The Last Waltz de Martin Scorsese (1978)
Martin Scorsese aime (presque) autant la musique que le cinéma. Et il a réalisé quelques-uns des plus beaux docs musicaux. Avant Du Mali au Mississipi en 2003 sur l’histoire du blues, avant No Direction Home : Bob Dylan en 2005, avant Shine a Light sur un concert new-yorkais des Rolling Stones en 2011 et George Harrison : Living in the Material World en 2011, il y eut The Last Waltz. Un film tourné en une soirée, le 25 novembre 1976, qui fut le concert d’adieu du groupe de rock canadien The Band au Winterland Ballroom de San Francisco. Considéré par beaucoup comme la meilleure captation de concert de tous les temps, ce documentaire fait fi de toute précision biographique pour laisser parler la musique avec un défilé d’invités sur scène qui donne le tournis : Eric Clapton, Joni Mitchell, Van Morrison, Ringo Starr, Muddy Waters, Neil Young et bien évidemment Bob Dylan. La présence de ce dernier à l’image fut cependant un casse-tête. Par peur que cela concurrence son propre projet de film Renaldo et Clara (le seul qu’il a réalisé à ce jour), il refusa d’abord d’apparaître à l’écran avant d’obtenir l’assurance que The Last Waltz sortirait en salles après Renaldo et Clara. Embauché par Robbie Robertson, le guitariste de The Band qui avait été impressionné par son utilisation de la musique dans Mean Streets, Scorsese a réuni quelques-uns des meilleurs directeurs de la photo de l’époque – Michael Chapman (Taxi Driver), László Kovács (Easy Rider), Vilmos Zsgimond (Délivrance) en tête – pour filmer le concert avant de compléter cet enregistrement par des interviews des membres du groupe. Et ce documentaire le lia d’amitié avec Robertson qui produira la musique de plusieurs de ses films suivants dont Raging Bull et Casino.
Téléphone public de Jean-Marie Périer (1980)
Ce film qui a fêté ses 40 ans en juin était sur le papier un choc des cultures. Le photographe star des années yéyé face au jeune groupe de rock français le plus populaire de l’époque. Jean-Marie Périer a fait son entrée en cinéma dans les années 70 en signant trois fictions. La découverte de Téléphone lui a donné une seconde jeunesse, le replongeant dans l’énergie des Stones qu’il a vu éclore au cœur des années 60. Lorsqu’il propose ses services à la bande des quatre (Jean-Louis Aubert, Louis Bertignac, Richard Kolinka et Corine Marienneau) celle-ci commence par l’envoyer balader, le trouvant un peu trop vieux et ringard. Mais Périer ne se laisse pas démonter, insiste et réussit à les convaincre. La colonne vertébrale de ce Téléphone public sera deux concerts donnés par Téléphone au Palais des Sports et à la Fête de l’Humanité, entrecoupés d’interviews des membres du groupe et de réactions post-concerts de leurs proches. En découvrant le résultat final, les réactions du groupe sont diverses : Jean-Louis Aubert déteste autant que Louis Bertignac adore. Téléphone public décroche une sélection cannoise mais peine à rencontrer son public, ne devenant culte qu’avec le temps, au fil de ses diffusions télé et de sa sortie en vidéo.
Benda Bilili ! de Renaud Barret et Florent de la Tullaye (2010)
Le Staff Benda Bilili est un groupe de musicien qui s’est formé au cœur des rues de Kinshasa où ils vivent. Cinq paraplégiques et trois « valides » qui jouent et chantent leur quotidien avec une énergie jamais prises en défaut. Tombés sous le charme de cette ville, Renaud Barret (directeur d’une petite agence de pub à Paris) et Florent de la Tullaye (grand reporter photo international) ont décidé d’y passer du temps et de la filmer. Et après deux premiers documentaires, les deux hommes réussissent à se faire introduire auprès du Staff Benda Belili, après les avoir vus jouer à la terrasse d’un café. D’un a priori méfiant, le groupe accepte de les rencontrer car leur réputation les avait précédés. Cette association donnera lieu à la production d’un album, Très très fort suivi d’une une tournée… que le duo Barret-de la Tullaye va en parallèle raconter à travers un documentaire sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs cannoise puis nommé aux César. Mis sous le feu des projecteurs, le Staff Benda Bilili enchaînera en 2012 avec un second album, Bouger le monde, qui sera aussi le dernier. Secoué par des tensions internes à répétition, le groupe se séparera dans la foulée.
