Réalisateur pour le cinéma et la télévision, celui qui se décrivait modestement comme « un intermittent du spectacle qui a fait une cinquantaine de films » laisse une œuvre moderne qui aura secoué son contemporain.
Yves Boisset naît à Paris en 1939. Son père enseigne les lettres et sa mère l’allemand. « Ils étaient plutôt littéraires que cinéphiles », confiait-il en 2015 à France Culture. Il passe son enfance sous l’Occupation, dans une HLM à Porte de Vanves. Il vit sa première expérience de cinéma lorsque sa nourrice l’y emmène, un jour de pluie. « Je n’avais aucune idée de ce à quoi ça pouvait ressembler […] ça m’a tellement frappé, j’en ai eu la jaunisse ». Au lycée, son professeur d’histoire est l’écrivain Julien Gracq, qui lui transmet sa passion pour la discipline.
« Les faits divers sont le reflet d’une société »
Après avoir quitté le domicile parental, il rejoint la rédaction du journal Paris Jour, où il s’occupe des faits divers. « On m’envoie faire les commissariats, les chiens écrasés ». Le journaliste Alexis Sdana le prend sous son aile. « J’ai compris à quel point les faits divers étaient le reflet d’une société, ça m’a passionné ». Comme le jeune journaliste manifeste sa passion pour le cinéma et le théâtre, on l’envoie interviewer des acteurs et des metteurs en scène. Il y traite essentiellement des sujets mondains, plutôt que « (…) d’interroger Visconti sur la finalité de son œuvre ».
A l’occasion d’un entretien, il fait la rencontre d’Yves Ciampi. Moment décisif. Le réalisateur, alors en préparation de Qui êtes-vous, Monsieur Sorge ?, propose à Yves Boisset de faire de la recherche et de la documentation à Tokyo, pour ce film qui raconte la vie d’un espion de l’URSS employé à l’ambassade d’Allemagne au Japon. Le jeune homme zélé revient un mois plus tard avec trois malles remplies de documents. Il aide alors à l’écriture du scénario, puis est engagé en tant qu’assistant sur la partie japonaise du tournage. Ainsi commence une longue carrière au cinéma.
Grâce à son expérience avec Yves Ciampi, Yves Boisset devient assistant pour d’autres grands cinéastes de l’époque. « Ciampi m’a présenté Jean-Pierre Melville, avec qui j’ai travaillé et qui a beaucoup compté pour moi ». Il travaille également avec René Clément sur Paris brûle-t-il ? puis avec Claude Sautet sur L’Arme à gauche, et Sergio Leone sur Le Colosse de Rhodes.
La naissance d’un cinéaste
En 1968, l’assistant devient lui-même réalisateur. « On avait écrit un scénario qui était un hommage au film Les Chasses du comte Zaroff, qu’on avait appelé Les Jardins du Diable ». Il tourne en Turquie avec Claudio Brook, Bernard Blier et Klaus Kinski, lequel était, d’après Boisset : « Fou furieux, mais absolument adorable ». Le résultat déconcerte le producteur Robert de Nesle, qui attendait une série B d’action. En catastrophe, il rattache le film à la série de romans de gare « Coplan » dont il détient les droits d’adaptation, et le rebaptise Coplan sauve sa peau. Le héros, qui s’appelait initialement Stark, doit donc être renommé Coplan au doublage. « C’était un problème. C’est pas le même nombre de syllabes ». Ce premier long métrage reçoit néanmoins une presse très positive, et est un succès commercial.
Deux ans plus tard, Yves Boisset adapte le roman Vernere Privata de Giorgio Scerbanenco. Un film noir tourné en Italie, qui révélera l’actrice Agostina Belli. Lancé, il est l’auteur la même année 1970 d’un troisième film, Un Condé. Claude Sautet devait initialement réaliser ce long métrage pour la productrice Vera Belmont, avec Lino Ventura au casting. À la suite du refus de ce dernier, le cinéaste se désiste et recommande Boisset pour lui succéder. Pour ce polar qui montre l’expédition vengeresse d’un policier peu soucieux du protocole, il fait appel à l’acteur Michel Bouquet. « Je voulais que ce personnage de flic sanguinaire ait l’air d’un employé de bureau ordinaire plutôt que d’une brute musculeuse ». Le film est d’abord censuré, et les équipes obligées de retourner certaines scènes d’interrogatoires. C’est le début d’une relation longue et animée entre Boisset et la censure. « En interdisant le film, Raymond Marcellin [Ministre de l’Intérieur à l’époque, ndlr] en a fait une publicité énorme. Ça a été un succès commercial et critique ». Avec ce long métrage adapté d’un fait réel, le réalisateur affirme le style qui le caractérisera dans les années à venir : un cinéma engagé, contemporain et controversé.

Rendez-vous avec l’Histoire
L’Attentat, son cinquième film, est inspiré de l’affaire Ben Barka, un homme politique marocain enlevé à Paris devant la brasserie Lipp en 1965, dans des circonstances qui n’ont toujours pas été élucidées, alors que son corps n’a jamais été retrouvé. Yves Boisset s’associe avec l’écrivain espagnol Jorge Semprùn pour mener une enquête fouillée sur cet enlèvement. Pour le réalisateur, son projet de mettre en lumière cette histoire encore sensible était mal vu : « On nous refusait toutes les autorisations de tournages, dans les bâtiments publics, le métro, les rues… (…) Dans le film, toutes les scènes de manifestations ont été tournées dans les banlieues rouges ; Saint-Denis, La Courneuve ou Ivry-sur-Seine ». Non-autorisé à tourner sur le boulevard Saint-Germain, Boisset fait preuve de roublardise. « Je connaissais le propriétaire de la brasserie Lipp (…) Il nous a laissé le mètre de trottoir devant son restaurant pour tourner ». Au casting, outre le retour de Michel Bouquet, Michel Piccoli, Jean-Louis Trintignant et Jean Seberg. Ennio Morricone signe la musique de ce thriller politique qui rencontre là encore le succès commercial et critique. L’Attentat remporte le Grand prix de la mise en scène au Festival de Moscou.
