Quel est l’objet du Sunny Side of the Doc ?
Contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là, ce n’est pas un festival documentaire. C’est un marché – ou, comme on disait dans le temps, un salon. C’est d’ailleurs LE marché international du documentaire. Il n’y en a pas d’autres dans le monde organisé comme cela. Il existe bien (à Amsterdam, Toronto ou Berlin) des journées professionnelles consacrées aux documentaires mais elles sont adossées à ces grands festivals, et ces rassemblements restent accessoires par rapport aux projections publiques. Au Sunny Side, il n’y a pas de festival. Il s’agit d’une réunion professionnelle. Un moment de rencontre et de mutualisation réservé aux gens qui produisent, distribuent ou vendent des films documentaires ainsi qu’à tous les systèmes d’aide ou les acteurs qui gravitent autour. Il y a les sessions de pitchs, où les meilleurs projets documentaires sont présentés directement à plus de 300 décideurs internationaux, les conférences, les échanges...
Combien de personnes l’événement rassemble-t-il ?
Plus de 2 000, qui se réunissent pendant quatre jours pour échanger des projets, vendre des films finis, en France ou à l’international.
Sunny Side of the Doc naît en 89. Où en était le documentaire à l’époque ?
Quand je lance le Sunny Side, on imagine ce rendez-vous avec un festival. A l’époque, il faut se rappeler que la France n’a aucun festival de documentaire. Et le genre est alors réduit à sa plus simple expression. En dehors des productions des chaînes, les indépendants n’ont ni subventions, ni accès aux diffuseurs. On était littéralement « tricards ». Et le marché était essentiellement domestique. L’international n’existait quasiment pas. C’est de cette réflexion qu’est né le Sunny Side : un pari sur l’avenir et le constat du vieillissement du documentaire institutionnel. A l’époque, je me souviens que le CNC me commande la première étude sur le documentaire et ses impacts sociaux. J’avais d’ailleurs interrogé Hervé Bourges qui m’avait dit : « Le documentaire ? C’est bon pour la cinémathèque ». Je lui ai rappelé cela il y a quelques semaines, nous avons bien ri ! Mais ça donne une bonne idée de ce que représente le genre à l’époque : rien. Cela dit, ça commence à bouger et dans les années qui suivent, le CNC va d’ailleurs mettre en place ses premières aides.
Quels sont les objectifs que vous vous fixez à l’époque ?
Je crée un festival parce qu’il faut donner droit de cité au documentaire. Et je me fixe deux missions : professionnaliser et internationaliser le documentaire. Il y a tout à faire : les producteurs indépendants démarrent tout juste, et il faut tout inventer. Le vrai changement intervient très vite avec l’arrivée de Channel Four en Angleterre, de la 7 (et Arte ensuite) et de Canal plus. Ces chaînes décident de ne pas avoir de service interne de production et se mettent à faire appel à des producteurs indépendants. Pour des raisons de souplesse et d’agilité, ils externalisent et vont donc accélérer le boom qui se profile. Ce sont ces trois chaînes-là qui ont véritablement changé la donne.
D’où vient votre expertise ?
Je suis réalisateur au départ. Naturellement, je cherche des producteurs. Il n’y en a pas, donc je deviens producteur pour mener à bien mes projets et mon entourage fait le même constat que moi. On a besoin d’un point de ralliement, un lieu, une manifestation où se réunir, réfléchir et partager nos expériences. Tout se faisait de manière empirique. On inventait nos professions et on se battait pour faire avancer les choses et se donner un cadre viable. Un exemple parmi d’autres : ma première bagarre avec Antenne 2 fut de ramener les droits pour les documentaires de perpétuité à 10 ans. A l’époque, quand les chaînes finançaient un peu un documentaire, elles acquéraient les droits à perpétuité. Ça vous donne une idée de l’environnement, et de la nécessité d’organiser la profession.
Et quel est votre constat trente ans plus tard ?
Je pense que les deux objectifs de professionnalisation et d’internationalisation ont été atteints. On a réussi à professionnaliser le secteur : il y a des producteurs et des distributeurs spécialisés dans le documentaire, il y a des chaînes et des plateformes thématiques. On a vu la multiplication des points de diffusion et de financement. Évidemment, la crise de 2008 a été une vraie fracture dans notre métier - les financements se sont écroulés, les prix se sont violemment tassés. Mais on a également vu apparaître de nouveaux territoires (l’Asie, l’Amérique latine) qui se sont mis à diffuser et à acheter du documentaire.
Comment le Sunny Side met-il en avant ces courants de fond ? Chaque année, une filmographie est mise à l’honneur…
Je n‘emploierais pas le mot de filmographie. Je mets en avant un panorama des conditions de production de certains pays plutôt que des œuvres – même si, évidemment, je fais venir des films et des projets. On met l’accent sur des pays différents parce que le Sunny Side est un « booster » formidable pour lancer des projets ambitieux. Les gens ne viennent pas au Sunny Side pour monter un projet domestique - ils peuvent, mais ce n’est pas l’ambition.
Vous disiez que le Sunny Side est réservé aux professionnels, mais une partie est ouverte au public : le PiXii. De quoi s’agit-il exactement ?
Depuis le début de son histoire, le documentaire a toujours été en avance sur les technologies cinéma. Pour rendre compte des transformations, des innovations, nous avons imaginé une section dédiée aux innovations et aux nouvelles écritures numériques. On a mis en place il y a 3 ans cette section PiXii (Parcours interactif d’expériences immersives et innovantes) où l’on présente des œuvres non-linéaires. Des œuvres qui ne sont pas destinées à la diffusion télé mais qui peuvent être visionnées dans les musées, les espaces culturels (châteaux, maisons d’écrivains…) qui accueillent du public payant, d’autant plus exigeant et qui demande à être accompagné dans sa visite. Depuis quelques années, on a vu apparaître toute une production qui n’est plus du documentaire au sens strict, mais s’apparente plutôt à un dispositif lié au réel et permettant, via la 3D ou la VR, d’offrir des accompagnements en lien avec des expos ou des lieux spécifiques. C’est une offre en plein boom et on a décidé d’en rendre compte : on a réuni cette année, avec le soutien de l’Institut Français, une trentaine de musées pour parler de ces pratiques.
Vous en parliez : la mode est à la VR. Est-ce que cette technologie sera présente au Sunny Side ?
On en rend compte oui. La tendance est clairement à la production documentaire hybride et le Sunny Side s’en fait naturellement l’écho. A l’époque on disait multimédia. Aujourd’hui, si je produis une œuvre, je dois réfléchir à tous les supports, à tous les médias, à tous les écrans qui vont me permettre de toucher tous les publics. Un programme court ici, une expérience VR là, un parcours physique ailleurs, jusqu’au long de cinéma. Il y a un bel exemple de projet total qui sera présenté au Sunny Side : c’est le travail effectué par Gédéon sur Pompéi. Des fouilles récentes ont mis à jour des découvertes extraordinaires qui vont changer notre perception. Les nouvelles technologies (la VR, les caméras ultra-sensibles) permettent de réaliser des programmes fabuleux. Et pour la première fois le Grand Palais va même ouvrir une exposition entièrement immatérielle. Aucun objet, juste du film et des expériences documentaires. C’est là qu’on voit la richesse potentielle du genre. On a dépassé le ludique ou la simple pédagogie. C’est très novateur et excitant. Quand je vois ces projets, je me dis que le documentaire a un bel avenir…