Comment est né ce film ?
Je suis fascinée par les installations de Sophie Calle et cette idée découle de mon travail au théâtre sur Des gens de Raymond Depardon puis sur mon spectacle La Logique imperturbable du fou où je mêlais documentaire et textes classiques. Un jour, une spectatrice de Des gens est venue me demander pourquoi je n’essayais pas de faire la même chose au cinéma où elle me trouvait bien plus classique. Ça m’avait énervée ! (Rires.) Mais je n’ai jamais oublié ce que m’a dit cette dame. Et c’est en lisant Les Gens dans l’enveloppe d’Isabelle Monnin que le déclic a eu lieu.
Comment le projet s’est-il mis en route ?
L’idée est que les photos d’un anonyme deviennent le début d’une aventure où il faudrait tirer le fil de ces images, en espérant qu’au bout, il y ait un film. D’emblée, je sais qu’il ne faut pas que je parte toute seule dans ce projet. J’ai envie d’une sorte d’installation cinématographique qui mêlerait fiction – dont je prendrai la charge – et documentaire, pour lequel je vais faire appel à Florent Vassault. Sans que ni lui ni moi ne sachons comment l’autre avance. Florent ne me fera pas part de l’évolution de son enquête et je ne lui raconterai pas l’angle que je prends : celui de raconter une journée de ce fameux garçon repéré sur ces photos à 25 ans, comme le contrechamp de ces images. D’ailleurs, Florent est persuadé que je vais faire une sorte de fiction où j’intégrerai son documentaire. Alors que pour moi, c’est exactement l’inverse : le documentaire devra être la colonne vertébrale du film.

Pourquoi avez-vous fait appel à Florent Vassault ?
Parce que j’ai une confiance absolue en sa façon de penser, en sa délicatesse. Parce que les deux documentaires qu’il a réalisés sur la peine de mort – Honk ! (2011) et Lindy Lou, jurée n° 2 (2017) – sont éblouissants. Et parce qu’il possède cette capacité à faire parler les gens sans jamais se comporter en vampire, en leur laissant toute la place. Si Florent m’avait dit non, je n’aurais pas fait ce film.
Comment s’est fait le choix des photos, trouvées dans une brocante, qui constituent le point de départ du Garçon ?
J’ai ouvert quatre jeux d’enveloppes. Et j’ai choisi les photos dans lesquelles on pouvait repérer des lieux afin que Florent puisse mener son enquête avec une chance de retrouver ce « garçon ». Car son geste ne se limite pas à raconter la vie de cet inconnu, mais toutes les vies de ceux qu’il va croiser sur son chemin. Mais j’ai aussi choisi ce lot d’images car ce sont les seules où il y a un personnage dont on peut suivre cinquante ans de vie, jusqu’aux années 2000. Ce qui signifie là encore qu’il y a une chance de le retrouver.
Avec, malgré tout, la possibilité que ce ne soit pas le cas…
Oui, mais au fond la pire des possibilités, c’est que lui ou sa famille s’opposent à la diffusion des images.
Ça n’a pas été un frein pour vous ?
Non parce que j’étais sûre que dans ce cas-là, on serait parti sur autre chose et qu’il y aurait eu malgré tout un film…
C’est Nolita Cinéma qui produit ce projet singulier. Comment embarquent-ils dans l’aventure ?
Ils m’avaient contactée pour me demander de réfléchir à un film d’après Les Gens dans l’enveloppe. J’avais décliné car je ne voyais pas comment le faire. Mais je suis revenue spontanément vers eux avec l’idée du Garçon. Ils sont partis… sur rien ! Puisque ni Florent ni moi ne savions où tout cela allait nous mener, il nous était impossible de rédiger une note d’intention précise.
À quel moment tournez-vous la partie fiction du Garçon ?