En 1973, Boisset s’inspire de témoignages de personnes ayant vécu la guerre d’Algérie pour son film R.A.S. Seulement onze ans après la signature des accords d’Evian, ce long métrage est considéré comme le premier film français à aborder frontalement le conflit. « Tout ce qui est dans R.A.S. est absolument exact, authentifié ». Un tournage difficile pour un film qui rencontrera un fort succès en salle, malgré d’intenses polémiques. « Il y a eu des alertes à la bombe, des grenades au plâtre ont explosé dans plusieurs salles et l’écran du Normandie a été incendié à coups de cocktails Molotov ». Le film sera notamment salué pour sa représentation de la guerre : « La plupart des anciens d’Algérie s’accordent à penser que c’est le film le plus juste et le plus objectif qui ait été tourné sur la guerre d’Algérie ».
« J’espérais bien devenir metteur en scène »
Yves Boisset réunit ensuite Jean Carmet et Isabelle Huppert en 1975 dans Dupont Lajoie, l’histoire du viol et meurtre d’une jeune femme par un cafetier parisien, qui entraîne ensuite un déchaînement de violences contre des Algériens. Là encore inspiré d’une histoire vraie, ce film dénonce le racisme ordinaire. Il a eu un tel impact populaire que l’expression Dupont Lajoie entre dans le langage courant pour désigner les individus rustres. Nouveau succès qui achève de positionner Boisset comme un réalisateur aux sujets toujours hautement contemporains et controversés. Présenté à la Berlinale en 1975, il reçoit l’Ours d’argent.
Dès son film suivant, Boisset se saisit à nouveau d’un sujet brûlant : l’assassinat du juge Renaud, à Lyon en 1975, une affaire à ce jour irrésolue. Estimant que « Les services de Police ne seraient pas à même d’assurer la sécurité du tournage », la municipalité interdit le tournage, qui est déplacé à Saint-Étienne. La veille de sa sortie, une décision de justice demande que toute référence au Service d’action civique (SAC, une association gaulliste dissoute en 1981 à la suite d’actions meurtrières) soit retiré du film. Le cinéaste et son monteur se rendent dans les dix-sept salles qui projetteront le film et poinçonnent la bande-sonore chaque fois qu’est prononcé le mot « SAC ». « On entendait ‘bip’ au lieu de SAC. Sans cette décision de justice, le SAC serait passé beaucoup plus inaperçu qu’avec cette censure ». Le Juge Fayard dit « le Sheriff » sort en 1977 avec Patrick Dewaere dans le rôle-titre. Le jeune comédien y décroche sa troisième nomination au César du meilleur acteur, et Yves Boisset est couronné du prix Louis-Delluc.
Quatre ans plus tard sort Allons Z’enfants, l’histoire d’un jeune homme forcé d’aller à l’école militaire. Ce film, que Boisset disait préférer dans sa filmographie, « (…) n’a pas du tout marché. Cependant, c’est sans doute mon film le plus personnel. Il y a bien des points communs entre mon parcours personnel et celui du héros. Quand j’étais à l’armée, j’espérais bien devenir metteur en scène ». Cette adaptation d’un roman d’Yves Gibeau révèle en tant qu’acteur le jeune Lucas Belvaux, qui deviendra réalisateur à son tour.
Les années télé
À partir des années 1990, Yves Boisset s’illustre avec de nombreux téléfilms. Toujours autour de sujets politiques : L’Affaire Dreyfus (1995), Jean Moulin (2002) sur la vie du célèbre résistant ou encore Le Pantalon (1997) qui évoque la Première Guerre mondiale. En 1993, L’Affaire Seznec raconte la disparition du député Pierre Quémeneur, dont Pierre Seznec sera accusé d’être le meurtrier. « Ça permettait de s’interroger sur la justice, et sur le principe de l’erreur judiciaire ». Ce téléfilm diffusé sur TF1 est lauréat de plusieurs récompenses.
Le réalisateur donne à Bernard Tapie le rôle d’un homme injustement incriminé dans une affaire de trafic de médicament, dans Cazas (2001). Infatigable, il se confronte à un sujet difficile de l’histoire française, la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale, avec 12 balles dans la peau pour Pierre Laval (2009).
Depuis ses débuts de journaliste, et pendant toute sa carrière, Yves Boisset aura été passionné d’histoire contemporaine et obsédé par l’idée de la vérité. Il laisse une œuvre qui témoigne de son époque et des crises qui l’ont traversée. Il le disait lui-même dans son autobiographie : « J'ai toujours essayé de faire des films qui soient à la fois des films d'action et de réflexion ». Le cinéaste prolifique, impertinent et humble, nous laisse ces quelques mots confiés à L’Humanité en 2014, pour appréhender son œuvre, à jamais brûlante : « Je n’ai jamais eu l’illusion que le cinéma pouvait changer le monde, mais éveiller certaines consciences, ça oui ».