mossoul, qui était l’ancien fief de l’État islamique pendant plus de trois ans. La bibliothèque de l’université était très connue, avant d’être brûlée lors de la libération de la ville. J’ai suivi ses travaux de réhabilitation en tant que symbole de la culture irakienne, tout en racontant le quotidien de quatre étudiants, deux garçons et deux filles. Ils ont vécu la domination islamique, et sont aujourd’hui conscients de l’éducation comme rempart contre le totalitarisme. La bibliothèque se reconstruit en même temps que la ville, et permet aux mentalités d’évoluer dans un beau dynamisme.
Imaginez-vous passer un jour au cinéma de fiction ?
Oui, c’est une évolution naturelle. Le documentaire me passionne, mais il nous inscrit dans la contrainte de la réalité. J’aimerais bien en sortir pour pouvoir être dans la création d’une histoire. Je fais des films documentaires qui sont consacrés à la société, avec des enjeux humains assez intenses. Si je tourne une fiction, je resterai dans ce genre-là. Je veux faire ce qu’on appelle « des films du milieu », qui seront peut-être plus difficiles à produire. Ce seront des films de société dans lesquels il peut y avoir de l’humour, tout en gardant un point de vue d’auteur qui serait accessible pour le grand public.
En toute liberté – Une radio pour la paix
Réalisation : Xavier de Lauzanne
Production : Aloest Productions, Echo Studio
Distribution : L’Atelier distribution
Sortie en salles : le 8 mars 2023