Je tourne quand Florent a fini de tourner sa partie mais sans savoir ce qu’il a trouvé. Pour les parents des garçons, j’ai eu besoin – outre leur talent – de visages connus pour créer le contraste avec la partie documentaire. Isabelle Nanty et François Berléand se sont naturellement imposés. Puis j’ai imaginé un personnage de tante, celle qui aurait pris les photos, et je l’ai confié à Florence Muller que j’adore. Et pour les autres, j’ai fait appel à des comédiens que j’ai repérés dans des films ou au théâtre : Jean-Paul Bordes, Damien Sobieraff si extraordinaire dans La Dame de chez Maxim et 4211 km, Nicolas Avinée… Je ne leur ai pas fait passer d’essais. Je leur ai proposé les rôles directement. De la même manière que je tourne des choses sans savoir où elles trouveront la place dans le montage mais en étant certaine qu’elles s’y inséreront.
Le Garçon va logiquement s’écrire pour une large partie au montage. Quand cette étape a-t-elle commencé ?
Quand le tournage, qui s’est étalé sur deux années, avec des pauses évidemment, s’est terminé. Au départ, Florent voulait me laisser travailler avec un autre monteur alors qu’il est monteur lui-même. Mais avec ce type de matière, personne ne pouvait avoir notre mémoire des choses. J’ai donc insisté pour que l’on continue ensemble. Dans un premier temps, on s’est demandé quoi faire avec tout ça. Notre guide, c’était d’essayer de raconter une histoire. On a décidé assez vite de commencer par expliquer le procédé. Et pour le reste, on a tâtonné, multiplié les allers-retours. On a d’ailleurs choisi de montrer ce tâtonnement, nos échanges autour du film alors que Florent, qui est quelqu’un de très discret, n’en avait pas envie. C’est moi qui l’en ai persuadé parce que nos discussions, les doutes et les questions qu’on exprime faisaient partie du processus de fabrication du film que je trouvais important de partager avec les spectateurs.
Qu’est-ce qui vous a le plus décontenancée quand vous avez découvert les images tournées par Florent Vassault ?
Des choses qui me démoralisent et qu’on ne retrouvera pas dans le montage au final : la descente aux enfers de ce garçon qui s’est retrouvé dans un squat avec des maladies de peau… Je ne m’étais jamais imaginé raconter un film sur la déchéance. Mais le montage va permettre de l’éviter. Même si on a mis des mois à trouver cette fameuse lumière au bout du chemin. La bonne fin. Celle qui raconte ce qu’est le film ; cette idée imprévue que la fiction est venue sauver le réel.
Dans ce montage, on ne sent jamais la recherche d’un équilibre entre documentaire et fiction…
En effet et on nous l’a un peu reproché dans un premier temps. Mais ça correspond à la manière dont on a envisagé et fait ce film. Cette idée de laisser venir les choses. De ne pas s’imposer de carcans. De faire tout ce qu’il ne faut pas faire si l’on suit les règles cinématographiques. Notre duo avec Florent était pour cela parfaitement complémentaire. Moi, de nature assez fonceuse et lui qui a su me freiner à raison parfois.
Trouver un distributeur pour un projet aussi atypique a-t-il été compliqué ?
Oui et il y a encore six mois, on ne savait toujours pas s’il sortirait un jour en salles ! Le film était jugé trop en dehors des clous pour que les distributeurs, même s’ils l’aimaient, sachent comment le sortir. Ça n’a pas toujours été simple à vivre et à entendre pour Florent et moi. Jusqu’à ce que Jean-Michel Lorenzi et Fabrice Ferchouli de Moonlight Films Distribution nous expliquent que c’était ce genre de film qui leur donnait envie de continuer à faire leur métier. Ils sont tombés amoureux du Garçon et se sont dit qu’ils réfléchiraient plus tard à la stratégie de sortie. Leurs réactions rejoignaient celles que nous avions entendues lors de la toute première projection publique du film au festival de Namur, dans une version qui n’était ni étalonnée ni mixée. Cet enthousiasme du public et de la critique avait été incroyable à vivre. C’est la première fois qu’on s’est dit qu’on ne s’était pas trompés. Et qu’on a commencé à comprendre ce qu’on avait fait. Aujourd’hui, quand on se retourne en arrière, on est fiers de notre film. Cette aventure a été aussi périlleuse que magique.
LE GARÇON

Réalisation et scénario : Zabou Breitman et Florent Vassault
Production : Nolita Cinéma
Distribution : Moonlight Films Distribution
Sortie le 26 mars 2025