Sans laisser d’adresse de Jean-Paul Le Chanois (1951)
Nous sommes le 6 juin 1951. Et après Venise et Cannes, voici que Berlin accueille à son tour un grand festival de cinéma, voulu par les forces alliées comme une « vitrine du monde libre ». Rebecca d’Alfred Hitchcock en fait l’ouverture. Et 11 jours plus tard, son jury délivre un palmarès qui ressemble à celui du tout premier festival de Cannes en 46 : plusieurs Ours d’Or y sont distribués en fonction des genres de films. Dans la catégorie « policier », Justice est faite d’André Cayatte s’impose… un an après avoir décroché le Lion d’Or à la Mostra. En ces temps-là, la notion d’exclusivité n’était pas de mise. Et en « comédie », triomphe Sans laisser d’adresse de Jean-Paul Le Chanois, le futur réalisateur de Papa, maman, la bonne et moi qui remporte à 42 ans le premier trophée majeur de sa carrière. On y suit une jeune provinciale (Danièle Delorme) qui monte à la capitale tenter de retrouver le père de son enfant, journaliste. Ce voyage mouvementé effectué avec l’aide d’un chauffeur de taxi compatissant (génial Bernard Blier) a quasiment aujourd’hui valeur documentaire tant il raconte le Paris populaire de l’après-guerre avec une acuité et une bienveillance qui ne verse jamais dans la mièvrerie. Enorme succès en France avec plus de 2 millions d’entrées, Sans laisser d’adresse a connu un remake américain en 1953, Taxi de Gregory Ratoff.
Les cousins de Claude Chabrol (1959)
Six ans après Henri-Georges Clouzot avec son Salaire de la peur (seul film de l’histoire du cinéma à avoir cumulé Palme d’Or puis Ours d’Or), c’est au tour de Claude Chabrol de triompher à Berlin face à La forteresse cachée d’Akira Kurosawa. Les Cousins marque une date importante pour la Berlinale puisqu’il est le tout premier film de la Nouvelle Vague à y être sélectionné grâce à un journaliste de cinéma français Alexandre Alexandre qui avait l’oreille du patron du festival Alfred Bauer et a su l’alerter sur la naissance de ce courant bouillonnant de l’autre côté du Rhin. Un an après son premier long métrage, Le beau Serge, Chabrol met en scène un jeune provincial sérieux et travailleur (Gérard Blain) qui débarque à Neuilly chez son cousin (Jean-Claude Brialy), cynique et grand séducteur, avec qui il va se disputer le cœur d’une fille. Avec cette satire de la bourgeoisie, Chabrol impose avec ce ton sarcastique, caustique et cynique qui sera la marque de fabrique de son cinéma.
Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution de Jean-Luc Godard (1965)
Face au Knack et comment l’avoir de Richard Lester (récompensé peu avant du Grand Prix à Cannes), au Bonheur d’Agnès Varda et à Répulsion de Roman Polanski, Godard décroche, cinq ans après son Ours d’Argent du meilleur réalisateur pour A bout de souffle, le seul Ours d’Or de toute sa carrière. Film de science-fiction tourné dans le Paris bien réel de l’époque (la Maison de la Radio tout juste achevée symbolisant la cité du futuriste), Alphaville donne l’occasion à Eddie Constantine de reprendre son personnage- culte du détective Lemmy Caution (créé en 1936 par l’écrivain Peter Cheyney) qu’il avait déjà incarné à sept reprises depuis La Môme vert-de-gris en 1952. Mais en basculant donc ici de l’univers du polar à celui du fantastique avec un climat qui rappelle le 1984 de George Orwell. Et dans le combat que Lemmy Caution mène ici contre le pouvoir de l’ordinateur géant Alpha 60, impossible de ne pas penser aujourd’hui au HAL du 2001, L’Odyssée de l’espace qui débarquera sur les écrans trois ans plus tard. Quant à Constantine, il réendossera une ultime fois les habits de Lemmy Caution toujours pour Godard dans le très expérimental Allemagne année 90 neuf zéro en 1990.
L’appât de Bertrand Tavernier (1995)
Après 30 ans de disette, la France décroche un nouvel Ours d’Or avec cette adaptation d’un roman de Morgan Sportès, lui-même inspiré de faits bel et bien atrocement réels situés au cœur des années 80 : deux garçons et une jeune fille assassinant froidement des hommes pour les dépouiller afin de réaliser leur rêve : faire fortune aux Etats-Unis. Avec dans le rôle central de cet appât-Cheval de Troie qui fait tourner la tête des hommes en boîte de nuit : Marie Gillain. On retrouve dans L’appât ce qui constitue l’un des moteurs du cinéma de Tavernier : ce regard incisif sur une faillite morale d’une partie de la société française sous les coups de boutoir de la dictature de l’apparence et de l’argent.
Intimité de Patrice Chéreau (2001)
Malgré une solide opposition (Traffic de Soderbergh, Beijing bicycle de Wang Xiaoshuai, JSA de Park Chan-wook…), Intimité repart de Berlin doublement primé en cumulant Ours d’Or et prix d’interprétation féminine pour Kerry Fox. Accompagné par une B.O. en or massif (Iggy Pop, David Bowie, Nick Cave, Tindersticks, les Clash… et même Boney M), Intimité, tourné à Londres, restera comme le seul film en langue anglaise de Patrice Chéreau. Cette adaptation d’un roman d’Hanif Kureishi (le scénariste de My beautiful Laundrette de Stephen Frears) explore la relation sexuelle passionnelle de deux amants où toute idée d’attachement semble bannie jusqu’au moment où l’amant va vouloir en savoir un peu plus sur sa maîtresse. Le film fait polémique lors de la Berlinale pour le réalisme cru des scènes de sexe tournées par Chéreau… qui, le temps aidant, feront figure de référence. Récompensé du Prix Louis-Delluc quelques mois plus tard, Patrice Chéreau reste encore à ce jour le dernier cinéaste français lauréat d’un Ours d’Or.