Michel Legrand y raconte son Jour J
En 1944, Michel Legrand est élève au Conservatoire. Il a 12 ans. Son examen de fin d’année a lieu le 6 juin 1944. Il décroche le premier Prix et rentre l’annoncer glorieusement à sa mère. Quand il entre dans l’appartement, elle est à la fois heureuse et catastrophée. Les Américains ont débarqué sur les plages normandes, à quelques kilomètres d’où se trouvent sa fille aînée et sa mère. Avec Michel et une amie, ils filent alors vers l’ouest de la France en bicyclette. « Du haut de mes douze ans, raconte-t-il dans son autobiographie, J’ai le regret de vous dire oui (éditions Fayard) ce trajet m’apparaît comme une véritable odyssée. Pour éviter le danger, nous empruntons les routes de campagne.(…) Quand nous arrivons à Mayenne, le 17 juin, la ville est encore occupée par les Allemands. » Quelques heures plus tard, les blindés alliés arrivent. C’est là, au contact des G.I.’s et notamment de trois soldats noirs américains (Moto, Alexander et Gene) que Michel découvre le jazz et… le tabac. « Pendant des années, le souvenir du trajet Paris-Mayenne à bicyclette va nous hanter, écrit-il. C’étaient cinq jours de temps suspendu où, malgré la proximité du danger, il soufflait déjà un vent de liberté. »
C’est pour honorer une promesse qu’il passe à la réalisation
Dès l’après-guerre, Marcelle et Michel se promettent de refaire le trajet Paris – Mayenne en voiture. « Mais dès qu’il s’agit de trouver une date, différents engagements nous obligent à remettre le projet à plus tard. Les années filent. » Marcelle Legrand meurt en 1978. « Une nuit d’insomnie, hanté par un terrible remords », il imagine refaire le trajet en le filmant. « A 56 ans, je décide de passer derrière la caméra, pour la première fois de ma vie. »
Il écrit le scénario avec son demi-frère, Benjamin.
En 1946, son père divorce de sa mère pour épouser Paulette Bonimond avec laquelle il aura deux fils. Plus tard, quand Raymond Legrand part pour de nouvelles conquêtes, Michel Legrand prend Benjamin, l’aîné, sous son aile, et l’emmène avec lui aux Etats-Unis où il est appelé par Hollywood. Les deux frères resteront alors très complices. Devenu romancier et traducteur, Benjamin était le collaborateur idéal pour épauler son frère dans son baptême du feu à l’écriture d’un film dont le titre est Cinq jours en juin.
Un mois de concerts non stop pour financer le film
A cinq mois du tournage, Claude Lelouch doit renoncer à produire Cinq jours en juin. Désemparé, Michel Legrand ne peut voir s’évanouir son rêve. La seule solution : réunir 350 000 francs (presque 55 000 euros) pour se constituer producteur. « En l’espace d’un mois, j’enquille frénétiquement les concerts » raconte-t-il. D’autres partenaires viendront s’ajouter dont France 2 pour monter un budget assez précaire. Qu’importe, le film est sauvé.
Ray Charles vient poser sa voix sur le générique de fin
Alors que Michel Legrand est en montage, ses amis Alan et Marilyn Bergman, paroliers de The Windmills of Your Mind, la BO de L’affaire Thomas Crown, viennent lui rendre visite et visionnent une première version. « Ils pensent que le blues final doit être chanté et se mettent spontanément à en écrire le texte, baptisé Love Makes the Change. » En la chantant au piano, Michel Legrand se dit que c’est une mélodie parfaite pour Ray Charles. « L’idée paraît folle, incongrue, hors d’atteinte. Ray n’a jamais créé une chanson originale pour un film français, a fortiori à budget modeste. » Il tente quand même : Ray Charles a trois heures de libre à Paris entre deux avions. En deux prises, la chanson est enregistrée. C’est devenu l’un des incontournables du chanteur.