Sugar Man de Malik Bendjelloul (2012)
C’est l’histoire d’une disparition et d’un retour improbable sur le devant de la scène. A la fin des années 60 après deux albums (Cold fact et Coming from reality) bien accueillis par la critique mais passés inaperçus auprès du public, Sixto Rodriguez se voit obligé de retourner à son premier métier, maçon, pour gagner sa vie… Mais, en parallèle, ces deux 33 Tours vont rencontrer un énorme succès en Afrique du Sud où ses fans vont alors chercher à en savoir plus sur leur mystérieux interprète que la rumeur prétend mort d’une overdose. Sugar Man raconte sur le mode de l’enquête la vie de cet artiste pas comme les autres avec, aux commandes, Malik Bendjelloul, un Suédois qui, après 5 ans à travailler pour la télé, a tout plaqué pour partir en Afrique à la recherche d’histoires à filmer. Celle de Sixto Rodriguez, que lui raconte un disquaire sud-africain va tout de suite l’accrocher. Et le voilà parti pour une aventure de quatre ans, le temps notamment de retrouver Sixto Rodriguez à Detroit et de le convaincre de s’exprimer… à raison d’une interview par an. Sugar Man mêle cette interview, des images d’archives retrouvées miraculeusement chez des fans et des séquences d’animation pour compenser les trous. Et sa production a tenu du parcours du combattant, Malik Bendjelloul ayant dû mettre la main à la poche pour que tout ne s’arrête pas en plein milieu. La carrière du film va venir récompenser tous ses efforts. Doublement récompensé à Sundance lors de sa première mondiale, Sugar Man recevra un an plus tard l’Oscar du scénario et va surtout relancer la carrière de Sixto Rodriguez en lui permettant d’obtenir enfin la reconnaissance aux Etats-Unis et d’y faire ses premiers concerts à 70 ans ! Le destin de Malik Bendjelloul sera, lui, plus cruel : il se donnera la mort en mai 2014, après un long combat contre la dépression.
Amy d’Asif Kapadia (2015)
Cinq ans après son Senna consacré au célèbre pilote de F1 brésilien, Asif Kapadia se penche sur un autre mythe trop tôt disparu : Amy Winehouse. Sa méthode de travail reste la même : un montage d’images d’archives largement inédites et de témoignages de proches en voix-off, le tout sans commentaire annexe pour ne jamais quitter l’univers de la chanteuse d’un bout à l’autre du film. C’est d’ailleurs parce qu’il avait vu et aimé Senna que le premier manager d’Amy Winehouse a accepté la demande d’Asif Kapadia de le rencontrer, alors qu’il refusait toutes les interviews. Cet échange donnera au cinéaste britannique la clé du film, celle qui permet d’entrer dans l’intimité et la tête d’Amy Winehouse pour aller au- delà de ses excès en tout genre qui ont fait la une des tabloïds. Mais à la différence de Senna, les images d’archives manquent souvent – notamment la période de sa dépression entre 2003 et 2006 – et Kapadia doit faire preuve d’un grand talent de persuasion pour que des proches acceptent de se confier sur celle qui est morte le 23 juillet 2011 des suites d’une overdose d’alcool. Plus de 20 mois de montage seront ensuite nécessaires pour cet Amy qui sera découvert en avant-première en sélection officielle du festival de Cannes.